Audit du Conseil de l’Ordre des médecins d’Occitanie : une "gestion calamiteuse"
Le Conseil régional de l'ordre des médecins (CROM) d'Occitanie connaît un début d’année 2022 difficile, qui succède à une année 2021 non moins délicate. Dès demain, le 11 janvier, son président devra se défendre devant le tribunal correctionnel de Montpellier, suite aux plaintes pour « maltraitances psychologiques » déposées par deux employées du Conseil. Un mois plus tard, le 12 février, c’est devant le tribunal des Prud’hommes que l’institution aura des comptes à rendre, suite au licenciement « pour faute lourde », présumé abusif, des deux plaignantes.
Ce n'est pas tout. Cette valse de plaintes, coordonnée avec un envoi anonyme de pièces comptables laissant suspecter des malversations financières, avait, dès la fin de l’année 2020, déterminé le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) à réaliser un audit auprès de son antenne régionale. Or, les conclusions de cet audit, rendues le 8 avril 2021, ont fuité en novembre dernier. FranceSoir se les est procurées, et elles sont accablantes.
Elles donnent à voir une institution maltraitante pour son personnel, aux pratiques financières surprenantes, et dirigée par un président omnipotent qui n'hésite pas à empiéter sur les missions d'autres membres du bureau. Le CNOM dénonce une gestion « problématique voire calamiteuse sur plusieurs points tant en ce qui concerne la gestion administrative que celle des ressources humaines ».
Une gestion des ressources humaines désastreuse
Les accusations portées par Madame C. et Madame D. à l’encontre du docteur Jean Thévenot, gynécologue toulousain actuel président du CROM d’Occitanie, sont graves. Les deux femmes, secrétaires administratives expérimentées ayant toujours donné satisfaction à leur employeur, se plaignent d’une détérioration de leurs conditions de travail telle qu’elles en sont tombées malades. La première dénonce des pressions répétées, un dénigrement quotidien, des agressions verbales quotidiennes et des reproches injustifiés. La deuxième confirme ces accusations, déplore des messages de son patron à toute heure du jour et de la nuit, et affirme de surcroît avoir été chargée par le docteur Thévenot d’espionner et d’enregistrer sa collègue à son insu.
Madame C. s’est mise en arrêt maladie, avant d’être licenciée quelque temps plus tard, contre l’avis du Conseil national de l'Ordre des médecins qui préconisent sa réintégration. Madame D. a, elle aussi, été licenciée. Entretemps, une troisième secrétaire, précédemment employée à Toulouse par le docteur Thévenot au sein de la clinique où il travaille, a été recrutée par le CROM. Elle s’est retrouvée elle aussi en arrêt de travail suite à un conflit avec un autre conseiller.
Cette valse des secrétaires ne s’est pas fait sans accroc. Le Dr Cabanel, secrétaire général du CROM entre février 2019 et septembre 2020, déplorait une « situation intenable » vis-à-vis du Dr Thévenot. Il affirme avoir été contraint de démissionner de son poste pour « ne pas nuire au bon fonctionnement de l’institution ». Aussi, il assure pendant l’audit, qu’il « ne voulait plus cautionner les prises de décisions unilatérales du président en matière de gestion du personnel ».
De son côté, le Dr Chaze, président de la formation restreinte, s’inquiétait du fait que les nouvelles recrues n’avaient « aucune connaissance des tâches qui leur incombaient ». Assurant n’avoir jamais rencontré de telles difficultés dans la gestion du personnel au cours de sa carrière, il a souligné la « violence des départs » et le « turn-over » des secrétaires.
Le Dr Kezachian, ancien président du conseil régional du Languedoc-Roussillon, s’était mis à l’écart de ces conflits pour garder sa neutralité. Néanmoins, il a fait part de ses inquiétudes quant aux comportements vis-à-vis du personnel.
Le Dr Rossignol, secrétaire générale adjointe, qui s’était déjà opposée au Dr Thévenot à plusieurs reprises, lui reproche de prendre seul les décisions. Elle soutient que la situation ne saurait s’améliorer compte tenu de la personnalité du président, et se positionne donc en faveur de sa démission.
Même les docteurs Robert, vice-président, et Rouviere, qui soutiennent globalement les décisions prises par le Dr Thévenot, demeurent toutefois réservés quant à la gestion du personnel, qui aurait dû être laissée au soin du secrétaire général.
Enfin, le Dr Labrusse, élu au poste de secrétaire général en novembre 2020, après que s'est achevé le défilé des secrétaires, assure que tout se passera bien si le Dr Thévenot tient parole et reste loin des affaires de gestion de personnel. Autrement, il n’hésitera pas à démissionner.
