Chronique Covid N°23 – « Les EHPADs ont cristallisé notre incapacité à protéger correctement nos ainés qui l’ont payé de leurs vies »
Tribune : Les EHPADs méritaient bien une chronique largement documentée et invitant à une vaste réflexion pour « repenser » les organisations et parfois l’agencement des établissements pour faire barrage d’une manière efficace aux virus responsables d’infections respiratoires aiguës, qu’il s’agisse de virus émergents comme le Sars-Cov-2, ou plus régulièrement de syndromes grippaux. Une efficacité qui hélas, une fois de plus n’a pas été au rendez-vous.
D’ailleurs, où en est-on de cette épidémie dans les EHPADs aujourd’hui ?
Vu sur France 2, le 29 juillet « Julien Benedetto : La Bretagne est confrontée depuis quelques jours à une forte progression des cas de covid-19, et les contaminations se multiplient, notamment dans plusieurs EHPADs du Finistère, à tel point que des restrictions de visites ont de nouveau été mises en place. On retrouve en direct Sonia Boujama devant l’Ehpad de Morlaix. Sonia, la situation est jugée préoccupante dans le département. En effet, Julien ici dans le Finistère, le préfet invite à redoubler de vigilance dans les EHPADs, afin de contenir au mieux les risques de contamination. Les responsables des EHPADs doivent dorénavant refuser l’accès des enfants de moins de six ans. Aussi, limiter le nombre de visites à une ou deux par jour. Et surtout, rendre obligatoire le port du masque pour les visiteurs. Dans l’établissement devant lequel je me trouve, ici on a décidé d’anticiper le rappel à la vigilance du préfet. Depuis le 20 juillet, aucune visite n’est autorisée et ici aucun cas de covid-19 n’a été détecté. Dans 13 autres établissements du Finistère, certains membres du personnel ont été testés positifs. C’est ce qui a poussé le préfet à réagir.
Il serait pourtant possible aujourd’hui de tenir un propos beaucoup plus rassurant. En effet, les courbes ci-dessous, réalisées à partir des données extraites des « points épidémiologiques hebdomadaires nationaux » de Santé Publique France (ici), permettent de faire les constats suivants :
- 938 nouveaux cas confirmés chez des résidents entre le 22 juin et le 24 août (soit en augmentation de 2,7% sur deux mois)
- Un nombre total de décès cumulés depuis le 1er mars chez les résidents en hausse de 70 entre le 22 juin et le 24 août (soit une augmentation de 0,5%...)
- Mais un nombre total de décès en baisse de 6 depuis le 14 juillet
(Je confirme bien, baissé, ce qui peut paraître aberrant, mais ce décompte est passé de 14.147 le 14 juillet, à 14.141 le 28 août…)
- Entre le 22 juin et le 24 août, il n’y aurait eu que 15 décès de résidents Covid survenus en Ehpad, déclarés en plus de 2 mois (10.405 et 10.420 respectivement,
- Contre 55 décès de résidents survenus à l’hôpital sur la même période
Madame Annabelle Vêgues, Directrice de la fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA), auditionnée devant la mission d’enquête de l’assemblée nationale le 28 juillet 2020 :
« Nous avons fait face à 5 mois de crise sanitaire qui d’ailleurs n’est toujours pas fini, dont 3 particulièrement difficiles, notamment dans les établissements pour personnes âgées et à domicile, entre mars et mai. Les personnes âgées ont payé un très lourd tribut à cette épidémie. Je me permets de rappeler ici les chiffres que beaucoup connaissent, mais c’est 90% des décès qui concernent des personnes qui ont plus de 65 ans, c’est-à-dire des personnes âgées, avec un âge médian au décès de 84 ans. Un autre chiffre très parlant, aujourd’hui on a plus de 30.000 morts en France, et près de la moitié concerne également des résidents d’EHPADs, qu’ils soient décédés en établissement ou à l’hôpital ».
