Remariés par décision judiciaire six ans après leur divorce. Les dangers du « divorce en un clic »
En avril dernier, le tribunal judiciaire a annulé une convention de divorce conclue en 2018. Le motif ? Le défaut de conseil de l’avocat de l’épouse qui a été amenée à accepter une convention lui étant extrêmement défavorable. Six ans après leur divorce, les époux se sont donc retrouvés mariés à nouveau par décision de justice. Cette décision exceptionnelle met en lumière les dangers des dispositions de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIè siècle visant à simplifier le divorce par consentement mutuel et à désengorger les tribunaux. Explications.
Depuis fin 2016, il n’est plus nécessaire (même si cela demeure possible) de passer devant le juge aux affaires familiales pour divorcer par consentement mutuel. Les futurs ex-époux, obligatoirement assistés par leur propre avocat, peuvent décider de la dissolution du mariage et en négocier les effets. Il leur suffira ensuite de signer une convention de divorce et de la déposer chez un notaire. Le divorce deviendra effectif après un délai de rétractation de 15 jours.
Une réforme qui, d’après le législateur, a pour avantage de réduire considérablement le délai nécessaire pour divorcer et d’alléger la charge des tribunaux.
Protection des plus vulnérables ?
« Le divorce par consentement mutuel sans passer par un juge, c'est un gain de temps pour les époux qui souhaitent divorcer, un recentrage des audiences du juge sur les dossiers conflictuels, une simplification logique pour le fonctionnement de la Justice. » se félicite le ministère de la justice qui affirme aussi que « ce nouveau divorce est plus protecteur des droits de tous ».
En effet, d’après les services de la Chancellerie, « chaque conjoint aura son propre avocat, de manière à garantir que son consentement est éclairé et libre de toute pression. Ainsi, en cas de déséquilibre éventuel entre les époux, la partie la plus vulnérable – par exemple, en cas de dépendance économique, de disparités sociales, voire de violences au sein du couple – verra ses intérêts mieux représentés. »
Une vision optimiste démentie par les faits et par le tribunal judiciaire de Versailles, et dont certains mouvements de protection des femmes avaient anticipé les dangers, comme le soulignait le quotidien 20 minutes, dans un article de mai 2016.
Une convention de divorce déséquilibrée
Dans le cas du divorce annulé par le tribunal de Versailles, la plaignante avait signé une convention de divorce ne prévoyant aucune prestation compensatoire alors que les revenus de monsieur étaient considérablement supérieurs aux siens. Par ailleurs, aucune liquidation de la communauté n’était organisée, alors que la moitié aurait dû lui revenir. Et il s’est avéré qu’elle avait signé ladite convention sans la présence de son avocat qu’elle n’avait par ailleurs jamais rencontré. Le tribunal a donc estimé que la future divorcée n’avait pu valablement exprimer son consentement libre et éclairé sur le divorce et ses effets.
En cas de divorce par consentement mutuel judiciaire, l’article 232 du code civil charge le juge de s’assurer du consentement libre et éclairé de chacun des époux et il « peut refuser l'homologation et ne pas prononcer le divorce s'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux. »
En cas de jugement extra-judiciaire, la loi charge désormais les avocats de veiller à cet équilibre.
Et ce que le législateur n’a pas prévu, c’est que certains auxiliaires de justice à la déontologie discutable verraient dans cette fonction nouvelle une façon facile et rapide de faire grossir leur chiffre d’affaires.
« Divorce en un clic »
Dans un article de juin 2024 signé par maître Léa Laplanche-Servigne, le cabinet d’avocats lyonnais SLS, dénonce certaines dérives.
« Suite à l’entrée en vigueur de cette loi, certaines offres à très bas prix sont apparues sur Internet : attrayantes au premier abord, elles sont généralement gages d’un accompagnement quasiment inexistant. » déplore maître Laplanche Servigne.
« Si la promesse faite est celle d’un divorce « simple, rapide et peu coûteux », l’absence de conseil peut être particulièrement préjudiciable pour les époux. » met en garde l’avocate.
Un avertissement que lance aussi sa consœur maître Michèle Bauer dans un article au vitriol publié le 30 mai dernier sur le site Actu-Juridique.fr.
L’annulation du divorce prononcée par le tribunal judiciaire de Versailles est « un cas d’espèce qui exige de la profession qu’elle alerte sur les dangers des plateformes de mise en relation avec des avocats partenaires, proposant des divorces en ligne pas chers, vantés par la presse féminine à longueur de colonnes. », exhorte l’avocate qui qualifie le divorce attaqué de « divorce en un clic ».
« Monsieur a certainement pris l’initiative de le gérer (son épouse ne maîtrisant pas la langue française), spécule-t-elle, il a surfé sur internet et, comme beaucoup, a été séduit par le « pack divorce » avec avocat de son épouse en cadeau Bonux. ».
Maître Bauer dénonce des plateformes dont le modèle économique s’effondrerait « si en plus il fallait conseiller », c’est-à-dire faire son travail et protéger les intérêts des personnes vulnérables, en l’occurrence très majoritairement les femmes.
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