A cœur perdu : « Au huitième électrochoc le cœur est reparti » grâce aux pompiers

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Corine Moriou pour France-Soir
Publié le 04 octobre 2024 - 11:35
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à coeur perdu
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Le jeu chorégraphié et sensuel de Carmen Vadillo rehausse l’aventure peu commune d’Emmanuelle de Boysson dans le spectacle « A cœur perdu » au théâtre Essaïon
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Hervé Bentégeat a osé au théâtre une adaptation originale du livre « Un coup au cœur » d’Emmanuelle de Boysson. Il met en scène avec subtilité et poésie l’expérience de mort imminente (EMI) de la romancière. Un défi réussi. 

Emma est morte le 7 février 2022. Son cœur a cessé de battre pendant trente minutes.

Au huitième électrochoc le cœur est reparti.

« Je ne me suis aperçue de rien. Ca s’est passé comme si je m’endormais. C’était doux, presque un soulagement. » Sur scène, une femme seule. Elle nous prend la main et raconte son histoire. Cette femme revient d’un long voyage. Elle a vécu ce que l’on appelle une Expérience de Mort Imminente (EMI), à la fois terrifiante et merveilleuse. C’est un pays lointain où les sensations et les émotions sont d’une intensité si belle et enveloppante qu’Emma repousse le moment de revenir sur terre.

Cette pièce superbement jouée par Carmen Vadillo au Théâtre Essaïon à Paris est inspirée de l’histoire vraie que la romancière Emmanuelle de Boysson a vécue. Elle nous en fait le récit avec une grande sincérité dans son livre « Un coup au cœur » paru aux Editions Calmann-Lévy en 2024 et salué par la critique littéraire. 

Emmanuelle de Boysson a été « repêchée » in extremis, ou plutôt ressuscitée. Un vrai miracle. « Par chance, mon compagnon était à la maison, car ce jour-là il devait écrire la nécrologie d’un auteur décédé. C’est donc grâce à un mort que je suis vivante ! J’avais la nausée, j’ai pris un doliprane, ça n’allait pas mieux. J’ai dit : « Je vais mourir ». Anthony m’a fait un massage cardiaque dont il avait le vague souvenir d’un apprentissage dans sa jeunesse. Il a lutté sans relâche, m’a abandonnée trois minutes pour ouvrir la porte aux pompiers », nous relate la romancière lors de la deuxième représentation au théâtre Essaïon.
Ce soir-là, des amis étaient au rendez-vous dont la discrète Marie de Hennezel, psychothérapeute, auteure et figure éminente de l’accompagnement en fin de vie et du « bien-vieillir ». Egalement présent Jérôme-Arnaud Wagner, auteur du best-seller « N’oublie pas que je t’aime racontant le décès de sa femme suite à une erreur médicale.   

Une mise en scène subtile et pleine de poésie d’Hervé Bentégeat

A partir d’un livre, une pièce de théâtre.

Hervé Bentégeat, Emmanuelle de Boysson, Carmen Vadillo, sur la scène d’A cœur perdu  au Théâtre Essaïon. DR

 

Hervé Bentégeat, journaliste et auteur (dont Meilleurs alliés qui lui a valu le Prix du Jeune Théâtre de l’Académie Française en 2019), s’est lancé un défi : adapter en une heure le livre d’Emmanuelle de Boysson riche en personnages, lieux divers et réminiscences du passé.

C’est une réussite. L’auteur a volontairement élagué les passages qui se déroulent à l’hôpital Cochin où Emmanuelle est plongée dans le coma, dans le « schwarz » entre la vie et la mort. Il a laissé de côté les aspects médicaux, l’entourage familial, les amis pour s’attacher à l’expérience solitaire, intime et spirituelle de la survivante.   

« Je suis attiré par le couple Eros et Thanatos, l’amour et la mort, très présent dans le livre d’Emmanuelle. Mais j’ai voulu mettre l’accent sur ce voyage au paradis », explique-t-il sobrement.