Cependant, il est probable que ces chiffres soient sous-estimés
La question du député Jean-Jacques Gaultier, lui-même médecin biologiste, à propos d’une sous-estimation de la mortalité en EHPAD « Vous avez rappelé les chiffres terribles de la mortalité pour les personnes âgées, pourtant, ils sont probablement sous-estimés. Sous-estimés, vous l’avez dit, par ce que l’on ne prend pas en compte les décès survenus à domicile d’une part, d’autre part par ce qu’ils ont été répertoriés assez tardivement. Dans le Grand-Est, on a commencé à compter les décès à partir du 1er avril. Donc, voyez, c’était quand même assez tard. D’autre part, les décès étaient imputés, attribués au covid si les gens étaient testés. Or, vous avez rappelé la problématique des tests, avec notamment la directive du ministère de la santé en date du 16 mars, qui disait, c’était 2 tests seulement par EHPAD. J’ai un exemple précis dans les Vosges, à Cornimont, où il y a une maison de retraite où à la mi-mars j’ai eu 20 morts. 20 morts au même moment, avec les mêmes symptômes. Eh bien, sur ces 20 morts, seuls 6 ont été attribués au covid, par ce que seuls les 6 hospitalisés avaient été testés, alors ça c’est un exemple local vosgien, mais avez-vous au niveau national une estimation plus fine, plus large, plus globale de ces décès ? »
Le 13 mai 2020, juste après le début du déconfinement, France Culture diffusait dans son émission « Les pieds sur terre » un remarquable reportage signé de Rémi Dybowski-Douat, consacré à « La catastrophe du Covid-19 dans les EHPAD (Réécouter l’intégralité de cette émission culte (28 min) ici ou sur le site de la radio publique : ici)
En introduction, Sonia Kronlund, réalisatrice, rappelle quelques éléments de contexte :
« Jeudi dernier, le 7 mai 2020, plusieurs mesures en prélude au déconfinement ont été annoncées par le gouvernement, parmi elles, le Ministre de la santé a promis une prime de 1.500 euros pour tous les personnels des EHPADs travaillent dans les 33 départements où l’épidémie aura été la plus forte, et de 1.000 euros pour les autres. Il faut dire qu’à côté des hôpitaux et personnels hospitaliers, qui ont attiré l’attention des pouvoirs publics et des citoyens, les EHPADs sont pourtant ceux qui ont payé le plus lourd tribut au Covid-19. Plus de 12.700 résidents y sont morts depuis le 1er mars 2020, qui représente on le sait, plus de la moitié des victimes du coronavirus en France. Dans l’un des EHPAD du Haut-Rhin, 76% des résidents ont été testés positifs. Dans cet autre établissement de Grasse sur la côte d’Azur, plus d’un tiers des résidents sont décédés des suites d’une suspicion au covid-19. Le parquet de Grasse, rapporte Le Figaro, a d’ailleurs ouvert une instruction pour homicide involontaire et omission de porter secours à personne en péril. D’après une enquête du quotidien Le Monde, rendue publique début mai, cette hécatombe serait le résultat de 3 facteurs combinés. Le manque de masques qui est un constat unanime. Il a conduit les personnels à transmettre le virus aux personnes âgées qui l’ont payé de leurs vies. Vient ensuite le manque criant de tests, limités à trois par établissement dans un premier temps. Enfin, la prise en charge des malades venus des EHPADs par les hôpitaux est jugée inégale et c’est le troisième facteur aggravant ».
(Introduction à réécouter ici)
Trois témoins importants ont été interviewés. Voici quelques extraits marquants :
- Gabriel nous offre un témoignage poignant et bouleversant sur les conditions du décès survenu en quelques heures seulement de sa mère, résidente d’un EHPAD dans le Grand-Est « C’était le 15 avril 2020, le médecin de garde de l’EHPAD où était ma maman m’a appelé, et la terrible nouvelle est tombée, alors que je ne m’y attendais pas par ce qu’elle était confinée et bien protégée dans cette maison de retraite. Elle venait donc d’être contaminée par le virus du covid-19. Elle avait une fièvre, une toux persistante et des difficultés respiratoires. Alors que la semaine précédente ma maman était bien portante, même si elle était fragile, lié à son âge. J’ai demandé au médecin qu’est-ce qui était prévu comme soins ? Et il m’a dit qu’il y aurait des soins uniquement palliatifs. Donc, pas de soins curatifs, pas d’antiviraux, pas d’antibiotiques, rien, juste un accompagnement vers la mort. Quelques heures plus tard, mon