Emmanuel Macron : les dessous d'un programme sur l'immobilier hostile aux collectivités et aux propriétaires

Auteur(s)
Jean-Yves Archer
Publié le 18 avril 2017 - 17:25
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Le candidat à la présidentielle d'En marche! Emmanuel Macron le 14 avril 2017 à Montbonnot Saint-Mar
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© JEFF PACHOUD / AFP/Archives
Emmanuel Macron s'est engagé à exonérer de taxe d'habitation 80% des ménages qui en sont aujourd'hui redevables.
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Lors de son meeting à Pau tenu mercredi dernier, Emmanuel Macron a réaffirmé son indépendance et son intention d'instaurer de nouvelles mesures fiscales concernant l'immobilier, comme l’exonération de la taxe d’habitation ou la réforme de l'ISF. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" les propositions du candidat d'En Marche en matière de fiscalité immobilière.

Lors de son meeting à Pau tenu le mercredi 12 avril –sous le regard ostensiblement attendri de François Bayrou– , Emmanuel Macron s'est livré à quelques minutes d'introspection. Contrairement à certaines envolées précédentes que des observateurs politiques ont été jusqu'à qualifier de "christiques", le candidat d'En Marche a dans ce cas précis été sobre, concis et factuel. Ainsi, il a reconnu que par sa formation et par son parcours professionnel, il avait fait partie d'un "entre-soi " et a immédiatement affirmé qu'il était "libre" de ces liens relevant de son passé.

Certains lecteurs auront l'amabilité d'y croire. A des degrés divers. D'autres plus au fait de la vie politique française, de la structure pyramidale de notre société, du poids respectifs des obédiences et des obligeances savent bien que tout candidat est toujours redevable de puissances qu'elles soient financières ou représentatives d'intérêts privés divers voire philosophiques. Jusque-là, rien de choquant ni d'anormal si les participants à la course vers l'Elysée n'exposaient pas candidement des affirmations sans fondement crédible.

Emmanuel Macron n'est pas devenu candidat puis favori à une présidentielle sans de lourds appuis aussi majestueux et puissants que les piles du viaduc de Millau. Faire croire qu'En Marche est une petite entreprise est tout simplement une fable. Il suffit de prendre conscience du rôle assidu et dynamique de Jean-Paul Delevoye (ancien président du CESE) en tant que responsable des investitures aux élections législatives. Pour ne citer que lui.

Or, précisément, de nombreuses obligeances existent sur le plan économique. En Marche est une ruche notamment monitorée par Jacques Attali et par Jean Pisani-Ferry, l'ancien dirigeant de France Stratégie (anciennement le Commissariat général au Plan) sous le regard de Jean-Hervé Lorenzi. Dans un secteur essentiel à la vie économique et à la satisfaction des besoins primaires du public, à savoir l'immobilier, Emmanuel Macron a été fort mal inspiré.

Par volonté de disposer d'une mesure attrayante dans ce domaine, il s'est engagé à exonérer de taxe d'habitation 80% des ménages qui en sont aujourd'hui redevables. Outre que cette mesure coûtera plusieurs milliards à l'Etat, elle est dangereuse à plus d'un titre. Tout d'abord, elle va évidemment accentuer une partie de la charge qui sera imputée aux 20% les plus favorisés. Or, on peut fort bien ressortir comme favorisé via la taxe d'habitation sans l'être véritablement par le niveau de ses revenus.

Puis, il faut garder à l'esprit que la taxe d'habitation est un impôt de répartition. Autrement dit, les communes et les départements prédéfinissent les recettes escomptées puis aboutissent à des taux de prélèvement selon le total des valeurs locatives qu'elles englobent territorialement. Sachant que l'Etat veut imposer une forme de disette budgétaire aux collectivités territoriales (voir les interventions respectives des présidents Bussereau et Baroin au nom des départements et des maires), cela revient à programmer mécaniquement une continuité de la hausse des impôts locaux ou une dégradation de nos villes alors asphyxiées.

Fins stratèges, les économistes qui entourent Emmanuel Macron ont donc devancé la grogne fiscale en la ciblant de facto sur des catégories usuellement calmes. En clair, En Marche a choisi l'art de la tonte des moutons les moins fougueux et connaît bien l'histoire britannique dans la mesure où la Première ministre Thatcher avait eu fort à faire avec l'opposition à sa "poll-tax".  Sans doute possible, comme l'a dit le président du Sénat Gérard Larcher, il est hautement probable que l'Etat ne compense pas à l'euro près le manque à gagner des collectivités territoriales. Cela, l'ancien inspecteur des Finances qu'est Emmanuel Macron le sait pertinemment mais ne le dit pas.

Deuxième élément du programme immobilier de Macron qui pose question: la réforme de l'ISF.

Le candidat a indiqué avec netteté qu'il voulait sortir de la base imposable les capitaux destinés au financement de l'économie. Comme dirait Jacques Cheminade, l'argent qui bouge et spécule. En revanche, il veut maintenir la pression fiscale sur les actifs immobiliers en oubliant au passage de préciser que cette mesure n'est pas neutre. Sachant que les prix de l'immobilier augmentent régulièrement (de 4 à 5% en moyenne) mais que le barème et les seuils de l'ISF ne sont pas modifiés par le législateur, cela revient à accroître chaque année davantage le nombre d'assujettis à l'ISF.

Ainsi, les très riches pourront se reposer en compagnie de leurs gestionnaires de fortune en cherchant les niches fiscales là où le bon père de famille décrit par le Code civil et la jurisprudence subira pour son appartement de famille ou son immobilier de rapport.

Troisième élément, la sphère inventive du macronisme.

Emmanuel Macron est sincèrement impressionné par la densité intellectuelle de Jean Pisani-Ferry à qui il vaut toutefois mieux confier la gestion d'un modèle économétrique que celle d'une épicerie. Or, cet économiste a une conviction chevillée aux neurones: il faut créer un nouvel impôt sur les propriétaires de résidence principale qui serait assis sur une quote-part du loyer qu'aurait eu à payer ces propriétaires s'ils étaient locataires.

Vous avez bien lu. Un esprit directement issu de "l'entre-soi" estime réaliste de taxer une valeur non réelle mais putative. Et a su en convaincre l'énarque et ancien banquier. Si René Monory ou Pierre Bérégovoy étaient encore parmi nous, "ils tomberaient de l'armoire". Qu'on le veuille ou non, il n'y a pas de fumée sans feu et France Stratégie a bel et bien échangé à ce sujet avec les fiscalistes de Bercy. 

Au total, le dynamique candidat Macron sait jouer de l'ambiguïté. Une chose est acquise, il est brouillé avec l'immobilier et son logiciel personnel –épaulé par ses amis– ne voit dans ce secteur qu'un troupeau de rentiers au mépris d'un droit fondamental: celui d'avoir un toit et de vouloir vivre librement de son épargne sereinement investie.

Tout ceci et cette éventuelle agitation fiscale pourrait bien -demain?- se retrouver devant le Conseil constitutionnel.

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