L’adaptation de cette dramaturgie est originale et sensible et transcende les dures réalités de l’existence. Le spectateur s’évade, rêve… Et si c’était lui demain ?

Le décor est minimaliste : un lit, une chaise, un tapis de couleur… et un MacBook Pro sur la table. 

Avec les mots de la romancière, mais aussi avec ses propres mots, Hervé Bentégeat nous offre un hymne à la vie. Il s’est affranchi de tout ce qui est sombre, morbide dans l’expérience d’Emmanuelle.

Le texte est beau, poétique d’un bout à l’autre de la pièce. « Ce n’est pas l’écriture qui m’a demandé le plus de temps, mais la mise en scène et la direction d’acteur», note Hervé Bentégeat. Une actrice, en l’occurrence !

Ce one-woman-show est une performance pleine d’allégresse. On entend le cœur d’Emma palpiter. Bien entendu, on connaît l’issue « heureuse » de l’histoire. Mais l’on peut comprendre qu’Emma n’ait aucun désir de revenir sur cette bonne vieille planète.

« Pour ceux qui trouvent la vie difficile, cette pièce est un message de paix, de détachement, de bienveillance. Elle donne des pistes pour une vie meilleure respectueuse des êtres et de la nature », souligne une Emmanuelle de Boysson, transfigurée par cette expérience peu commune.

Carmen Vadillo apporte grâce et sensualité au spectacle

« Je me sens légère, légère. Je rajeunis, mincis, embellis. Je porte une robe en mousseline. Une brise fraîche caresse ma peau. Je ne suis jamais venue dans cet endroit et pourtant je le reconnais. C’est chez moi ! Je ne me suis jamais sentie aussi heureuse. Accueillie, follement aimée. »

La comédienne polyglotte Carmen Vadillo, d’origine espagnole, donne une tonalité toute particulière au roman d’Emmanuelle de Boysson. Les deux femmes n’ont pas le même âge, la même nationalité, le même parcours, mais elles semblent être des sœurs d’âme. En communion avec l’au-delà ! 

C’était un parti pris osé de choisir cette artiste. Hervé Bentégeat a vu juste. Carmen Vadillo apporte grâce et sensualité à un spectacle dont le sujet est grave.

L’amour d’Anton a sauvé Emma. « Je perds connaissance. Toi les mains l’une sur l’autre. Tes avant-bras bien tendus, tu as appuyé de toutes tes forces sur mon plexus. 1,2,3,4,5. Tu continues. 1,2,3,4,5,6,7,8,9. Un rythme plus rapide… », s’époumone-t-elle.

Il aura fallu un huitième électrochoc pour que le cœur reparte. Si les pompiers avaient renoncé, le médecin aurait constaté le décès.

A l’hôpital, Emma est dans le coma. Elle flirte avec la mort, entre attirance et répulsion, mais jamais la comédienne ne tombe dans le pathos. Elle gémit, crie : « Pourquoi n’es-tu pas là ? Sors moi de là. Lance moi une corde. Remonte moi ! » Le ciel peut attendre…

Les frontières entre les vivants et les morts s’estompent.

Dans un jeu sensible et chorégraphié, sur des musiques et chansons de Pink Floyd et Françoise Hardy, la comédienne danse, chante, flotte entre deux mondes. Sa beauté solaire rehausse l’aventure d’Emmanuelle de Boysson.

Basculement. La vie reprend le dessus. La malade ne boude plus le monde d’ici. Elle s’émerveille de ces petits riens qui font le bonheur au quotidien. Il y a un « avant » et un « après ».

De retour chez elle, très vite, elle veut coucher sur le papier ses émotions. Elle en est incapable… tempête… se remet à l’ouvrage…

Cela deviendra le roman d’Emmanuelle de Boysson « Un coup au cœur ». Une Emmanuelle transformée démarre une seconde vie. 

Affiche « A cœur perdu », Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard. 75004 Paris. lundi et mardi à 21 heures. www.essaion.com

 

« Un coup au cœur » Emmanuelle de Boysson, Editions Calmann-Levy, 18 euros, en vente au théâtre Essaïon et dans les librairies.

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