L’État de droit s’effrite en Europe : la France "en glissement" épinglée pour de nombreuses violations


Les libertés sont en baisse en Europe. Cette fois-ci, ce n’est pas le vice-président américain J.D. Vance qui le déclare. C’est un rapport publié lundi 17 mars 2025, par l’Union des libertés civiles pour l’Europe. Selon le document, intitulé “Liberties Rule of Law”, l’État de droit est “remis en cause” dans le Vieux Continent. Et si certains pays, qualifiés de “déconstructeurs”, sont ouvertement pointés du doigt, le rapport révèle une détérioration générale dans tous les aspects fondamentaux de l’État de droit. La France, qui figure dans la liste des pays “en glissement”, connaît une baisse de son cadre de lutte contre la corruption et de ses équilibres de pouvoir. Le système judiciaire stagne tandis que “la liberté de la presse est en hausse” malgré de nombreux épisodes polémiques dont France-Soir se fait régulièrement le relai.
Dans son rapport de 1 000 pages, réalisé pour cette sixième édition par 43 organisations de défense des droits de l’Homme de 21 États membres de l’UE, l'Union des libertés civiles pour l'Europe, qui a coordonné ce travail, note une persistance des violations et une détérioration générale. Cette étude se base sur des indices comme le système judiciaire, la lutte contre la corruption ou encore la liberté des médias, qui sont confrontés à des problèmes “persistants et systémiques”.
Les nationalistes critiqués, l’État de droit en baisse en France
Viktor Zoltán Kazai, expert en matière d'Etat de droit à l'Union des libertés civiles pour l'Europe est l'un des auteurs du rapport. Il cite particulièrement l’Italie de Giorgia Meloni, la Slovaquie de Robert Fico, la Roumanie, où la dernière présidentielle a été annulée après une première victoire de Calin Georgescu, et la Hongrie de Viktor Orban. "La raison est que l'UE n'est pas assez forte dans ses réponses au déclin de l'État de droit. Si les violations de l'État de droit sont autorisées, même tacitement, cela encourage les chefs de gouvernement à détériorer davantage l'État de droit", a-t-il déclaré.
Les États membres de l’UE sont ainsi classés en trois catégories. La Grèce, l’Irlande, Malte, l’Espagne ou encore les Pays-Bas font partie des pays en stagnation, où les paramètres sont restés statiques. Les pays qui ont connu une victoire des nationalistes n’ont pas non plus le vent en poupe, considérés comme les “déconstructeurs” de l’État de droit. A l’Italie, la Hongrie ou la Slovaquie s’ajoutent la Bulgarie et la Croatie.
Les “travailleurs acharnés” comme l’Estonie et la République tchèque ont montré des signes d’amélioration tandis que “l’exemple à suivre” est ... la Pologne, qui, malgré ses efforts à “restaurer l’indépendance et le pluralisme” ... n’a pas réalisé de progrès majeurs.
La Belgique, l’Allemagne ou la Suède font partie des “pays en glissement”, au même titre que la France. Dans son résumé, le rapport note un affaiblissement du cadre de la lutte contre la corruption et des droits humains dans l’Hexagone, mais “une amélioration des libertés des médias” alors même que le pays connaît des cas préoccupants comme des procédures-bâillons, des atteintes au secret des sources ou des gardes à vue de journalistes.
Le rapport note que la France continue d’ignorer les recommandations de la Commission européenne sur l’État de droit. Certes, des moyens financiers supplémentaires ont été alloués à la justice, mais cette réforme s’accompagne d’un renforcement du contrôle de la police judiciaire par les préfets et le ministère de l’Intérieur. Une décision qui affaiblit dangereusement l’indépendance du pouvoir judiciaire et compromet la séparation des pouvoirs. Quant à la Cour de justice de la République, elle persiste à illustrer son manque criant d’impartialité, alimentant davantage la défiance envers les institutions.
Sur le front de la liberté de la presse, la situation reste préoccupante. Si la France a légèrement progressé dans le classement de Reporters sans frontières, cette apparente amélioration ne doit pas masquer une réalité plus sombre. La concentration des médias entre les mains d’une poignée de magnats de la finance et de l’industrie constitue une menace grandissante pour le pluralisme et l’indépendance de l’information, note le rapport. Une alerte qui, comme tant d’autres, semble être balayée d’un revers de main par les autorités. En outre, le paysage audiovisuel français a connu des changements majeurs en 2025, avec la disparition définitive des chaînes C8 et NRJ12 de la TNT le 28 février dernier.
Dans l’arène politique, le document regrette un recours excessif au 49.3, utilisé pas moins de 23 fois en 2023, vidant peu à peu le Parlement de son rôle législatif. La forte opposition de la population à la réforme des retraites a été ignorée.
L’espace civique est également sous pression. La loi sur le séparatisme, censée lutter contre les dérives extrémistes, est utilisée de manière jugée abusive pour dissoudre des associations et interdire des manifestations. Pendant ce temps, les mouvements écologistes se retrouvent sous étroite surveillance des services antiterroristes et l’activisme est, selon le rapport, de plus en plus criminalisé.
Abolir l’article 49.3 et la Cour de justice de la République
Enfin, le mépris des droits humains atteint un nouveau palier, rappelle l’Union des libertés civiles pour l’Europe. “Surpopulation carcérale, violences policières, profilage racial et expulsions vers des pays où la torture est pratiquée” sont dénoncés par la société civile et les instances internationales.
Le rapport formule plusieurs recommandations pour renforcer l’État de droit en France. Il préconise notamment l’abolition de la Cour de justice de la République et la restauration de l’indépendance de la police judiciaire. Il recommande également que le pouvoir de permettre à une association d’engager des poursuites pour corruption ne relève plus du gouvernement, mais d’une autorité indépendante. Le cas de l'association Anticor en est un exemple.
Une transparence accrue est aussi suggérée, avec la création d’une plateforme unifiée pour publier toutes les interactions entre lobbyistes et décideurs publics, permettant ainsi aux citoyens d’y opposer une contre-expertise. Pour garantir une réelle indépendance judiciaire, le rapport propose en outre que les enquêtes sur l’intégrité des responsables publics soient confiées exclusivement à des magistrats indépendants, plutôt qu’à des procureurs sous l’autorité du ministre de la Justice.
Il appelle également à supprimer la notion floue de "prépondérant impératif d’intérêt public" de la loi sur la protection des sources journalistiques, afin d’éviter les abus contre la presse. Enfin, il insiste sur l’abolition de l’article 49.3, dont l’usage excessif affaiblit l’équilibre des pouvoirs et porte atteinte au bon fonctionnement démocratique.
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