Covid-19 et syndrome d’Ehlers-Danlos : les dangers de la protéine Spike du SARS-CoV-2
ENTRETIEN – Les personnes présentant un syndrome d’Ehlers-Danlos ont — selon Jean-Marc Sabatier – plus de risques de faire une forme grave de Covid ou de souffrir de séquelles post vaccination, ou Covid long. Jean-Marc Sabatier, directeur de recherche au CNRS et docteur en biologie cellulaire et microbiologie à Marseille, revient sur les aspects physiopathologiques de ce syndrome et expose les mécanismes biologiques qui peuvent conduire les personnes qui souffrent de cette pathologie à développer une « sensibilité » à la protéine Spike virale ou vaccinale plus importante.
Nous précisons que Jean-Marc Sabatier s'exprime ici en son nom.
Estelle Fougères – Comment avez-vous découvert que des personnes présentant un syndrome d’Ehlers-Danlos (appelée encore maladie du chewing-gum) avaient plus de risques de faire une forme grave de covid ou un covid long ?
Jean-Marc Sabatier – Le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) est une pathologie héréditaire rare du tissu conjonctif, avec une incidence moyenne (variable suivant les 13 types de SED) de 1 personne sur 5000. Depuis quelques mois, j’ai eu de nombreux contacts avec des personnes souffrant de Covid long (notamment grâce au Drs. Claude Escarguel (UPGCS), Jean-Roch Gonet ainsi que la biostatisticienne Christine Cotton), et j’ai pu remarquer — pour les formes les plus graves et invalidantes du Covid long — une proportion très élevée de personnes (préalablement infectées au SARS-CoV-2 et/ou « vaccinées » contre la Covid-19) ayant un SED établi. Il est ainsi devenu évident pour moi, que la préexistence d’un SED chez une personne confère un haut facteur de risques d’un Covid-19 ou Covid long très sévère.
Estelle Fougères – Comment détecte-t-on le syndrome d’Ehlers-Danlos ? Quels sont les examens pratiqués ?
Jean-Marc Sabatier – Le diagnostic préliminaire du SED se fait sur la base d’éléments familiaux à cause de la transmission héréditaire, et de signes cliniques spécifiques (hyperlaxité et/ou douleurs articulaires, hyper-extensibilité cutanée, finesse et transparence de la peau, présence anormale d’hématomes, veines apparentes, problèmes de cicatrisation, propension aux entorses et luxations, fragilité des tissus conjonctifs, troubles posturaux et scoliose, troubles digestifs et/ou vasculaires, fatigabilité extrême, etc.) de la personne concernée. Une confirmation génétique (e.g. mutation(s) du gène COL3A1) est ensuite réalisée dans les centres médicaux spécialisés, à l’exception du SED hyper-mobile (type de SED) car les bases génétiques de ce SED restent inconnues à ce jour. Dans le cas d’un potentiel SED de type vasculaire, un bilan vasculaire est ordonné (angioscanner, échographie du cœur, écho doppler des artères).
Estelle Fougères – Avant d’aborder son implication dans le Covid, pouvez-vous expliquer cette pathologie ?
Jean-Marc Sabatier – Le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) constitue un ensemble de pathologies génétiques à l’origine d’anomalies du tissu conjonctif de soutien inter-cellulaire assurant la cohésion et le maintien des tissus et organes. Ceci se traduit — chez les personnes souffrant du SED – par diverses particularités « mécaniques » telles qu’une hyper-élasticité de la peau, des tendons, des ligaments et des muscles entourant les articulations (hypermobilité des articulations), ainsi qu’une fragilité anormale du système vasculaire (vaisseaux sanguins). Ainsi, le SED se caractérise par une hyperlaxité cutanée et articulaire due à une élasticité excessive du tissu conjonctif.
Estelle Fougères – Quels sont les symptômes ? Quels sont les signes cliniques ?
Jean-Marc Sabatier – Les personnes atteintes du SED peuvent ainsi présenter des douleurs articulaires et musculaires plus ou moins chroniques, s’accompagnant d’une fragilité exacerbée aux entorses et luxations. Il s’agit d’une maladie génétique affectant principalement la production du collagène, une des protéines de la matrice extra-cellulaire. Les complications peuvent être variées, dont une arthrite précoce, de l’ostéoporose, des difficultés de cicatrisation et autres. La prévalence du SED est d’environ une personne sur cinq mille (hommes et femmes), ce qui en fait une pathologie rare. Une déficience de la production du collagène (voire d’autre(s) molécule(s) de la matrice extracellulaire) est au centre du SED.
Estelle Fougères – Qu’est-ce que le collagène ? Quelle est sa fonction ? Quelle est son importance dans l’organisme ?