grand frère m’a contacté et c’est là que j’ai appris donc le décès en même pas une journée de ma maman…» ; Il raconte la découverte par ses filles nées dans une société moderne, avec des systèmes de soins modernes, avec des hôpitaux où on prend en charge les malades, tout d’un coup une chose qui effectivement est horrible, l’impossibilité des hôpitaux, des EHPADs de prendre en charge les personnes âgées qui sont contaminées par le covid et que la seule issue était malheureusement fatale. Tout ça pour des raisons vraiment ridicules d’accès à des masques et à des tests ». Gabriel poursuit en parlant des fausses promesses de l’allocution présidentielle qui avait fait espérer que l’on rattrape en France le retard sur la mise à disposition des masques ; des prouesses de notre voisin allemand sur les tests et sur son bilan beaucoup plus favorable sur la mortalité ; le fait que nous n’ayons rien réglé chez nous un mois et demi plus tard ; les conditions du deuil et de l’enterrement de sa mère ; « Gouverner, c’est prévoir, et on découvre que les autorités françaises le gouvernement n’a rien prévu » ; qu’après le désarroi, sa détermination, sa colère, sont arrivées… Il se rappelle des louvoiement du ministre de la santé concernant notamment l’absence, la pénurie de masques, l’absence, la pénurie de tests, qui ont entraîné la mort de sa maman et déclare vouloir poursuivre l’autorité régionale de santé, pénalement et dans un deuxième temps, de porter plainte aussi contre le ministre de la santé, il faut saisir la Cour de justice de la République ; Sa « réparation » qu’il souhaite auprès des autorités françaises, auprès du gouvernement, c’est au moins qu’ils reconnaissent leurs erreurs. (Extrait à écouter intégralement ici)
- Éric, directeur d’Ehpads en Savoie, se confie « On a été bien malchanceux, car nous étions situés à proximité d’un des premiers clusters. Donc, on a été vraiment confrontés très vite au virus. Dès le 2 mars on savait qu’il fallait que l’on prenne toutes les précautions, on a fermé l’établissement aux visites bien en amont de toutes les consignes gouvernementales, on avait mis le port du masque, on avait vraiment tout mis en place très rapidement. Malgré ça, le virus est rentré. Il est rentré en force dans l’établissement. Puis qu’on a eu le premier cas confirmé au 9 mars. La problématique que l’on s’est rendu compte après c’est que comme on ne connaissait pas suffisamment bien ce virus, on nous avait dit, une grippe c’est simple. Qu’est-ce qu’on fait pour une grippe, on prend la température. A partir du moment où la température monte à 38°C, 38,5°C, 39°C de fièvre, à ce moment-là, on connait les procédures, on isole les résidents, on les met en sécurité, et puis on arrive à endiguer les épidémies de grippes, ce n’est pas toujours très simple, mais ça ce sont des choses que l’on sait faire. Ce que l’on ne savait pas à l’époque, et qu’on a vu après. C’est que le 9 mars, quand on a eu le premier cas symptomatique, elle avait déjà depuis plusieurs jours des toutes petites fièvres. Voyez, la différence, c’est la difficulté d’identifier les symptômes. Et pendant ce temps-là, on s’est rendu compte que le covid, il s’était répandu largement au sein de l’établissement. S’est répandu sans qu’on le voie et sans qu’on puisse réellement agir. Donc, là on a surveillé et on a eu à nouveau des personnes qui elles-mêmes à leur tour, entre le 9, le 10, le 11, en l’espace de 48h, on a eu des poussées monstrueuses de ce virus qui attaque en fait de manière très forte. Et on a perdu je crois 5 résidents je crois de mémoire dans les 3 premiers jours qui ont suivi le premier cas. Donc, ça a été d’une extrême violence. Et on a eu le dimanche 22 mars, alors qu’on avait en une semaine sans décès, il y a eu 4 morts le même jour. Et là ce sont des conditions qui sont extrêmement compliquées. Par ce que d’abord, vous appelez des services d’urgences et puis vous leurs dites, bonjour, on a un cas de covid19, donc au début ils vous disent, on va venir prendre la personne, on va s’en occuper. Et puis on va l’accepter au sein de l’hôpital. Ça a été vrai pendant quelques jours, une quinzaine de jours à peu près. Puis après l’épidémie s’est répandue en Haute-Savoie. Après, vous appeliez le service des urgences. On nous disait, je suis désolé, mais nos services sont saturés, donc on ne pourra