Insectes et algues : demain dans votre assiette
Au menu: salade d’algues, steak sans viande, macarons aux insectes et boisson végétale à base de pois pour accompagner le tout. Les recherches sur l’alimentation frôlent parfois la science-fiction. Pourtant, les chercheurs misent beaucoup sur ces nouvelles trouvailles, qui devraient faire leur apparition dans les assiettes dans un avenir proche.
D’ici 2050, plus de 9 milliards de personnes devront être nourries, tout comme les dizaines de milliards d'animaux élevés chaque année pour l'alimentation. Pour satisfaire les besoins de cette population, la production mondiale de viande devrait augmenter. A contrario, les surfaces agricoles s’amenuisent, d’où l’obligation de se tourner vers la consommation de produits moins gourmands en ressources, comme les insectes, et de miser sur les protéines végétales ou marines.
Alors que les experts de la FAO (Food and Agriculture Organization) s’alarment de la forte progression de consommation de viande à travers le monde, des solutions alternatives émergent pour apporter à tous des protéines en quantité suffisantes.
Depuis une dizaine d’années, les rapports successifs de la FAO vantent ainsi les atouts nutritifs des insectes pour l’alimentation humaine. Grouillants, répugnants, rampants, a priori ils n’ont pas grand-chose d’appétissant. Pourtant, ils ne devraient plus tarder à se retrouver dans les assiettes des Occidentaux.
1.900 espèces comestibles
Aujourd’hui, plus de 1.900 espèces d’insectes sont comestibles et près de deux milliards d’êtres humains consomment déjà ces petites bestioles, principalement en Afrique, en Amérique latine et en Asie, où ils sont mangés à toutes les sauces.
En Europe aussi, chefs étoilés et cuisiniers amateurs s’inspirent depuis peu de cette tradition pour inventer des recettes originales. "En France, nous sommes loin d’être en retard. La filière est en train de s’organiser. Les Etats-Unis et le Canada par exemple bénéficient de moins de recul et d’expérience que nous", explique à FranceSoir Cédric Auriol, fondateur de la société Micronutris.
Malgré les appréhensions, ce «mini-bétail» présente de nombreuses vertus. En plus d’être très nutritifs –les insectes ont une teneur élevée en protéines, matières grasses et minéraux–, ils ont un besoin moindre en ressources: deux kilogrammes d’aliments sont en moyenne nécessaires pour produire un kilo d’insectes (contre huit pour un kilo de bœuf). Moins sensibles à la promiscuité que les bovins, les insectes sont partout, se reproduisent rapidement et peuvent se nourrir de déchets organiques, déchets alimentaires, compost ou lisiers.
Si la France est bien partie pour se positionner sur ce marché, le gros des travaux porte sur l’optimisation de l’élevage d’insectes afin de créer de vastes exploitations, mécanisées, et capables de concurrencer l’industrie de la viande. Car produire de la viande a un fort impact sur l’environnement.
Aujourd’hui, l’élevage de bovins occupe 70% des terres cultivables de la planète et génère d’importantes quantités de CO2 et de méthane. Selon plusieurs chercheurs, remplacer la production de viande par celle des insectes permettrait en partie de résoudre ces problèmes. Pour Pierre Faillet, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et auteur de Quel avenir pour notre alimentation? (Ed. Quae), le pari n’est pas encore gagné. "Pour avoir l’équivalent en protéines d’un blanc de poulet, il faut manger une cinquantaine de grosses chenilles. La consommation directe, je n’y crois pas un seul instant. Par contre, que l’on puisse imaginer un jour de produire de la farine d’insectes afin de nourrir les animaux, pourquoi pas. C’est une voie plus intéressante", explique-t-il à FranceSoir. Un avis que partage la start-up française Ynsect, pionnière de cette filière prometteuse.
Mais avant de séduire les consommateurs, il faut convaincre le législateur. En Europe, les insectes relèvent du règlement CE n° 258/97, dit "Novel Food", qui soumet depuis le 15 mai 1997 tout nouvel aliment à autorisation communautaire avant mise sur le marché. Ainsi, pour être commercialisés, les insectes et produits à base de farine d'insectes doivent faire l’objet d’une procédure européenne d’évaluation –qui peut prendre des années– afin de prouver qu’ils ne présentent pas de dangers pour le consommateur. D’ici un ou deux ans, l’Union européenne devrait adopter un texte encadrant le commerce et la consommation de ces nouvelles denrées. En attendant, nos voisins belges ont pris les devants en autorisant une dizaine d’insectes sur le marché.
