"Madeleine, Résistante", bientôt 97 ans et pressée de raconter la Libération
Madeleine Riffaud, résistante sous l'Occupation, combattante lors de la Libération, n'a pas parlé de cette période pendant un demi-siècle. Elle le fait maintenant en bande dessinée, à bientôt 97 ans, et elle est pressée qu'on la lise.
La BD "La Rose dégoupillée", premier des trois tomes de ses mémoires de guerre, sort chez Aire Libre (Dupuis) vendredi. Elle raconte son enfance en Picardie, son séjour en sanatorium dans les Alpes au début de la guerre et son arrivée à Paris en pleine Occupation, où, encore mineure, elle s'engage dans la Résistance. Le dénouement du conflit mondial attendra.
"Quelquefois, ça m'énerve. Je voudrais en être déjà à l'insurrection de Paris!", dit-elle à l'AFP dans son appartement de la capitale.
Ce n'est pas la première fois qu'elle livre ce récit: un livre d'entretiens avait vu le jour lors du cinquantenaire de la Libération ("On l'appelait Rainer"), et un documentaire en 2010 ("Les Trois Guerres de Madeleine Riffaud"). Mais le projet lui tient particulièrement à coeur.
D'abord, dit-elle, "on a un dessinateur formidable", Dominique Bertail, qui avait déjà mis en images le débarquement en Normandie du photographe Robert Capa. En regardant le résultat, "je suis contente, évidemment!".
- "Tu vas l'ouvrir?" -
Ensuite, cette bande dessinée, "il faut que les jeunes la lisent. Pas seulement les jeunes: les grands aussi, de 30, 40 ans".
Tout est né d'une injonction de Raymond Aubrac de parler enfin, à l'occasion de ce cinquantenaire en 1994.
L'homme qui avait connu la Résistance intérieure et celle depuis Londres avait alors lancé à Madeleine Riffaud: "Est-ce que tu vas l'ouvrir, oui ou non? Pour moi il n'en était pas question. Il a répondu: et tes copains qui ont été fusillés à 17 ou 18 ans? Avec des arguments pareils, je ne pouvais plus rien. C'était salaud quand même. Il m'a dit: c'est nécessaire. Et ça m'a plutôt fait du bien", se souvient-elle.
Puis, en allant à la rencontre d'écoliers, "ma mémoire s'est ranimée. Ils me posaient des questions sympa, sur des aspects pratiques. Ces mômes-là m'ont rendu la mémoire. Ça fait maintenant plus de 25 ans, et je continue".
Le scénariste de "Madeleine, Résistante", Jean-David Morvan, confie à l'AFP détenir "des centaines d'heures d'enregistrement" de la vieille dame. "Il faut recouper, c'est beaucoup de travail. Madeleine raconte de manière très organique, avec des digressions, mais elle suit un fil, et finit toujours par y revenir".
- Amnésie post-traumatique -
Il s'est beaucoup déplacé depuis Reims pour la voir, ou l'a écoutée au téléphone. "Quelquefois cinq minutes, quelquefois deux heures: ça dépend de ma mémoire", explique-t-elle. "J'ai des problèmes avec ma mémoire: elle est prodigieuse, c'est vrai, mais j'ai été aussi amnésique après la Libération, pendant de longs mois, d'une amnésie post-traumatique. Je n'avais pas bien supporté les centres de torture de la Gestapo. Et j'avais fait des trucs absolument dingues pendant l'insurrection".
Faire remonter les souvenirs est forcément douloureux. "Maintenant se profile le moment où je vais devoir parler de mon arrestation, et des centres de torture. Ça me file des cauchemars. J'aime pas tellement ça. Hier il (Jean-David Morvan) était tranquille chez lui, et je lui téléphone, en catastrophe: Jean-David, ce matin je me suis réveillée en sursaut, j'ai tout retrouvé de la rue des Saussaies (l'un des sièges de la Gestapo à Paris, ndlr), écoute-moi!"
Et de donner des détails ahurissants sur ces interrogatoires, auxquels certains de ses camarades ont succombé. Pas elle, qui a survécu non seulement à une exécution qui lui semblait promise pour avoir tué un officier allemand, mais aussi à la tuberculose, à un attentat de l'OAS en 1962, à de longues années comme reporter de guerre (en Algérie et au Vietnam) et au choléra contracté au Congo.
Aujourd'hui, non vaccinée contre le Covid-19 pour cause de contre-indication, elle fume le cigarillo et boit du whisky. Heureuse de voir ressortir un livre dont elle avait vendu un million d'exemplaires en 1974, "Les Linges de la nuit" (Michel Lafon), mais "désolée de l'état de ce monde que je quitte".
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