pas venir chercher personne atteinte du covid. Donc, on a beaucoup de résidents qui sont restés sur l’établissements. Et on a dû accompagner effectivement des fins de vie. On a 20 cas où le virus a attaqué fortement, on en a 2 qui, à ce jour, ont survécus à une attaque forte du virus. On n’en a que 5 qui sont décédés à l’hôpital, 13 qui sont décédés au sein de l’établissement. Et les accompagnements de fins de vie comme ça, sont effectivement très compliqués. En parallèle de ça, on arrive aujourd’hui à une vingtaine de nos salariés qui ont été touchés depuis maintenant six semaines au niveau du virus. Donc au 16 mars il nous manquait 50% de notre effectif. Le virus est arrivé sur un secteur extrêmement fragilisé, avec des conditions de travail détériorées, un manque de personnel quasiment chronique. En temps normal, s’était compliqué. Là vous imaginez bien qu’à 50% de personnel absent, notre fonctionnement a été extrêmement difficile. Et puis vous avez une absence de réaction. Vous vous dites, mais pourquoi on ne s’intéresse pas aux EHPADs ? ou pas suffisamment vite, et ça cette partie-là a été aussi humainement très compliquée à gérer, avec le sentiment de dire qu’une fois de plus malheureusement les EHPADs et les personnes âgées passent au second plan ». (Extrait complet à écouter ici)
- Virginie, salariée d’un groupement public des EHPADs du Val-de-Marne, habituellement en charge de la « gestion administrative » s’est mise à disposition de son établissement comme agent de bionettoyage pendant la crise sanitaire. Elle s’exprime d’abord sur la difficile désinfection dans les EHPADs et sur le « quotidien » des salariés dans ces établissements :
« Si vous ne voulez pas que le virus se propage, il faut nettoyer toutes les surfaces sur lesquelles les résidents mettent leurs mains, mettent leurs bouches, par ce qu’ils sont déambulant, ce sont des personnes âgées. Si la personne déambule en mettant ses mains partout, qu’elle est porteuse du virus, et qu’elle refuse de porter des gants, à chaque fois qu’elle passe quelque part, vous repassé un coup. Et puis nous, on a eu du matériel de protection bien plus tard que les hôpitaux, donc au-delà des gestes barrière, on n’a pas eu des masques tout de suite, quand on en a eu, on n’en a pas eu en quantité, ce qui fait que l’on pouvait garder 7 ou 8 heures le même masque. Là, on est en tension sur les surblouses, les tenues jetables que vous mettez pour aller dans les chambres des résidents. On en est à faire fabriquer des surblouses par des associations, on en est à utiliser du matériel de cuisine, les grandes blouses en coton blanches que vous mettez dans les cuisines professionnelles. Il ne faut pas oublier de mettre les surchaussures, puis faut surtout pas oublier de les enlever, par ce que d’une chambre à l’autre vous ne pouvez pas rentrer avec les mêmes surchaussures. C’est beaucoup de difficultés qui s’ajoutent au quotidien. Les désinfections pour tous les soignants, pour tous les personnels de l’EHPAD, du Directeur, en passant par la femme de ménage, l’hygiène est une pression permanente. Quand je pars le matin de chez moi, je prends ma température, pour être sûr de ne pas avoir de température et me dire que je peux y aller sans prendre de risque. C’est une charge mentale en plus. Par ce que je sais que c’est moi qui apporte le covid dans la maison de retraite. Par ce que nos résidents ne sortent pas. Ils n’ont plus de visites. Et puis le personnel, il est fatigué, car on a un absentéisme plus conséquent. Par ce qu’on a des personnels qui sont covid +, par ce qu’on a des personnels qui sont en 12 heures. On nous a annulé les vacances, on nous annule nos RTT. Moi j’ai des collègues de travail qui prennent des anxiolytiques pour dormir par ce qu’elles font des cauchemars, d’autres se « shootent » à la vitamine C » parce que sinon elles ne tiennent pas. On a des collègues qui arrivent le matin, en fin de matinée, elles pleurent. J’ai mon fils de 13 ans qui me demande, maman combien tu as perdu de résidents quand je rentre… On est démunis, c’est-à-dire qu’entre le 11 mars et le 27 mars, ils se rendent compte qu’il y a une surmortalité et que la maladie va être une catastrophe dans le secteur des personnes âgées, mais ils n’ont rien fait ! »
(Extrait complet à écouter ici)
