Transport gratuits : une efficacité disputée sans amélioration de l'offre
Des transports publics gratuits, comme lancés cette semaine à Montpellier au nom du climat et du pouvoir d'achat, ne suffisent pas à réduire l'usage de l'automobile, l'amélioration de l'offre jouant un rôle bien plus important, selon des spécialistes du secteur.
Au contraire, en coupant ces transports d'une source de financement, même minoritaire, les collectivités auront plus de mal à les décarboner, s'accordent à dire des associations d'entreprises, mais aussi d'usagers.
La gratuité totale des transports constitue "une fausse bonne idée", martèle de longue date l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), qui fédère 170 entreprises du secteur.
La métropole montpelliéraine espère que la gratuité effective depuis jeudi — pour les seuls habitants — entraînera une hausse de fréquentation de 20%, une promesse de campagne du maire (PS) Michaël Delafosse qui défend "une idée de l'engagement européen, du Green New Deal, à savoir le climat et le pouvoir d'achat".
Encore faut-il identifier d'où viendront ces éventuels passagers supplémentaires. Selon l'UTP, "la gratuité totale ne réduit pas la part de la voiture individuelle et (...) prend surtout au vélo et à la marche".
En effet, "ce ne sont en aucun cas des critères économiques qui conduisent les voyageurs à prendre leur voiture individuelle", dont le coût annuel est en moyenne 16 fois plus élevé qu'un abonnement de transport public, "mais des critères de praticité personnelle".
La principale association d'usagers des transports, la Fnaut, est sur la même ligne.
"Si vous avez une correspondance en bus où vous mettez 20 minutes de plus qu'avec votre voiture, vous prendrez votre voiture, quel qu'en soit le prix, il n'y a pas photo", explique à l'AFP son président, Bruno Gazeau.
- "Mur d'investissement" -
"Il vaut mieux utiliser l'argent (perdu à cause) de la gratuité à développer l'offre", avec des réseaux étendus, des voies totalement réservées aux bus pour augmenter leur vitesse moyenne, et des fréquences étoffées en début et en fin de journée, selon lui : "La qualité de service, c'est ce qui fait la différence."
Un message que dit avoir entendu Montpellier : 70 nouveaux bus électriques et 77 nouvelles rames de tramway y ont été achetés pour 224 millions d'euros.
En outre, la gratuité totale menace la capacité du transport public "à répondre aux enjeux de la lutte contre le changement climatique et de l'inclusion sociale", argumente l'UTP.
Un bus électrique coûte aujourd'hui le double d'un véhicule diesel de même capacité, ce qui augure d'un "mur d'investissement" pour respecter les engagements en matière de décarbonation.
Et la gratuité déséquilibre, selon M. Gazeau, le socle du financement qui repose sur deux autres piliers : le versement mobilité (une taxe sur la masse salariale) versé par les entreprises — qui renâclent à son augmentation — et les impôts locaux via les subventions des collectivités.
Les utilisateurs des transports risquent ainsi de ne plus avoir voix au chapitre sur leur gestion, prévient-il : ce serait "un mauvais calcul sur le long terme".
En moyenne, le prix du billet payé par un passager représente moins du tiers du coût de son voyage, selon l'UTP.
Avant Montpellier, d'autres agglomérations de plus petite taille ont lancé la gratuité avec des fortunes diverses. Dunkerque, qui a vu la fréquentation plus que doubler en cinq ans, avait auparavant "augmenté l'offre significativement", selon M. Gazeau.
Mais "là où l'on a fait la gratuité, et que la gratuité, on n'a pas eu d'effet magique de fréquentation". A Aubagne, "ils font deux fois moins de voyages par habitant qu'à Marseille", voisine et payante, démontre le président de la Fnaut.
Et à Tallinn en Estonie qui a rendu gratuits les transports publics il y a dix ans, la part de l'automobile a augmenté, y compris au sein des populations les plus modestes, selon des statistiques gouvernementales.
Plutôt qu'une gratuité totale, la Fnaut et l'UTP défendent des tarifications modulées selon les publics. "En donnant la gratuité aux chômeurs, aux jeunes, aux apprentis, etc., on règle la question du pouvoir d'achat", tranche M. Gazeau.
Et au-delà de l'incitatif, ces organisations militent pour des mesures décourageant l'usage de l'automobile, qui historiquement se sont avérées efficaces, selon elles : restriction de la circulation, péages urbains ou augmentation des tarifs de stationnement.
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