Autant dire que même si le Dr Thévenot se défend d’une quelconque maltraitance vis-à-vis du personnel travaillant pour lui, sa conception de la gestion du personnel ne fait pas l’unanimité. Une gestion des ressources humaines qui, non seulement aura suscité des dysfonctionnements dans l’institution, mais aura aussi laissé derrière elle plusieurs secrétaires « en souffrance » (dixit l’audit du CNOM). Un comble pour un médecin censé avoir fait sien le serment d’Hippocrate : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. » Le Conseil national de l'Ordre des médecins a d’ailleurs informé les plaignantes de la saisine de la chambre disciplinaire du CROM d’Occitanie à l’encontre du gynécologue.
Une analyse financière qui laisse planer quelques mystères
Côté finances, c’est une fois de plus le Dr Thévenot qui semble être aux manettes. Si l’audit salue le travail et la bonne volonté du trésorier du CROM, le recours à certains prestataires de services pose question. Le prestataire informatique externe auquel le CROM a fait appel est bien connu du docteur Thévenot ; il est aussi celui de la clinique toulousaine où le médecin travaille, celui du conseil départemental de Haute-Garonne du temps où le docteur Thévenot en était président, ainsi que celui de l’association MOTS que le gynécologue dirige.
Par ailleurs, le prestataire du site Internet n’est autre que la société qui emploie l’épouse du Dr Thévenot.
Mais, les dépenses les plus étonnantes se trouvent ailleurs. Une secrétaire ne se plaint pas du CROM d’Occitanie, et pour cause ! Lors de la fusion des conseils, Mme E., secrétaire auprès de l’ancien Conseil Régional de Midi-Pyrénées, réside à Toulouse. Ne souhaitant pas aller travailler à Montpellier dans le nouveau CROM d’Occitanie, elle bénéficie d’une rupture conventionnelle et quitte le conseil régional le 8 février 2019. Elle bénéficie alors d’une indemnité de 17 000 euros. Pourtant, le 1ᵉʳ mars de la même année, elle est réembauchée par le CROM d’Occitanie. Elle conserve son ancienneté, a droit à de nombreux avantages, et travaille depuis Toulouse. Des secrétaires affirment « qu’elle n’est pas venue une seule fois sur site, qu’elle ne fait rien, et qu’il s’agit d’un emploi fictif ». Comme nous n’avons pas réussi à la contacter, il est impossible de savoir de quoi il en retourne, mais il est par contre permis de constater que sa réembauche n’a pas traîné. Comme il est permis de s’étonner que, contre toute attente, le 8 novembre 2019, une seconde rupture conventionnelle soit signée, pour laquelle Mme E. bénéficie cette fois de 20 789 €, assortis d’un paiement de ses congés et du maintien de sa mutuelle pendant encore une année. Comme le rapporte l’audit, « l’intéressée aura donc bénéficié de deux ruptures conventionnelles qui ont coûté au total 37 000 € à l’institution ». L’audit rapporte aussi que « ces décisions ont été prises par le seul Dr Thévenot ».
L’Ordre des médecins lave-t-il son linge sale en famille ?
Même si les constatations de l’audit (qui serait resté interne sans une fuite opportune) du Conseil national de l’Ordre des médecins sont sévères, on peut s’étonner qu’il n’ait « pas été constaté de malversations financières ». Peut-être existe-t-il une explication acceptable aux largesses dont a bénéficié Mme E., mais enfin, on aurait pu s’attendre à plus de curiosité de la part d’une institution qui gère de l’argent public (les cotisations des médecins étant obligatoires)… D’autant que les dépenses du CROM d’Occitanie laissent apparaître d’autres curiosités que FranceSoir vous exposera dans un prochain article.
Par ailleurs, le Conseil national de l’ordre de médecins conclut que « dans l’ensemble, le CROM d’Occitanie fait face à ses fonctions régaliennes » et qu’une « large majorité des membres du Bureau ont réitéré leur confiance au président [Thévenot] ».
Mais, dans le même temps, le CNOM souligne qu’en « imposant un système personnel de gestion », le Dr Thévenot « a détruit la structure administrative » … On peut donc à bon droit s’interroger sur l’impact qu’a pu avoir une telle « destruction » sur le bon exercice desdites fonctions régaliennes.
Enfin, l’audit rapporte des comportements « inappropriés à l’égard du personnel », qui sont « déontologiquement intolérables de la part du président d’un conseil de l’ordre des médecins ». Alors certes, des poursuites disciplinaires semblent de voir être engagées, contre le Dr Thévenot, mais enfin, concernant le CROM d’Occitanie, le Conseil national de l'Ordre des médecins se borne à faire cinq recommandations, dont on sait déjà que certaines n’ont pas été suivies d’effets.
Malgré l’article 40 du Code de procédure pénale qui dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », il semblerait qu’aucune suite judiciaire n’ait été requise de la part du CNOM. Or, le harcèlement professionnel est un délit pénal. Et s’il n’est pas possible d’affirmer aujourd’hui que le CROM d’Occitanie est le théâtre de malversations financières, force est de constater que certaines pratiques posent questions, même à un esprit peu suspicieux.
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