Puis, elle apporte un témoignage sur les refus d’hospitalisation de résidents, les traitements légalisés d’accompagnement à la fin de vie « Donc aujourd’hui vous avez une crise de covid, vous croyez qu’une personne de 94 ans qui vie en EHPAD, on va vous la prendre ? eh bien, je ne sais pas, je n’ai pas vu encore. On trie, il n’y a pas un hôpital qui ne trie pas les patients. Ça s’appelle la perte de chance. On a 1 lit, on a 4 malades qui viennent, on va hospitaliser celui qui a le plus de chance de survivre et de s’en tirer. On va évaluer ses chances. Et l’hôpital public c’est ça aujourd’hui. Le gouvernement, il nous a sorti un décret le 28 mars qui nous dit, en EHPAD vous avez le droit d’utiliser le Rivotril® (clonazépam, une benzodiazépine qui en a remplacé une autre, l’Hypnovel®, midazolam, qui ne se fait plus). On a le droit de sédater les résidents. Ce décret il dit, ben écoutez comme de toute façon on n’a pas les moyens de les prendre à l’hôpital, quand ils sont vraiment au bout de leur vie en fin de vie, n’hésitez pas à les sédater, pour éviter qu’ils ne souffrent. C’est-à-dire que là, le gouvernement légitime le fait qu’on ne pourrait rien faire pour nos résidents par l’utilisation du Rivotril® ». Grosso modo, c’est, on ne sauvera pas tout le monde, mais il ne faut pas qu’ils souffrent… C’est-à-dire qu’en fonction de l’âge que vous avez, vous avez ou pas votre place dans la société. Quand vous êtes vieux, très vieux, et malade et que vous êtes en EHPAD, on ne vous prend pas en compte. Donc, il y a un vrai problème d’âgisme (discrimination ou ségrégation à l’encontre des personnes âgées, selon le Larousse Illustré 2020). Et il y a un problème aussi sur l’accompagnement de fin de vie, bien sûr. Si on prenait en compte réellement la fin de vie dans notre pays, les EHPADs ne souffriraient pas d’un manque de moyens depuis tant d’années ».
(Intégralité de l’extrait ici)
Virginie aborde aussi la question de l’isolement en chambre individuelle, y compris au moment des repas, des résidents pour mieux les protéger « On assiste depuis le début de la pandémie à des aberrations. Le Premier Ministre annonce le 28 mars lors de sa conférence de presse, que dorénavant, il faudrait que les résidents soient confinés en chambre. Soit ! Dans l’établissement où je travaille il y a 72 personnes, donc 72 repas 3 fois par jour. La première aberration, c’est que les résidents dans un EHPAD, ils peuvent manger en salle-à-manger en toute convivialité. Là, ils nous disent qu’il faut qu’ils mangent en chambre. Sauf que vous n’avez pas le « matos », par ce que pour faire manger 72 résidents 3 fois par jour il vous faut des adaptables. Vous savez, les tables hospitalières, on n’est pas sensé en avoir en EHPAD. Donc on a appelé la ville de Vitry (sur Seine), qui nous ont prêté du matériel. Donc, ça veut dire qu’il faut servir 72 repas entre midi et midi et demi, et veiller à ce que toutes les personnes qui n’arrivent plus à manger seules, puissent manger. Donc ça sous-entend que si vous en avez 22 qui ne peuvent pas manger tout seul, vous mobiliser déjà toute votre équipe de soignante, elles sont 8, qui sont les seuls agents habilités à donner à manger, par ce qu’il faut éviter les « fausses routes ». Et vous laissez tous les autres dans leurs chambres devant leurs plateaux tout seul devant la télé. Et ça, trois fois par jour. Si ce n’est pas mal traitant pour les personnes âgées, je ne sais pas ce que le gouvernement essaye de nous dire, mais c’est que voilà…» (Extrait à écouter ici)
L’agent de bionettoyage, qui n’a pas sa langue dans sa poche, et c’est tant mieux, termine son propos en abordant les sempiternelles « moyens à minima » en France « ça fait deux ans qu’on se bat pour avoir des moyens dans les EHPADs, est-ce que vous les avez vu vous venir ? Par ce que nous, on n’a rien vu venir. Le Premier Ministre a annoncé 1.500 renfort en EHPAD pour 7.258 EHPADs sur le territoire national. Vous m’expliquez ? On met un bras à un endroit, une jambe dans un autre. Alors qu’on réclame à minima l’embauche de 2 agents par établissement. Je pense qu’il va y avoir un choc post-traumatique chez les professionnels de santé qu’on ne mesure pas encore. Mais quand ça va être fini tout ça. On va avoir des pompiers épuisés, des personnels de santé épuisés, des gens qui voudront quitter les métiers, par ce qu’ils auront vécu des horreurs. Est-ce qu’on aura la force de