Soigner le patient anglais ou rentrer, dilemme des médecins roumains
L'Angleterre se les arrache, la Roumanie en manque éperdument: après des années d'exode de ses médecins, le système hospitalier roumain caresse l'espoir de retenir le personnel de santé au pays, notamment à la faveur du Brexit.
"J'ai pensé être plus utile en Roumanie". A 37 ans et après huit ans de pratique hospitalière en Angleterre, Horatiu Ioani n'a pas attendu l'éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pour faire ses valises.
Dans son pays d'accueil, ce neurochirurgien passionné avait "l'impression de plafonner (…), de devoir faire tout le temps la même chose", confie-t-il à l'AFP.
De retour en Roumanie depuis deux ans, il enchaîne les interventions délicates à l'hôpital Colentina de Bucarest et assure que parmi ses jeunes collègues, "les discussions autour d'un départ sont moins fréquentes qu'avant".
Il en faudrait plus pour renverser la tendance après une décennie d'hémorragie démographique des personnels de santé roumains mais Catalina Bamford, étudiante en médecine à Bucarest, le constate aussi: "beaucoup de gens de ma génération ont décidé de revenir en Roumanie", entrevoyant des signes d'améliorations dans les carrières médicales.
Depuis l'entrée de la Roumanie dans l'UE en 2007, plus de 14.000 praticiens ont quitté le pays pour s'installer dans le reste de l'Europe, attirés par de meilleurs salaires, conditions de vie et d'exercice de la médecine.
- Désertification médicale -
Avec la France, la Grande-Bretagne est l'un des pays les plus plébiscités: quelque 4.500 praticiens roumains y exercent leur profession, selon le président du Collège des médecins Gheorghe Borcean.
Du coup, l'ancien pays communiste aux infrastructures hospitalières vieillissantes doit se débrouiller avec l'une des plus faibles densités médicales de l'UE, à peine 58.000 cliniciens pour 19 millions habitants.
Plus grave, c'est la "répartition inéquitable" qui pose problème: si environ 35.000 médecins pratiquent à Bucarest et dans six autres grandes villes, des territoires entiers du pays sont quasiment privés d'accès aux soins, déplore M. Borcean.
"Notre principal problème est la pénurie de médecins", confirme à l'AFP la dynamique directrice de l'hôpital de Slobozia (est), Mariana Iancu. Cet établissement compte 138 cliniciens et aurait besoin de 40 praticiens supplémentaires, sans compter la vingtaine qui officiellement ont pris leur retraite mais continuent à exercer.
Récemment toutefois, plusieurs jeunes ont demandé d'y être embauchés, se félicite-t-elle.
Si en 2016, 80% des étudiants en médecine et des internes affirmaient vouloir quitter la Roumanie à l'issue des études, l'exode s'est depuis tari, estime le dr Borcean.
Infirmière à Londres depuis dix ans, Adriana Silisteanu n'est pas prête à franchir le pas. Elle craint certes que le Brexit n'attise un certain "racisme" qu'elle avait déjà ressenti au lendemain du "oui" au référendum de 2016 sur la sortie de l'UE.
- Cadeau au secteur hospitalier -
Il s'agirait toutefois d'un épiphénomène, estime-t-elle, car en Angleterre, "les personnels de santé sont appréciés et vus comme des gens prêts à se sacrifier pour le bien des autres". En Roumanie, les jeunes praticiens "n'ont même pas le droit à une opinion", déplore l'infirmière.
Et ce n'est pas le seul obstacle à son retour: "je n'ai jamais accepté les pots-de-vin que m'offraient les malades. Or si je rentrais, je devrais m'aligner sur le comportement des autres" et fermer les yeux sur la corruption qui gangrène toujours le secteur, souligne Mme Silisteanu.
"Le Brexit ne m'affectera pas", assure de son côté Andrada Golumbeanu, psychiatre à Bradford, dans le nord de l'Angleterre.
Elle est persuadée que les autorités britanniques, déjà confrontées à une grave pénurie de médecins dans le système de santé public où près de 100.000 postes sont vacants, feront ce qu'il faut pour garder les praticiens étrangers au Royaume-Uni en cas de divorce avec l'UE.
Les motivations des médecins roumains qui partent à l'étranger sont multiples, relève le président du Collège des médecins. S'il y a des critères non quantifiables, tel "le respect de la société envers la profession", les rémunérations continuent de jouer un rôle important.
Conscient des attentes des personnels de santé, le gouvernement social-démocrate roumain a frappé fort début 2018 en doublant quasiment les salaires dans le secteur public hospitalier.
Une infirmière touche désormais environ 1.200 euros par mois tandis qu'un spécialiste peut gagner jusqu'à 4.000 euros, dans l'un des pays les plus pauvres de l'UE où le salaire moyen net est de 600 euros.
"Mais si leurs espoirs sont déçus, ils repartiront certainement à nouveau", prévient l'étudiante en médecine Catalina Bamford.
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