Jean-Marc Sabatier – Il s’agit d’une protéine d’importance, car le collagène est ubiquitaire dans l’organisme (peau, ligaments, tendons, cartilages, os, et les divers tissus conjonctifs — environ 80% de notre corps — dont l’interstitium pulmonaire) et représente plus de 30% des protéines totales du corps humain. Il existe plusieurs types de collagène selon les organes et tissus : le collagène de type I (présent dans la peau, les ligaments, les tendons, et le tissu osseux), le collagène de type II (présent au niveau des cartilages), et le collagène de type III (présent dans le système vasculaire et les muscles). Le SED est polymorphe et plusieurs variantes de ce syndrome sont décrites et ont été classifiées en 13 types dont la prévalence est très variable (types hyper-mobile, vasculaire, classique, etc.).
Estelle Fougères – Qu’est-ce que la matrice extracellulaire, à quoi sert-elle, quelle est l’importance du collagène (déficient chez les personnes atteintes de SED) au sein de cette matrice ?
Jean-Marc Sabatier – La matrice extracellulaire – qui constitue un « ciment » d’adhérence entre les cellules des divers tissus de notre organisme – est composée d’un assemblage de nombreuses molécules, dont les principales sont les protéines/glycoprotéines, les protéoglycanes (glycoprotéines particulières), les glycosaminoglycanes (polysaccharides), les facteurs de croissance et autres. Parmi ces molécules, les protéines ou glycoprotéines d’adhérence majeures de la matrice extracellulaire sont le collagène (déficient chez les personnes atteintes de SED), la laminine, la fibronectine, et la vitronectine. Ces molécules sont capables d’interagir avec des récepteurs transmembranaires appelés « intégrines » présents à la surface des cellules. Ainsi, les intégrines interviennent dans l’adhésion cellulaire en interagissant avec des protéines/glycoprotéines de la matrice extracellulaire (via la partie extracellulaire de l’intégrine), et le cytosquelette de la cellule (via la partie intracellulaire de l’intégrine). Ces protéines/glycoprotéines de la matrice extracellulaire ont en commun un (ou plusieurs) motif(s) RGD (Arg-Gly-Asp) qui permet(tent) leurs interactions avec certaines des intégrines de nos cellules. Pour simplifier, si l’on considère que ces molécules de la matrice extracellulaire sont des colliers de perles (chaque perle étant un résidu d’acide aminé, tels que R, G ou D), ces molécules possèdent un (ou plusieurs) enchaînement(s) identique(s) de trois perles successives (c’est-à-dire les perles RGD) dans le collier permettant une fixation sur ces intégrines.
Dans le cas particulier du collagène (collagène I), qui forme principalement une structure hélicoïdale en triple hélice, les motifs RGD sont « cachés » (dits cryptiques) et s’exposent suite à une dénaturation partielle de la molécule. Il existe un grand nombre d’intégrines cellulaires différentes ; celles-ci sont constituées de deux sous-unités (alpha et beta). Comme il existe diverses sous-unités alpha et beta, la combinaison particulière de ces deux sous-unités conduit aux divers types d’intégrines (les intégrines sont spécifiques des types cellulaires ou tissus). Ainsi, certaines intégrines cellulaires seront reconnues par des protéines/glycoprotéines via la présence du motif RGD dans ces molécules, tandis que d’autres intégrines seront reconnues indépendamment du motif RGD, c’est-à-dire par des molécules ne possédant pas de motif RGD.
Estelle Fougères – Qu’en est-il de la protéine Spike (virale ou vaccinale) du SARS-CoV-2.
Jean-Marc Sabatier – La protéine Spike du SARS-CoV-2 (correspondant à un collier de 1273 perles) possède ce motif RGD (motif de trois perles en positions 403 à 405 dans le RBD ou « Receptor Binding Domain » de la protéine Spike) de fixation à des intégrines, contrairement aux protéines Spike des autres coronavirus, tels que le SARS-CoV (épidémie de 2002) ou le MERS-CoV (épidémie de 2012). Ceci suggère que la protéine Spike du SARS-CoV-2 (ou la protéine Spike vaccinale, qui est modifiée sur deux autres perles en positions 986 et 987) est capable de se fixer sur certaines intégrines des cellules, via son motif RGD. Ceci a été confirmé par des travaux expérimentaux de laboratoire qui ont montré la capacité de fixation de la protéine Spike aux intégrines alpha-V beta-3 (présente sur les plaquettes sanguines, les macrophages, les cellules dendritiques, les cellules endothéliales activées, certaines cellules tumorales, et les vaisseaux sanguins néoformés) et alpha-5 beta-1 (présente sur les fibroblastes, les cellules endothéliales, les cellules sanguines et autres).