continuer. Ça c’est autre chose. Regardez la misère qu’ils nous ont fait à l’hôpital. Mais après le covid, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont continuer à casser l’hôpital. Ils ont besoin que la fonction publique dans ce pays coûte moins chère. Donc, ils ont besoin de la réformer. Et pour la réformer. Ils n’ont pas arrêté la Loi sur la fonction publique du 6 août. Les ordonnances continuent de sortir. On continue de casser le service public pendant que le service public lutte contre le covid. Les ordonnances de la Loi du 6 août 2020 sur la refonte et la transformation de la fonction publique, ils ne l’ont pas suspendue. La réalité, c’est qu’ils ont un projet de société qui est à minima, et je suis très inquiète ». (Extrait complet à réécouter ici)
Le 28 mars 2020, lors de la conférence de presse du Premier Ministre, Edouard Philippe, Olivier Véran annonçait l’isolement en chambre individuelle des résidents dans les EHPADs où le virus circule. Une mesure nous l’avons vu difficile à mettre en œuvre compte tenu de l’architecture et de l’organisation actuelle de la majorité de ces établissements
Le 28 juillet, sur France Info « Nicolas Teillard : Et nous repartons maintenant pour la Meuse, où nous avons décidé de retourner dans un EHPAD très durement touché par l’épidémie de coronavirus. C’est à Sommedieue, à 15 km de Verdun, où nous étions allés dans cette maison de retraite le 25 mars dernier, depuis, 22 des 83 résidents sont morts. Des décès qui ont affecté le personnel qui a dû vivre avec la souffrance de ces personnes âgées avec aussi la détresse de leurs familles qui pour certaines, n’ont pas pu dire adieu à leurs proches ? Quatre mois plus tard, l’ambiance, l’atmosphère est encore lourde, la crainte d’un retour de l’épidémie est dans tous les esprits ». Valentin Dunate, Journaliste « Depuis la mi-juin les résidents peuvent à nouveau se réunir dans le hall central. Là, ils regardent la télé, et jouent aux mots fléchés, un peu comme si de rien était. Pourtant, les séquelles de l’épidémie sont toujours Là. Pour aider le personnel, une cellule psychologique de Verdun intervient dans l’établissement. Comme l’explique la psychologue Stéphanie Granger « Le traumatisme est profond. Cet état de stress, d’hypervigilance, on l’a gardé pendant des mois. C’est ça qui fait que c’est vraiment particulier. Et donc, ayant conscience de ça, la cellule d’urgence nous a bien précisé que on commence les groupes maintenant, mais on ne sait pas quand ça se termine ». Valentin Dunate « Preuve de la difficulté à surmonter cette étape, le médecin coordonnateur a quitté la maison de retraite il y a un mois. Sandrine Lhotte-Sidoli en est la Directrice » : « Il était là depuis 4 ans. Il est venu dans votre bureau, il vous a dit quoi ? Madame, je ne peux plus là. Voilà. Je rends mon contrat. Je ne peux plus, je ne veux pas revivre ça. A mon âge je n’ai jamais vécu. En tant que médecin, il avait l’impression d’avoir loupé des choses, bien sûr. Heureusement qu’il a pu en discuter avec des confrères. Mais voilà. Je pense que c’est une expérience qu’on ne veut pas revivre. La crainte et le souvenir sont toujours là, même si le personnel doit tout faire pour ne pas le montrer aux nouveaux résidents qui sont accueillis. Pendant la crise, les yeux de Christelle Giraut, infirmière trahissaient son anxiété. La voici reposée mais toujours marquée. On fait une nouvelle entrée, malheureusement on arrive dans la chambre. On se dit ah, oui, c’était telle personne qu’on a accompagnée ou qu’on n’a pas pu accompagner. Il y a toujours des choses qui nous font repenser. Alors pour tenter de soulager les équipes, les familles des résidents décédés, une cérémonie, financée par la Fondation de France sera organisée au mois de septembre. Une façon de braver le silence pour la psychologue. L’absence de symbole dans la mort, l’absence de paroles, voilà, ça c’était le plus difficile… Parler c’est important. Important aussi pour les résidents qui ont vu certains de leurs amis partir au fur et à mesure. Pour les rencontrer, direction le deuxième étage. Dans la chambre de Berthe Lombard, 95 ans, il y a des dizaines de photos de sa famille. Madame Lombard, Bien choquée quand même. Puis en plus, les personnes avec qui je jouais, il y en a 3 qui sont décédés, alors ma foi, c’est malheureux. Espérons que ça