Covid-19 : France-Allemagne, le match perdu
L'INSEE a publié vendredi 30 avril les décès en France pour le mois de mars 2021. En temps normal, le chiffre est publié le troisième mardi de chaque mois. Avec la crise COVID-19, la publication de ce chiffre est retardée jusqu'à l'allocution du président de la République ou du premier ministre. C'est la sujétion de l'administration à l'autorité politique. Au moins, nous savons d'où vient une partie des décisions qui sont annoncées en fin de mois à la télévision ou dans les journaux.
En Allemagne, l'institut DESTATIS travaille bien plus lentement. Il a publié seulement le mercredi 28 avril 2021 le chiffre des décès de décembre 2020 et n'a à ce jour publié aucune donnée pour 2021. Mais les données existent bien puisqu'elles sont transmises aux institutions européennes et aux sites spécialisés. Ainsi, le site Mortality.org publie les données hebdomadaires transmises par chaque pays européen et est à jour pour la France et l'Allemagne jusqu'à la semaine 13 qui correspond à la fin du mois de mars. Les données hebdomadaires de Mortality.org ont été utilisées pour reconstituer les décès en Allemagne pour les mois de janvier, février et mars 2021. Les deux séries France et Allemagne ayant maintenant la même longueur janvier 2010 – mars 2021, les voici en graphique.
Le premier graphique représente les données annuelles de 2010 à 2020 qui sont obtenues par agrégation des données mensuelles. Les droites de régression calculées sur les années 2010 à 2019 montrent une tendance haussière linéaire de l'ordre de +1,27 % par an pour la France et +1,21 % pour l'Allemagne. Les données sont un peu plus dispersées en Allemagne qu'en France, sauf l'année 2020 où la France a connu un surplus de 43.522 décès (+7,1 %) par rapport à la droite de régression. C'est nettement moins que les « 68.000 décès supplémentaires imputables à l'épidémie de Covid-19 » annoncés par la revue Population & Sociétés de l'INED dans son numéro de mars 2021. En Allemagne, le surplus 2020, qui est de 22.885 décès, n'est situé que +2,4 % au-dessus de la droite de régression et est à peine supérieur aux fluctuations annuelles de mortalité. C'est une première indication qu'il n'y a pas eu d'épidémie en Allemagne, ou que « l'épidémie » s'est substituée à des décès qui auraient eu une cause habituelle. Pour mémoire, l'Allemagne comptait 83.166.711 habitants et la France 67.320.216 habitants au 1er janvier 2020.
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Le graphique suivant présente les décès mensuels de janvier 2010 à mars 2021 pour l'Allemagne (courbe rouge) et la France (courbe bleue) en milliers de décès. Les deux séries évoluent au même rythme et montrent une croissance de la mortalité régulière depuis 2010 et plus prononcée en hiver qu'en été.
En France, les minimum de mortalité surviennent le plus souvent au mois de juin (cercles pleins bleus) et quelquefois au mois d'août. Les maximum de mortalité surviennent au mois de janvier sauf l'année 2020 qui suivait une année 2019 avec peu de morts, a connu des mois de janvier et février avec également peu de morts qui ont été compensés par une surmortalité en mars en en avril. Les mois de mai à juillet 2020 sont similaires aux années précédentes. Les mois d'août et septembre 2020 (flèche noire) sont sensiblement décalés au dessus de la tendance estivale et constituent un phénomène nouveau par rapport aux années précédentes. C'est un signal faible que nous réexaminons à la fin de cet article. Les mois d'octobre 2020 à janvier 2021 sont significativement au-dessus des valeurs observées les 10 années précédentes et reflètent la surmortalité observée avec la vague automnale de COVID-19. Les mois de février et mars 2021 sont des valeurs saisonnières normales.
En Allemagne, les minimum de mortalité surviennent plus souvent au mois de septembre qu'au mois de juin (cercles pleins rouges), sauf l'année 2020 qui voit des mois d'août et septembre 2020 (flèche noire) sensiblement décalés au dessus de la tendance estivale. Ce décalage est de même amplitude et semble être le même signal faible que celui observé en France. Les maximum de mortalité sont indifféremment au mois de janvier ou au mois de mars, sauf l'hiver 2020–2021 où le pic a été atteint en décembre 2020. Notons que l'Allemagne connait régulièrement des hivers particulièrement mortels : cinq années sur douze ont connu des pics de mortalité importants en hiver et sont précédées ou suivies par des années avec peu de morts. Le mois de février 2021 est significativement bas mais une moyenne des mois de février et mars 2021 situerait la mortalité proportionnellement au même niveau que la France — les conditions météorologiques ont été clémentes en Europe.
Il est possible d'explorer encore davantage les données avec des graphiques qui répartissent les décès mois par mois et permettent une comparaison plus fine entre les années. Les deux graphiques suivants présentent les décès mensuels en France et en Allemagne (même chiffres que le deuxième graphique) regroupés par mois. Par exemple, la case de janvier regroupe les mois de janvier 2010, janvier 2011, etc, jusqu'à janvier 2020 (point noir) et janvier 2021 (point bleu). De même pour les onze autres mois. On retrouve la tendance haussière de ces onze dernières années avec une faible dispersion de mai à septembre et des fluctuations bien plus importantes les autres mois, notamment de décembre à mars.
