Eleveurs de porc : passer en bio, une solution à la crise qui reste ardue
"Il n’y a jamais eu tant d’abandons d'exploitations porcines", estime Olivier Allain, vice-président de la région Bretagne chargé de l’Agriculture. Depuis le début de l'année, sur 1.500 élevages, une centaine ont mis la clé sous la porte, contre seulement une vingtaine les années précédentes. Alors que la France assiste à un boom du bio, avec un record de conversion chez les éleveurs laitiers depuis janvier, ce secteur reste une niche dans la filière porcine, avec moins d’1% de la production, contre 10% pour le lait.
Le porc bio reste pourtant une planche de salut: à 3,50 euros le kilo contre un euro au plus fort de la crise (1,30 euro actuellement), le calcul est vite fait quand le coût de production est estimé en moyenne à 1,40 euro le kilo.
Mais contrairement au lait, explique Pascal Petit, technicien chez Bretagne Viande Bio (BVB), en porc, ces deux modes d’élevage sont "aux antipodes".
Le cahier des charges bio est extrêmement exigeant: les traitements antibiotiques sont limités à un par an et l'animal doit consommer de l'aliment bio, deux fois plus cher, et en partie produit sur la ferme.
Surtout, il doit être élevé sur paille, avec plus d'espace et un accès à l'extérieur, ce qui implique souvent de raser le bâtiment existant, construit sur caillebotis pour permettre aux déjections de tomber dans des fosses.
"Cela fait une vingtaine d’années que tous les bâtiments sont construits avec des fosses allant jusqu’à 2,50 m de profondeur. C’est impossible à combler pour certains", constate Pascal Petit, qui souligne également la nécessité pour les éleveurs de trouver des terres afin d'y cultiver leur aliment.
Malgré l'énorme investissement, Gildas Alleno décide il y a un an de sauter le pas. "J’en avais un peu ras-le-bol des crises", se souvient cet agriculteur de 37 ans qui a repris la ferme de ses parents à Lanfains, dans les Côtes-d’Armor. Naisseur-engraisseur, il possédait 190 truies, la taille moyenne d’un élevage en Bretagne, première région porcine de France avec 58% de la production nationale.
Et puis, confie-t-il, "le déclencheur pour moi, ça a été le pulvérisateur. Les dix jours par an où je l'utilisais sur mes cultures, ça me pesait, j'avais un cas de conscience avec ces produits chimiques."
La conversion, "c’est encore plus dur que je ne l'avais imaginé", témoigne-t-il, en songeant à cette "phénoménale corvée de fumier" toutes les trois semaines ou à l'apprentissage de la culture céréalière pour nourrir ses bêtes sur la ferme. "Mais ça a un côté remotivant et assez exaltant: je participe à un système plus durable, plus en lien avec les attentes de la société".
Lui avait "la chance de ne pas traîner de dette", mais il est bien conscient que "face à ce chantier pharaonique, beaucoup d'éleveurs, vu leur âge et leur capacité d'investissement, vont abandonner. Casser l'outil de toute une vie, c’est trop dur psychologiquement".
A trente kilomètres de là, à Plounevez-Quintin, Cécile et Alain Nicolas, la petite cinquantaine, acquiescent gravement, accoudés à la toile cirée de la cuisine.
Eux ont repris l'élevage familial en 1993. Les crises, ils connaissent. "Il y en a toujours eu, on était habitués à mettre un peu de côté pour les jours difficiles, mais cette année et l'an dernier, on n’avait jamais vu ça, ça a été catastrophique", raconte ce couple passionné, qui souffre de voir l'élevage conventionnel sans cesse décrié.
Alors le bio, ils y ont pensé, désireux de pouvoir enfin vivre de leur travail et transmettre "un élevage d'avenir". Mais la facture est salée: pour convertir leur ferme, il leur faudrait investir 600.000 euros. Avant, "bio, ça rimait avec charlot, mais maintenant c’est avec pro", reconnaît Alain Nicolas, "il faut être très bon techniquement."
Puis en mai dernier "les cours se sont mis à remonter: c'était l’occasion de renflouer les caisses, alors on a mis le projet en sommeil".
Si le bio reste une alternative intéressante pour les éleveurs, elle ne résout pas tout. Car comme l’explique Loïc Chantrel, responsable commercial à la Cooperl, le leader français de la production porcine, "il faut trouver le consommateur qui va acheter le porc à ce prix".
Le cochon a beau être la viande préférée des Français, qui en consomment 32 kilos par an, il reste vu comme bon marché. Par ailleurs, un porc ne comptera toujours que deux jambons, le morceau le plus prisé du consommateur. Difficile de valoriser une carcasse entière avec la même plus-value.
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