ne reviendra pas. Dans les propos de ces personnes bientôt centenaires, il n’y a pas de peur, mais une peine retenue. Espérance a 93 ans. Je l’ai appris un peu tard, mes deux voisines, elles déjeunaient tous les jours avec moi. On avait fini par bien s’entendre. Et oui, j’ai été très choquée. Chacun fait ce qu’il veut, mais moi j’y pense tous les jours. Les résidents, le personnel, doivent désormais composer avec ce drame qui aura marqué l’histoire de cette maison de retraite. Mais, heureusement, il y a l’espérance. Vous ne trouvez-pas que votre prénom il va avec ce qui se passe ici à la maison de retraite ? Je sais pas. L’espérance. Ah ben, c’est très beau. Je l’ai, je l’ai. (Réécouter l’intégralité du reportage ici)
Le 21 juillet étaient auditionnées par la mission d’enquête de l’assemblée nationale les représentantes des médecins coordonnateurs d’EHPADS et autres ESMS, sous la présidence du député Julien Borowczyc (lui-même médecin), dont voici un extrait du propos liminaire :
« La question sensible de la prise en charge des résidents en EHPAD pendant la crise sanitaire…En effet, ils sont particulièrement vulnérables au coronavirus, âge avancé, polypathologies, et comorbidités associées, facteurs propices aux formes graves, et l’hébergement collectif ainsi que la visite des proches peuvent favoriser la contamination. Activation du « plan bleu » dès le 6 mars à la demande du Ministère en charge de la santé : interdiction des visites à partir du 11 mars, isolement des patients en chambre si nécessaire et surveillance particulière de la propagation du virus dans ces établissements. Puis il leur a été demandé de mettre en place des secteurs dédiés aux résidents atteints du covid et une stratégie de dépistage systématique des résidents et des personnels quand un cas de contamination au coronavirus était constaté. Nous souhaiterions faire le point avec vous très concrètement de la façon dont s’est organisée la prise en charge des personnes malades, la mise en place des soins et l’accès à l’hôpital pour les cas qui le nécessitaient ».
Dr Odile Reynaud-Levy, FFAMCO (Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad), Vice-présidente et Dr Nathalie MAUBOURGUET, Présidente.
Dr Odile Reynaud-Levy « Une grande variabilité des maisons de retraites en termes de médecins coordonnateurs, puisque certaines n’en n’ont pas (25%), de statut d’EHPAD, avec du public, du privé associatif, du privé lucratif, et puis en nombre de résidents, puisqu’on peut trouver des EHPAD qui vont de 20 à 350 résidents, et puis également le nombre de médecins traitants qui interviennent dans les EHPADs qui peut aller de 1 jusqu’à plus de 50 médecins par établissement. L’épidémie est aussi survenue dans des établissements chroniquement sous-dotés en personnel soignant malgré une augmentation de la dépendance constatée partout, et elle a donc fortement impactée des équipes qui étaient en sous-effectif chronique »
Dr Odile Reynaud-Levy « Le manque de matériel, dont il a souvent été question dans cette épidémie a été aussi extrêmement flagrant en Ehpad, en particulier les masques [1], et nous avons remonté dès le début du mois de mars auprès de toutes les ARS ces carences, et par endroit également des carences en solutions hydro alcooliques. La situation s’est peu à peu normalisée dans le courant du mois d’avril, et il y a eu à ce sujet l’intervention de collège de gériatrie le 26 mars et nous avons également publié un communiqué de presse le 18 mars sur ces sujets-là. Par ailleurs, l’absence de surblouses, de lunettes de protection, de masques FFP2 pour les EHPADs ? alors qu’il nous avait été demandé, vous nous l’avez dit, de créer des unités covid dans nos établissements, unités destinées donc à héberger des patients atteints, avec les mêmes risques de transmission aux autres résidents et au personnel soignant, qu’à l’hôpital. Et dans ces unités covid, la prise en charge des résidents s’est donc apparentée à une prise en charge hospitalière, mais nous n’avions pas les moyens de l’hôpital. Ces disparités sont aussi constatées entre certains EHPADs publics et privés, ces derniers ayant eu des EPI (équipements de protection individuelle) en quantités suffisantes pour travailler auprès des résidents infectés, ce qui n’était pas forcément le cas dans certains EHPADs publics. Enfin, comment prendre en charge