En France, le pic absolu des décès est janvier 2017 et correspond à la grippe observée tant en France qu'en Allemagne. L'année 2020 a été très contrastée. Cinq mois : janvier, février, mai, juin, juillet ont connu moins de morts qu'en 2019, ce qui est remarquable dans un contexte de hausse tendancielle des décès. Mars 2020 affiche une valeur élevée mais n'est que le rattrapage des décès insuffisants de janvier et février 2020. Des conditions météorologiques clémentes, une épidémie de grippe quasi inexistante, le confinement, le port du masque sont des causes possibles.
De nombreux mois ont des valeurs significativement élevées : avril 2020 qui correspond à la première vague COVID-19, octobre, novembre, décembre 2020 et janvier 2021 qui sont la deuxième vague qui n'en finit pas pour certains ou sont désignés par deuxième vague et troisième vague par d'autres commentateurs. Ces quatre mois successifs constituent assurément un évènement exceptionnel qui peut être relié à l'épidémie mais aussi à la gestion politique de l'épidémie. Notons que les mois de février et mars 2021 sont dans la tendance des années précédentes (et même en deçà pour mars). Était-ce suffisant pour justifier un confinement ou un couvre-feu ?
En Allemagne, la volatilité des données est décalée d'un mois par rapport à la France. Avril en France (sauf avril 2021) affiche des valeurs proches de la tendance et octobre est plus agité. En Allemagne, avril est encore fluctuant et octobre est un mois calme. Six mois en 2020 : janvier, février, mars, mai, juin et juillet affichent un nombre de décès inférieur aux mois correspondants de 2019. Le mois d'avril 2020 est dans la tendance annuelle et témoigne d'une épidémie soit inexistante, soit parfaitement maitrisée par la politique sanitaire mise en œuvre. On sait que l'Allemagne a acheté plus de 800.000 boites d'hydroxychloroquine entre avril et mai 2020. Il n'y a eu qu'une vaguelette d'épidémie en ce printemps 2021 en Allemagne. Les lits dans les hôpitaux étaient disponibles et ont d'ailleurs accueilli des patients français. Les mois d'août, septembre et octobre 2020 sont dans la tendance annuelle mais tous un peu au-dessus de la tendance annuelle. C'est peut-être le même signal faible que la France. Les mois de novembre et décembre 2020 sont par contre significativement supérieurs et montre que l'Allemagne a connu une épidémie qui a duré 2 mois. Celle-ci a été ensuite rapidement maitrisée puisque les mois de janvier, février et mars 2021 sont tous dans la tendance annuelle.
Ainsi, il ressort de ces graphiques que l'Allemagne a connu une année 2020 presque ordinaire avec seulement deux mois : novembre et décembre 2020, qui ont eu significativement plus de décès que les années précédentes, là où la France a connu cinq mois de misère : avril, octobre, novembre, décembre 2020 et janvier 2021. On ne peut que constater que la France a perdu le match de la gestion de la pandémie sur un score de 2 à 5. Comme les conditions climatiques ne sont pas en cause, car l'hiver 2020 a été clément et la grippe quasi-inexistante, il faut rechercher les vraies causes de cet échec dans la répartition spatiale de l'épidémie, la vie sociale ou dans la politique de santé qui est appliquée en France depuis 14 mois et a découragé tout traitement préventif avec les médicaments sûrs et peu onéreux proposés par les médecins de terrain.
À plusieurs endroits dans cet article a été évoqué un signal faible observé en France sur les mois d'août et septembre 2020 et en Allemagne sur les mois d'août, septembre et octobre 2020. Ces cinq mois, pendant lesquels la circulation et la prévalence des décès dus au COVID étaient extrêmement faibles, montrent des décès légèrement supérieurs à la croissance tendancielle linéaire bien établie depuis 2010 (les flèches dans le deuxième graphique). Il faut en rechercher les causes dans la deuxième guerre mondiale de 1939–1945 qui a eu un impact considérable sur la natalité pendant la guerre mais surtout après la guerre avec un baby-boom remarquable qui a vu les générations 1946 et 1947 représenter environ (305+360)/(220+265) = 1,37 fois et (320+380)/(220+265) = 1,44 fois la génération 1945 selon le graphique de l'INED ci-dessous [4] et les estimations de population en janvier 2021. Ces ratios (réajustés à la population de l'époque) seront effectifs en 2026 et 2028 lorsque ces générations atteindront leurs espérances de vie moyenne, 81 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes. Du fait de la forme des courbes en cloche pour chaque génération, la bascule ne sera pas un saut mais une courbe en "s" progressive (résultant de la convolution du saut par la fonction de densité de la mortalité) depuis les valeurs actuelles jusqu'à un nouvel équilibre situé environ 1,4 fois au dessus des valeurs actuelles. Ce que nous désignons par signal faible n'est en fait que le début de cette évolution. Cette hypothèse sera validée ou infirmée par les décès qui surviendront de juin à octobre 2021 en France et en Allemagne.
Si cette hypothèse se vérifie, alors le nombre de décès à venir pendant l'hiver 2021–2022 sera lui aussi significativement plus élevé du fait de la croissance plus rapide des décès en hiver qu'en été, comme mis en évidence par le deuxième graphique, et la communication politique autour de ces chiffres devra être très nuancée.
Tous les secteurs de la société concernés par la mort seront impactés : les pompes funèbres (boursicoteurs : achetez du cercueil !), les cérémonies mortuaires, les EHPAD mais aussi et surtout les hôpitaux. Si les réanimations sont occupées par des personnes âgées, alors le nombre de lit devra être significativement augmenté et au moins dans un ratio 1,4 si la même qualité de soin offerte aux Français veut être préservée. La politique de santé, y compris le budget alloué à la santé, sera un des grands enjeux du prochain quinquennat.
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