Aveugle, Marie-Hélène, ambitionne d'ouvrir sa crêperie dans le noir
La main tendue au-dessus de sa crêpe, Marie-Hélène signale à son formateur qu"'il manque de la pâte", "je sens des trous, la chaleur dégagée est plus forte": la stagiaire, aveugle, suit une formation de maître-crêpier à Rennes dans le but d'ouvrir sa crêperie dans le noir.
"Il a fallu passer une première barrière, qu'on m'accepte dans la formation malgré le fait qu'elle ne soit pas adaptée", explique Marie-Hélène Dougnac, une enseignante-chercheuse de formation qui élève seule ses quatre enfants sur l'Ile de Noirmoutier.
"Si j'attends qu'une formation soit adaptée, je vais attendre toute ma vie !", lance l'enseignante de 46 ans, qui a perdu l'usage de la vue à 29 ans.
Fin 2016 elle contacte "un peu par hasard" l'école de cuisine EMC² à Rennes, où l'un des formateurs mûrit déjà l'idée d'une formation adaptée à son handicap. Le chef Denis Bertrand la rencontre pour déterminer ses besoins et sa motivation et finit par se laisser convaincre et autoriser Marie-Hélène à intégrer l'école.
Aidé de sa fille ergothérapeute, le chef va organiser le découpage journalier de la formation qui s'étale sur cinq jours: déplacement dans la cuisine, préparation de la pâte à crêpes, maniement du matériel professionnel...
"Avec ma fille et ma femme, on a travaillé une journée dans le noir, on a pris un bandeau. C'était une catastrophe, épouvantable, il y en avait partout !", raconte Denis Bertrand, qui a dû réajuster ses cours dès le premier jour: il avait prévu un kit en forme de triangle pour faciliter l'étalage de la pâte à crêpes.... mais l'objet ne convient pas à Marie-Hélène.
La stagiaire a préféré utiliser le rozel (râteau utilisé pour étaler la pâte) sur le billig, plaque de chauffe circulaire, "comme tout le monde". "En quelques heures elle tournait à peu près bien, de manière classique", évalue le formateur qui précise qu'au fil des jours, le geste de Marie-Hélène se fait plus précis et rapide.
- 'Dans le noir' -
Pour son dernier jour de formation, elle réalise une cinquantaine de crêpes sous l’œil bienveillant des autres stagiaires et de son formateur qui lui glisse: "Marie-Hélène, tu vois, c'est pas possible, tu distingues quelque chose!".
- "Bertrand, je te jure, je suis dans le noir le plus complet !", réplique la stagiaire.
L'enseignante explique compenser la vue par d'autres sens comme le toucher, l'odorat ou l'ouïe. Elle prend l'exemple du "bourrelet dans la pâte qui est facile à détecter": "on n'a pas la même impression au bout des doigts".
Son formateur l'assure, "Marie-Hélène a les yeux au bout des doigts !".
D'abord hésitants, les six autres stagiaires se sont adaptés à la cécité de Marie-Hélène. "J'ai mon petit coin de cuisine, ils le respectent. S'ils passent, ils se signalent en parlant, ils ont très bien compris. Ils n'ont plus peur", analyse la Vendéenne.
Pour le formateur également il a fallu dépasser le stade de la relation enseignant/élève et venir prendre la main de Marie-Hélène pour la guider. "Maintenant, quand elle me dit +tu vas me donner ton bras pour m'accompagner à travers les locaux+ cela se fait complètement naturellement", raconte Denis Bertrand.
Autre victoire pour la mère de famille, elle est persuadée que désormais ses "camarades du labo ne regarderont plus le handicap de la même façon et le transmettrons". Car sa démarche "est aussi un acte militant: démystifier le handicap".
A l'issue de la formation de cinq jours, l'enseignante confie avoir fait évoluer son projet. Au départ, il s'agissait de perfectionner ses crêpes pour en faire profiter ses enfants âgés de 18, 16, 7 et 5 ans.
Désormais, elle souhaite transmettre ses nouveaux acquis en proposant des ateliers crêpes dans le noir en partenariat avec l'école EMC² de Rennes. Et à terme, elle ambitionne d'ouvrir une crêperie dans le noir.
Pour Marie-Hélène, "l'emploi des handicapés n'est pas une utopie, juste un parcours du combattant".
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