Après le scandale R. Kelly, l'industrie de la musique va-t-elle se mettre au #MeToo ?
Très en retrait, jusqu'ici, du cinéma, de la télévision ou des médias sur le mouvement #MeToo, le monde de la musique a finalement été remué par la polémique autour du chanteur R. Kelly, qui pourrait provoquer un changement de culture.
Le champion du R&B des années 90 était accusé de pédophilie et d'agressions sexuelles depuis des décennies, mais échappait encore à la vindicte populaire, soutenu par un public fidèle.
Mais le documentaire "Surviving R. Kelly", acte d'accusation implacable, long de six heures, diffusé début janvier, a fait suffisamment de bruit pour faire passer le chanteur de 52 ans de suspect à paria.
Le mouvement #MuteRKelly (faites taire R. Kelly), lancé depuis Atlanta en 2017, dit avoir entraîné l'annulation de 12 concerts, dont certains prévus en Europe, et fait perdre à l'artiste environ 1,75 million de dollars.
"R. Kelly a été capable d'acquérir du pouvoir et un statut qu'il utilise pour s'éviter d'avoir à rendre des comptes", explique à l'AFP Kenyette Barnes, co-fondatrice de l'organisation.
Leur action, dit-elle, "envoie un message à l'industrie du disque et du divertissement, qui ont eux-mêmes un intérêt financier à diffuser sa musique: nous disons non."
Pour la sociologue et activiste Shanita Hubbard, la complaisance dont a longtemps bénéficié Robert Kelly, de son vrai nom, tient, pour partie, au fait que ses victimes présumées étaient des femmes noires issues de milieu modeste.
"Les Etats-Unis ont tendance à ignorer les femmes en général, mais c'est encore bien pire pour les femmes noires", dit-elle.
Pour Moya Bailey, professeure à l'université Northeastern et militante de la cause féminine afro-américaine, l'idée persiste dans l'imaginaire collectif que les femmes noires attirent à elles la violence.
"Depuis l'esclavage, les gens ont cherché à justifier la violence contre les femmes noires, en particulier les violences sexuelles", dit-elle. "On présente notamment les femmes noires de façon hypersexualisée pour expliquer comment elles sont traitées."
- "La société y vient" -
Dans le cas de R. Kelly, le fait que l'artiste soit lui-même noir a contribué à ce qu'il bénéficie longtemps du doute, une partie importante de la communauté noire se méfiant du système judiciaire américain.
"Les gens veulent protéger Kelly dans un monde où des hommes noirs ont été et continuent à être mis en prison injustement", estime Moya Bailey. Mais pour, elle, ce "mélange est vraiment dangereux".
Même si son cas est sans doute l'un des plus sérieux, R. Kelly est loin d'être le seul chanteur ou musicien accusé de violences sexuelles.
Le chanteur américain Chris Brown a été interpellé mi-janvier à Paris après qu'une femme l'a accusé de viol, allégations qu'il réfute en bloc.
Il avait été condamné en 2009 pour coups et blessures sur la chanteuse Rihanna, dont il partageait la vie, à l'époque.
Le producteur de rap Russell Simmons a été accusé d'agressions sexuelles et de viols par plusieurs femmes. Bien qu'il ait nié ces faits présumés, il a démissionné, fin 2017, de toutes fonction au sein de ses sociétés.
Mais beaucoup d'artistes continuent de travailler dans la musique malgré les accusations, souligne Moya Bailey, pour qui l'industrie "considère le harcèlement comme la norme".
Encouragée par les premiers résultats de sa campagne, qui dure depuis près de deux ans déjà, Kenyette Barnes est néanmoins optimiste.
Après un premier volte-face en mai 2018, lors de laquelle elle s'en était prise directement à R. Kelly avant de faire marche arrière, la plateforme de musique en ligne Spotify permet désormais de bloquer certains artistes.
Au terme de mois de silence radio, Sony, a décidé de ne plus collaborer avec R. Kelly, qui faisait partie de l'écurie de sa filiale RCA.
"Rome ne s'est pas construite en un jour", dit-elle. "Il va falloir du temps pour démonter tout ça. Mais la société y vient."
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