La spiruline, source de protéines
Comme les insectes, de nouvelles sources de protéines, notamment végétales et marines, sont envisagées pour le futur. Le thème figure d'ailleurs parmi les "sept ambitions pour la France" identifiées par la commission Innovation 2030.
L’algue est l’une des pistes sérieusement étudiées par les scientifiques. Longtemps boudées par les Européens, mais consommées abondamment en Asie, elle semble peu à peu séduire les Français. "Des études montrent que l’algue est devenue pour le consommateur un produit consommable. Il n’y a plus de problème d’image", explique Hélène Marfaing, chef de projet alimentaire au Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA).
Utilisée par de nombreuses civilisations à travers les âges, l’algue suscite à nouveau la curiosité. Ce sont les microalgues, comme la spiruline ou la chlorella, qui présentent le plus fort potentiel protéique, jusqu’à 70%. Déjà utilisées pour produire des cosmétiques ou des biocarburants, elles sont facilement cultivables, consomment très peu d’énergie et présentent un rendement inégalé. Depuis plusieurs années, leur utilisation pour l’alimentation humaine apparaît intéressante.
Bien connues des végétariens, les algues ne sont pas les seules à être à l’étude. A l’image du soja, consommé en steak et en yaourt, de nouvelles sources de protéines végétales issues des légumineuses (plantes dont les fruits sont contenus dans les gousses) s’avèrent pleines de promesses. Ainsi, riche en protéines, le pois s’impose peu à peu comme alternative à la viande. Le groupe français Roquette croit en tout cas à son potentiel et cherche à développer de nouveaux produits à base de pois: boissons végétales, barres énergétiques ou encore pains briochés.
Aujourd’hui, le succès du pois fait des émules parmi les autres protéagineux (plantes dont les graines sont riches en protéines). Dernière arrivée sur le marché, la luzerne. Comme le pois, elle est utilisée dans l'alimentation animale et pourrait connaître une seconde vie dans l'alimentation humaine.
Mais Pierre Faillet (INRA) se montre sceptique. "Ce sont des sources de protéines qui permettent aux industriels de se développer et d’innover. Le véritable enjeu est d’accroître la production de protéines végétales, mais ça ne résoudra sans doute pas le problème de la faim dans le monde".
Steak "in vitro", le cauchemar des carnivores
Insectes, protéines marines et végétales: difficile aujourd’hui de s’imaginer un monde sans viande, d’autant que chaque Français en consomme en moyenne près de 88 kilos par an. Si notre consommation de viande venait à diminuer voire à disparaître, l’illusion d’en manger serait sans doute encore possible. Car la viande de demain sera peut-être fabriquée en laboratoire…
Si cette démarche n’a rien de naturel, elle représente un espoir pour l’alimentation de demain. C’est le chercheur hollandais Mark Post qui a élaboré le premier steak "in vitro", très médiatisé. Présenté à Londres, en août 2013, le "Frankenburger" a coûté 250.000 euros et a été réalisé à partir de cellules souches de vache. Cependant, aucune d’entre elles n’a été modifiée. La production de viande à partir de cellules souches n'implique aucune modification génétique (OGM). Les cellules se développent simplement hors de l'organisme dont elles sont issues.
Selon le chercheur, qui pense que sa technique pourra être commercialisée d’ici 10 à 20 ans, la production de viande de bœuf en éprouvette nécessite une seule vache pour produire 175 millions de steaks, soit une baisse des émissions de CO2 et de méthane et une réduction importante des surfaces dédiées à l’élevage et de la ponction en eau de source.
Pour Pierre Faillet, sceptique là encore, rien d’extravagant: "Sur le plan scientifique, ce n’est pas une percée. Au point de vue technologique non plus. Ça a surtout été une percée médiatique. Cette découverte ne passera jamais sur le plan du coût, bien trop cher".
Faute de ressources nécessaires, nos habitudes de consommation sont bel et bien amenées à évoluer dans les années à venir. Qu’ils viennent de la terre, de la mer ou des laboratoires, les aliments de demain se frayent peu à peu un chemin même s’ils peinent encore à s’imposer dans les assiettes des Français.
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