Ecologie : l'inquiétante disparition des abeilles

Auteur(s)
Victor Lefebvre
Publié le 27 octobre 2014 - 17:55
Mis à jour le 19 mars 2015 - 18:05
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Une abeille butine une fleur.
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©David W Cerny/Reuters
La disparition des abeilles pourrait avoir des conséquences dramatiques
©David W Cerny/Reuters
Depuis plusieurs années, le nombre d’abeilles dans le monde diminue dangereusement, faisant craindre une catastrophe écologique. Si les responsables semblent identifiés, des intérêts contradictoires et des lacunes scientifiques compliquent la mise en place de mesures de sauvegarde des abeilles. Un insecte qui a pourtant le destin de la planète entre ses pattes.

Cela a débuté par un silence assourdissant. Le bourdonnement des abeilles a commencé à se raréfier à l’aube des années 2000. A travers le monde, des centaines de milliers de ruches et des milliards d’insectes ont disparu, pour des raisons alors mystérieuses et encore controversées aujourd’hui. Depuis, le phénomène n’a cessé de s’amplifier et a même gagné son appellation scientifique. 

Aux Etat-Unis, le problème se nomme Colony Colapse Disorder. Les apiculteurs américains perdent parfois jusqu’à 90% de leurs abeilles pendant la belle saison. En France, on parle de "syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles" et c’est surtout la mortalité hivernale de ces insectes qui est en hausse. 

Un risque pour la biodiversité

Malgré des effets variés selon les pays, le constat est unanimement reconnu. Les abeilles meurent, surtout dans les pays industrialisés. En France, leur population a diminué de 20% entre 2005 et 2010.

Bien sûr, les abeilles continuent de butiner dans nos jardins à chaque printemps et ne risquent pas de disparaître du jour au lendemain. Mais l’importante réduction de leur population pourrait préfigurer une catastrophe écologique, économique et même humaine. 

Car l’abeille est une sentinelle de la nature. Sa santé est un indicateur de l’état général de la biodiversité, tant son rôle est crucial dans l’équilibre de la flore et de ceux qui en dépendent, animaux et humains.

De tous les insectes pollinisateurs, elle est de loin le plus efficace: "Sous nos latitudes, 80% des espèces florales dépendent, à des degrés différents, des insectes pollinisateurs dont l’abeille est le chef de file. Jusqu’à 95% en zone tropicale. C’est considérable", résume pour FranceSoir Bernard Vaissière, spécialiste de la pollinisation à l’Institut national de recherche agronomique (Inra). "En Provence par exemple, plus de pollinisateurs veut dire plus de lavande, de thym, de romarin… On s’attend à ce que des espèces d’abeilles disparaissent dans les années à venir. Peut-être même des espèces peu ou pas connues car peu de monde travaille sur le sujet"

Exemple frappant des conséquences de ce phénomène, en 2007, les fermiers de la province chinoise du Sichuan (centre du pays) ont vu l’ensemble des abeilles de leur région tuées par une utilisation abusive de pesticides. Pour sauver leurs exploitations fruitières, ils doivent désormais polliniser leurs cultures à la main.

Des causes multiples…

Il est donc urgent de solutionner ce problème avant qu’il ne devienne un drame écologique. Mais il faut d’abord en identifier les causes. Et entre incertitudes scientifiques et intérêts des uns et des autres, difficile de désigner un responsable.

Pesticides, parasites, maladies, pratiques agricoles et apicoles inadaptées, modification de l’environnement, nouveaux prédateurs –et même téléphone portable, pour les plus paranoïaques– semblent s’être ligués contre les abeilles. Le ministère de l’Agriculture et la communauté scientifique parlent donc aujourd’hui de "causes multifactorielles". Affaiblies par un ennemi, les abeilles seraient moins résistantes aux autres.

Si cette théorie est dans l’ensemble partagée par les différents acteurs, reste qu’aucune étude n’a apporté de réponse empirique. Le manque de références scientifiques est le principal écueil sur lequel butent les pouvoirs publics. Difficile alors de prendre des mesures de grande ampleur qui pourraient faire de nombreux –et parfois puissants– mécontents, qui mettent chaque incertitude à profit.

Le sujet le plus épineux est celui des pesticides, notamment les néonicotinoïdes. Accusés par les protecteurs des abeilles d’être en grande partie à l’origine de la surmortalité, trois ont été suspendus en 2013 par la Commission européenne pour deux ans. Une application stricte du principe de précaution moyennement appréciée par les agriculteurs, comme par les fabricants de produits phytosanitaires.

Leur principal syndicat, l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), voit dans cette suspension une "décision politique", basée non pas sur une réalité mais sur "des incertitudes".

En juin dernier, le Groupe de travail sur les pesticides systémiques rassemblant de nombreux experts a publié un rapport accablant pour ces substances. Dans la foulée l’administration Obama comme les ministères français de l’Agriculture, de l’Ecologie et de la Santé lançaient programmes et consultations pour encadrer l’utilisation des pesticides.

Et des intérêts divergents

Attachée à la théorie multifactorielle, l’UIPP concède que certains produits "mal utilisés peuvent être nocifs pour les insectes pollinisateurs"  et insiste donc sur l’importance d’en respecter le mode d’utilisation, par exemple de les appliquer la nuit pour éviter les contacts directes avec les abeilles.  

Du côté des apiculteurs, on continue d’accuser en priorité l’industrie chimique, pesticides et OGM: "Les apiculteurs constatent année après année qu’on n’arrive plus à produire du miel de la même façon qu’avant la mise sur le marché des pesticides néonicotinoïdes, quelles que soient les conditions climatiques", déclare à FranceSoir Olivier Belval, président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). 

Il tempère cependant: "On n’a jamais dit qu’il n’y avait qu’une seule cause. Mais il y en a une sur laquelle on peut agir, ce sont les pesticides. Le Varroa (un parasite de l’abeille, NDLR) est arrivé dans les années 1980 et on n’a pas vu diminuer la population des ruches"

Quant à d’éventuelles mauvaises pratiques apicoles, le président de l’Unaf est catégorique: "Dire que les apiculteurs auraient des pratiques sanitaires défavorables est assez insultant pour la profession".

L’avis des agriculteurs est moins définitif. "Les parasites et la façon dont ils sont traités par certains apiculteurs" est une cause probable, selon Rémi Haquin, président de la Commission environnement d’Orama, une branche du syndicat d’agriculteurs FNSEA. "Ces pesticides, utilisés à bon escient, ont été homologués. Ce qui fait la dangerosité d’un produit chimique, c’est la dose, c’est là-dessus qu’il faut être prudent", explique-t-il, remettant aussi en cause la pertinence de tests effectués en laboratoire et non en plein champ. 

Mais loin de nier le phénomène de mortalité, Remy Hacquin rappelle qu’il est "ridicule de considérer les agriculteurs comme les ennemis des abeilles, car ils ont besoins d’elles".

Si on devine des tentions entre agriculteurs et apiculteurs, les deux parties se disent néanmoins prêtes à discuter sur la mise en place de mesures d’agriculture et d’apiculture plus durables. Un label "Bee Friendly" a été lancé avec la bénédiction du ministère de l’Agriculture lors du dernier Salon de l’agriculture. Il permettra de distinguer les produits respectueux de la santé des abeilles. Il est temps. Car si de nombreux intérêts économiques sont en jeu, l’humanité a bien plus à perdre à la disparition des abeilles. Olivier Belval conclut d'ailleurs: "On peut vivre sans miel, sans apiculteurs, mais pas sans abeilles".

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