D’autres travaux (plus inquiétants !) de Buckley et collaborateurs (article « RGD peptides induce apoptosis by direct caspase-3 activation », Nature 397, 534-539, 1999) ont montré que diverses molécules possédant le motif RGD pouvaient induire une mort cellulaire programmée — via un mécanisme d’apoptose — par une activation de la caspase-3 initiant le mécanisme de mort cellulaire (les caspases sont des protéases impliquées principalement dans les phénomènes inflammatoires, d’apoptose et de nécrose). Ces données suggèrent que la protéine Spike, virale ou vaccinale, pourrait (parallèlement au dysfonctionnement du système rénine-angiotensine et à la suractivation du récepteur AT1R « délétère » responsable des maladies Covid-19) induire un phénomène d’apoptose de certaines cellules, via la fixation de la protéine Spike sur des intégrines membranaires activant la caspase-3 et les voies de signalisation d’une mort cellulaire programmée. Néanmoins, selon une étude reposant sur la modélisation/dynamique moléculaire, la protéine Spike serait peu susceptible de se lier fortement aux intégrines via le motif RGD (Othman et collaborateurs, Front. Mol. Biosci. 9, 834857, 2022). Il est notable qu’une reconnaissance d’intégrines (suivie d’une endocytose des virus) par des protéines virales possédant le motif RGD a déjà été observée pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le virus de la fièvre aphteuse et autre adénovirus.
Dans le cas d’une infection naturelle au SARS-CoV-2 ou d’injection(s) « vaccinale(s) », la sur-stimulation potentielle du système rénine-angiotensine (SRA) conduit à la suractivation du récepteur AT1R « délétère » (via un excès d’angiotensine-2), et à une augmentation de la production de collagène (qui est déficiente dans le SED) par les fibroblastes qui sont des cellules dermiques de soutien du tissu conjonctif assurant le renouvellement du collagène interstitiel (ces cellules secrètent la matrice extracellulaire). Une fonction majeure des fibroblastes est ainsi de réguler la composition de la matrice extracellulaire avec laquelle ils interagissent via leurs intégrines membranaires. Ainsi, les fibroblastes fabriquent et sécrètent du collagène parallèlement à de nombreux autres composants de la matrice extracellulaire, y compris des collagénases et autres enzymes, afin de dégrader, renouveler et réorganiser la matrice extracellulaire. Un même fibroblaste peut secréter divers types de collagène (et autres composants de la matrice extracellulaire).
Estelle Fougères – Pour quelles raisons les personnes présentant un syndrome d’Ehlers-Danlos font-elles des infections plus graves au SARS-CoV-2 ou souffrent de Covid long ou encore de séquelles post-vaccination potentiellement plus sévères que des personnes qui ne sont pas atteintes par ce syndrome ?
Jean-Marc Sabatier – Bien que le SED soit une pathologie génétique rare, avec une incidence globale d’environ 1 personne sur 5000 (incidence très variable suivant le type de SED), j’ai pu constater qu’un nombre très élevé de personnes souffrant des formes les plus sévères de Covid long (séquelles post-infection ou post-vaccination) présentait un SED. Comme mentionné précédemment, le SED est systémique et directement lié à des anomalies du tissu conjonctif d’origine génétique (production du collagène). Il m’apparaît fort possible que la déficience en protéines de la matrice extracellulaire — qui ciblent des intégrines membranaires – confère une « sensibilité » exacerbée à la protéine Spike virale ou vaccinale aussi capable de cibler les intégrines, conduisant potentiellement à la mort de cellules, via une activation de la caspase-3 ou autre. Il est notable que la protéine Spike se fixe sur les intégrines alpha-5 beta-1 et alpha-V beta-3, qui sont des intégrines également ciblées par le collagène (partiellement dénaturé exposant ses motifs RGD cryptiques/masqués) déficient chez les personnes présentant un SED. Ainsi, il m’apparait que tout rappel vaccinal anti-Covid-19 de ces personnes à haut risques n’est pas souhaitable, la balance bénéfices/risques étant extrêmement défavorable. En cas d’infection au SARS-CoV-2, un traitement précoce ambulatoire (e.g. forte supplémentation en vitamine D) de ces personnes semble approprié.
Parallèlement au syndrome d'Ehlers-Danlos, il est notable que les personnes atteintes du syndrome de Marfan, une autre maladie génétique (héréditaire) rare du tissu conjonctif élastique et non élastique, ne devraient pas non plus recevoir des injections vaccinales anti-Covid-19, le rapport bénéfices/risques étant aussi très défavorable. Cette maladie est associée à une déficience du gène FBN1 (localisé sur le chromosome 15) codant pour la fibrilline-1, une glycoprotéine importante des microfibrilles de la matrice extracellulaire du derme (fibroblastes et kératinocytes). La fibrilline-1 participe à la formation des fibres élastiques et intervient dans la régulation de diverses cytokines et facteurs de croissance. Le syndrome de Marfan, qui concerne une personne sur 3000 à 5000, affecte les vaisseaux sanguins, le coeur, les poumons, les yeux, la peau et le squelette.