Uruguay : au pays de la viande, un caviar au goût presque sauvage

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 27 octobre 2016 - 14:58
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Du caviar.
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©Jose Luis Roca/AFP
L'Uruguay est devenu le pays qui produit le plus de caviar par habitant et le 8e producteur mondial.
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A trois heures de voiture au nord de Montevideo, les eaux du barrage de Baygorria abritent un trésor: des centaines d'esturgeons qui regorgent de caviar. Ces précieux petits œufs noirs uruguayens, inattendus au pays de la viande, gagnent en réputation à l'international.

Le choix de l'emplacement d'Esturiones del Rio Negro, élevage lancé par la famille Alcalde au début des années 1990, ne doit rien au hasard.

A l'origine, le père était ravitailleur au port de Montevideo pour les chalutiers russes, célèbres pour leur caviar sauvage de la mer Caspienne. Durant des années, il a entendu les capitaines russes vanter les mérites du climat uruguayen, idéal, selon eux, pour l'esturgeon.

"On en a tellement parlé, qu'un jour, on a fini par faire une étude de faisabilité et des relevés pour voir où l'on pouvait s'installer", raconte à l'AFP Roman Alcalde, le président d'Esturiones del Rio Negro.

Quand la pêche d'esturgeons sauvages dans la mer Caspienne a été interdite en 1998, après des années d'excès, une foule de pays se sont alors lancés dans l'élevage, France, Italie, Hongrie, Chine, Vietnam... Car à la différence de bien d'autres mets de luxe, il n'existe pas d'origine géographique pour le caviar.

"On est fiers de la vision qu'a eue notre père en se disant +on va faire quelque chose d'impensable: produire du caviar en Uruguay+", où l'on recense fièrement trois fois plus de vaches (environ 10 millions) que d'habitants (3 millions), déclare M. Alcalde.

Sous le Rio Negro, 70 cages géantes de 216 m3 accueillent les jeunes esturgeons de 10 mois qui passeront leurs deux à trois premières années dans cette semi-liberté, bercés par le courant.

Ces poissons gris-vert, qui atteignent en moyenne 120 centimètres et 80 kilos à l'âge adulte, complètent leur croissance dans des bassins alimentés par cette même eau. "On essaye de se rapprocher au maximum de l'environnement autochtone des esturgeons. Notre ferme est comme une grande rivière: l'eau entre d'un côté, passe par les bassins et ressort à l'autre bout", explique Roman Alcalde.

Aux alentours, les vertes plaines et le climat tempéré du centre de l'Uruguay offrent un cadre idéal pour ces poissons, fait valoir Daniel Conijeski, qui gère la production. "Ce n'est pas une zone d'agriculture intensive ou d'élevage (bovin), il n'y a pas non plus d'autres industries qui pourraient affecter la qualité de l'eau de la rivière, de mines ou d'exploitation forestière à grande échelle. L'environnement est assez préservé", assure-t-il.

La recette fonctionne si bien que l'Uruguay est devenu le pays qui produit le plus de caviar par habitant et le 8e producteur mondial, avec 7 tonnes en 2015. Encore loin toutefois des 70 tonnes de la Chine, numéro un mondial devant la Russie (40 tonnes), l'Italie (35 tonnes) et la France (23 tonnes), selon les chiffres de la Fédération européenne des producteurs aquacoles.

Mais le petit pays sud-américain entend faire grimper sa production à 13 tonnes d'ici 2020. Depuis le début des années 2000, le caviar des Alcalde, d'où est issue presque toute la production du pays, s'écoule en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie.

Un kilo de caviar peut rapporter 4.000 dollars, explique M. Alcalde, dont le chiffre d'affaires annuel est de cinq millions de dollars. Le Black River Caviar d'Uruguay est "très bien côté dans les dégustations à l'aveugle. C'est le goût qui se rapproche le plus du caviar sauvage", souligne Philippe Chauvin, le fondateur du Comptoir du Caviar, basé à Paris et à Cannes, et importateur de la marque en Europe.

"Dans le caviar ce qui importe, c'est la quantité d'eau. C'est comme pour les poulets qui courent en liberté", explique ce spécialiste à propos des conditions d'élevage des esturgeons uruguayens.

Autre signe de reconnaissance pour les petits oeufs noirs d'Uruguay, Petrossian, l'un des spécialistes en la matière, né en 1920 à Paris et qui compte boutiques et restaurants de New York à Dubaï, dit s'y intéresser: l'un de ses responsables prévoit de se rendre en Uruguay début 2017 en vue d'une commercialisation éventuelle du caviar de ce pays en 2018.

Dans l'élevage des Alcalde, où chaque poisson est équipé d'une puce pour la traçabilité, les techniques artisanales côtoient la technologie.

Les femelles esturgeons mettent 7 à 10 ans avant de produire les précieux oeufs. Une fois extraite, la rogue, ou poche qui contient les oeufs, est placée sur un tamis et rincée à l'eau minérale. On y ajoute ensuite du sel pour raffermir les oeufs et en extraire l'eau, avant de les rincer à nouveau.

Durant tout le processus, Roman Alcalde, le "maître caviar", goûte le produit pour former des lots aux caractéristiques similaires. Le Black River Caviar va du noir au "golden", à l'aspect doré, en passant par le gris.

Car chaque marché à ses particularités: ainsi, "le marché japonais préfère le caviar noir, qui pour le reste du monde est le moins cher", explique M. Alcalde. Après avoir débuté avec le sibérien (baerii) puis l'osciètre, cet aquaculteur va s'attaquer au béluga, l'espèce reine de la Caspienne, la plus cotée aussi. Il espère produire 10 tonnes de caviar dès 2018.

"Quand on dit caviar uruguayen, les gens sont un peu interloqués. Mais contrairement à une production venant de Chine, dont les gens se méfient, l'Uruguay c'est assez facile à vendre...", juge Philippe Chauvin.

 

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