Angoulême 2015 : Fauve d'Or du meilleur album pour "L'Arabe du futur" de Riad Sattouf

Auteur(s)
Pierre Plottu
Publié le 01 février 2015 - 19:36
Mis à jour le 03 février 2015 - 17:46
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"L'Arabe du futur".
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La couverture de "L'Arabe du futur", de Riad Sattouf.
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Le jury du Festival international de la BD d'Angoulême a décerné à Riad Sattouf le Fauve d’or du meilleur album pour "l’Arabe du futur", où l'auteur-dessinateur présenté comme l'un des plus talentueux de sa génération conte son histoire en bande dessinée. Un récit qui livre, à travers ses yeux d'enfant, la réalité de la vie quotidienne dans les dictatures libyenne et syrienne des années 1980.

Le Fauve d'or du meilleur album du 42e Festival d'Angoulême a été décerné ce dimanche à Riad Sattouf pour L'Arabe du futur: une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) (Allary Editions, 20,90 euros), un roman graphique sur son l'enfance de ce fils d'une mère bretonne et d'un père syrien.

"Ce livre raconte l'histoire vraie d'un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d'Hafez Al-Assad". Ces quelques mots sont les seuls inscrits sur la –sobre– quatrième de couverture du premier tome de la BD autobiographique de l'auteur-dessinateur Riad Sattouf, déjà récompensé par le festival d'Angoulême en 2010. Un récit tout à la fois tendre, hilarant et parfois poignant.

Paris, la Sorbonne, début des années 1970. Pompidou est à l’Élysée et Abdel-Razak, qui n'est pas encore le père de Riad, vient d'arriver en France. C'est dans la prestigieuse université de la capitale, à la cafétéria précisément, qu'il fait la rencontre de sa future femme, Clémentine.

Étudiant syrien rêvant de devenir médecin, fan de Radio Monte-Carlo et adepte du panarabisme, Abdel-Razak croit en un "Arabe du futur" éduqué, moderne et débarrassé de toute bigoterie. Diplôme d'Histoire contemporaine en poche, il décide d'accepter un poste d'enseignant à Tripoli, capitale d'une Libye sous l'emprise du Guide Kadhafi (qu'il admire), où il débarque au début des années 1980 avec femme et enfant.

Avec son trait simple et rond et ses dialogues ciselés, Riad Sattouf, 36 ans aujourd'hui, mais à peine 4 dans le récit, entraîne le lecteur dans son univers de petit garçon déraciné. Il dépeint très crûment une Libye où les chantiers désertés sont légions et où les rations distribuées au peuple sont parfois constituées uniquement de bananes, car "le Guide dit que c'est le fruit du peuple", lui dit-on alors... 

En filigrane, on sent la démesure –pour ne pas dire la folie– du colonel Kadhafi. Malgré l'enfance somme toute heureuse de l'auteur, il se dessine très vite, tout en non-dits, la dureté de la réalité dans laquelle il évolue.

La période libyenne (s'étalant sur quatre ans environ) est également l'occasion de découvrir la branche syrienne des Sattouf. Une famille que Riad et ses parents rejoindront plus tard, après une parenthèse en France, dans leur village situé tout près de Homs. 

On y découvre un pays écrasé par la dictature d'Hafez Al-Assad et la corruption, mais surtout un peuple hanté au quotidien par la haine des Juifs, peuple honni depuis la défaite de la guerre du Kippour. 

En Syrie, la violence est omniprésente. Dans le village où tout le monde est au moins cousin, les cheveux blonds du petit Riad lui valent d'être assimilé à un Juif, car différent. Ici, la misère quotidienne qui ne touche pourtant pas sa famille apparaît plus clairement. Comme lorsque l'auteur réalise que les chaussures de ses amis ne sont en réalité que des moulages en plastique, d'une seule pièce, de modèles de baskets à la mode.

Un instantané

En découle une ambiance particulière, où la légèreté des souvenirs d'enfant se mêle à une atmosphère parfois pesante. Mais, loin de toute dramatisation, Riad Sattouf livre un récit parsemé de traits d'humour. A l'instar de ce passage où l'on apprend que, depuis que sa mère lui a dit un jour que "Brassens est un dieu en France", à chaque fois que Riad entend le mot "dieu", il voit la tête du chanteur à la pipe...

Tournant autour de la figure paternelle d'Adbel-Razak, personnage plein de contradictions déroutant et maladroit, l'autobiographie dessinée de Sattouf est presque un journal intime. Une histoire parsemée de souvenirs révélateurs d'une époque, sorte de photographies instantanées et sans artifice de ce qu'était la vie quotidienne dans les dictatures libyenne et syrienne au début des années 1980. 

Premier tome d'une série annoncée comme devant en comprendre trois, cet épisode inaugural est sobrement baptisé "Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)". De l'aveu même de l'auteur, c'est le terrible conflit syrien, pays de ses ancêtres, qui l'a poussé à écrire son histoire. Mais il a attendu que le reste de sa famille ait pu fuir la région de Homs et soit en sécurité à Paris avant de le publier. 

Reste désormais à attendre les deux prochains épisodes, qui devraient paraître en 2015, puis 2016. Car l’auteur est débordé. Par ses activités de dessinateur de BD (Pascal BrutalLa Vie secrète des jeunes…) et de presse (Charlie Hebdo, notamment).

Mais aussi par sa carrière au cinéma. Comme acteur dans de petits rôles (Gainsbourg, vie héroïque, de Joann Sfar ou La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli), mais surtout comme réalisateur: son premier film, Les Beaux gosses, a été un des succès surprises en 2009, et son deuxième, Jacky au royaume des filles, sorti l'an passé.

 

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