"Je me sens moins sous pression" : quand des infirmières hospitalières changent de vie
Cadences infernales, cadre déshumanisant, manque de reconnaissance: beaucoup d'infirmières ont quitté l'hôpital après la crise du Covid, pour s'inventer une autre vie professionnelle.
"Je me sens moins sous pression, j'ai plus l'impression de profiter de mes enfants. Et sur le salaire, clairement à l'hôpital j'avais l'impression de ne pas être payée à ma juste valeur", explique Florentine Mouquet, 35 ans, qui vit dans la région rennaise.
Il y a quelques mois, la jeune femme a mis fin à 12 années de travail en hôpital pour devenir formatrice pour un éditeur de logiciels utilisés dans les hôpitaux. "Ce qui me manque parfois, c'est l'ambiance au sein de l'équipe de soignants, qui est presque une deuxième famille", explique-t-elle.
Mais cette nostalgie s'estompe vite "quand je repense à ce qu'était la vie à l'hôpital: la course contre la montre du quotidien, l'impossibilité de prendre le temps de parler avec les patients, la hiérarchie qui demande plus, le téléphone qui sonne sans arrêt...".
Son salaire a progressé, et sa vie personnelle s'organise plus facilement, même si son nouveau métier lui impose aussi parfois de longues journées et des déplacements. "Je peux avoir de grandes amplitudes horaires, mais malgré tout ça n'a rien à voir" avec le poids de ses anciennes vacations à l'hôpital, indique-t-elle.
L'exode des infirmières hors de l'hôpital est difficile à caractériser dans les chiffres, mais tous les témoignages concordent: les infirmières et infirmiers ont une carrière beaucoup plus courte à l'hôpital qu'avant la crise du Covid, et le quittent soit pour travailler en intérim infirmier - des contraintes négociables, un salaire un peu plus élevé -, soit pour se reconvertir.
"Le Covid a été la goutte d'eau. On a l'impression de ne pas avoir été entendues, et ça s'est encore dégradé après", estime Florentine Mouquet, dont plusieurs anciennes collègues envisagent également de raccrocher la blouse. Selon les chiffres de la fédération hospitalière de France (FHF), qui regroupe les hôpitaux publics, 15.000 postes d'infirmières/infirmiers ne trouvent pas preneur aujourd'hui, soit 5-6% du total.
Et dans une enquête récente, la FHF a constaté que 69% des infirmières/infirmiers en hôpital public ne recommanderaient pas leur métier. C'est la plus forte cote de désamour des personnels hospitaliers, devant les aides-soignants (58% ne recommanderaient pas) ou les médecins (45% ne recommandaient pas).
Après le Covid, "les infirmières se sont autorisées à dire leur envie de partir et à ne plus culpabiliser" de vouloir quitter les malades, estime Anne-Sophie Minkiewicz, qui dirige Infirmière Reconversion, une société qui les accompagne dans leur projet de reconversion.
"Perte de sens"
Et l'insuffisance ressentie des efforts financiers en faveur des soignants n'explique pas tout, loin de là, indique Anne-Sophie Minkiewicz. "La première raison" des départs, "c'est la perte de sens: on fait ce métier pour aider les autres, et on se retrouve dans l'abattage, le soin technique", affirme-t-elle.
"Ensuite vient le manque de moyens techniques et les conditions d'exercice du métier, et en troisième seulement l'aspect salaire", indique-t-elle. D'ailleurs, "80% des infirmières" restent après reconversion "dans le 'care'", les métiers du soin, affirme-t-elle: "assistantes maternelles, pompiers, télémédecine, enseignement et formation, ressources humaines...".
Charlie Muffat, 36 ans, ex-infirmière hospitalière installée à Mont-de-Marsan, illustre ce diagnostic. Après un burn-out, elle a quitté l’hôpital et s'est lancée dans une double activité de massage de bien-être et d'assistance maternelle, qui commence à prendre son essor.
Elle qualifie sa nouvelle vie de "renaissance", même si elle reconnait que son activité de massage pour l'instant ne peut suffire à la faire vivre. "Mais je suis infirmière et je le resterai toujours. Un jour peut-être, si les conditions de travail redeviennent normales, je redeviendrai une infirmière" en activité, affirme-elle.
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