correctement des résidents malades, lorsqu’ils étaient oxygéno-dépendants quand on sait qu’obtenir des extracteurs d’oxygène était très difficile et également la majorité des patients atteints de cette maladie nécessitait une oxygénothérapie supérieure à 10 litres par minute de débit d’oxygène alors que majoritairement les EHPADs sont dans l’incapacité de fournir des débits supérieurs à 5 litres par minute d’oxygène. Enfin, à la fin du mois de mars, la demande d’isolement des résidents en chambre individuelle a été faite, avec certaines ARS qui ont mis du temps à transmettre les recommandations ministérielles. Mais comment faire dans des EHPADs où il persiste des chambres doubles ? Et créer des unités covid afin de regrouper des patients atteints était une bonne idée [2], mais toutes les architectures ne l’ont pas permis. Nous avons faire face aussi à l’impossibilité d’isoler des résidents présentant des troubles psycho-comportementaux à type de déambulation, symptômes qui entrent dans le cadre de l’évolution de maladies neuro-dégénératives, dont je vous le rappelle, la moyenne est de 60% et un peu plus en EHPAD en France qui sont atteints de ces maladies. Certains confrères nous ont dit accepter avec fatalisme, la possibilité de voir tout un secteur devenir covid + car ils avaient choisi de ne pas contentionner ces personnes afin de respecter leur dignité ».
[1] Les représentants des Directions des EHPADs, semblent avoir une confiance démesurée en l’efficacité des masques à éviter des contaminations (Voir mes chroniques N°11 et N°12)
[2] Cela reste entièrement à démontrer. Regrouper des malades peut augmenter fortement les charges virales. Il existe d’autres modes de prise en charge. Le principe général qui a prouvé son efficacité dans les maladies infectieuses sévères, est l’isolement individuel. Il était question à un moment de les isoler dans des chambres d’hôtel.
Dr Odile Reynaud-Levy « Pour l’accès à l’hôpital, qui est je pense un problème sur lequel nous allons revenir, dans la phase initiale de l’épidémie, les médecins coordonnateurs, bien qu’ayant obtenu parfois l’accord téléphonique avec le centre 15 pour transférer certains de leurs résidents à l’hôpital, ceux-ci ont été renvoyés à l’EHPAD sans même avoir pu être admis aux urgences. Il est à noter que les confrères qui nous fait remonter de tels événements, ont déclaré qu’ils avaient cessé dans la deuxième partie de l’épidémie. Mais cette situation, en tous cas dans la première phase de l’épidémie a entraîné une auto-censure de certains médecins qui ne prenaient plus de contact avec les services hospitaliers en pensant qu’aucun résident en EHPAD ne serait plus accueilli et donc la mise en place des « Hot line » sur laquelle je pense aussi on va revenir, a quand même permis petit à petit de limiter ces comportements-là. Dans certains territoires, l’absence de lits accessibles, alors qu’ils étaient disponibles par le déclenchement du plan blanc, car il y a eu des refus de mobilisation de certains lits du secteur privé. Il faut également rapporter que certains médecins coordonnateurs ont été licenciés ou mis dans une grande difficulté pour avoir refusé d’obtempérer à des ordres émis par leur direction qui s’était attribué des missions relevant de décisions médicales et qui étaient incohérentes, inadaptées, voire dangereuses pour certains résidents ».
Dr Nathalie MAUBOURGUET « Quelques détails, rapporter aussi le témoignage de confrères qui ont pris la première vague en Alsace, pour dire que ça a été terrible, voilà, c’est vraiment les mots. Malgré le grand courage des confrères, des aides-soignants, face à cette terrible vague pandémique sur eux, arrivant d’un seul coup. On s’est retrouvé évidemment sans EPI, ça on l’a assez dit, mais aussi, ce qui était vraiment compliqué pour les soignants qui étaient à l’intérieur de la structure, c’était cette incapacité à pouvoir gérer l’urgence, particulièrement l’urgence respiratoire. Par ce qu’on n’avait pas le matériel. Et manquer de matériel aussi simple que des suppositoires de Doliprane et d’oxygène, c’est extrêmement traumatisant pour les médecins, pour les aides-soignants, pour les infirmières. Et lorsque le 15 est complètement embolisé et qu’effectivement qu’il n’y a pas d’alternative, et qu’on a plus qu’à, et certains ont raconté douloureusement, et bien, avoir assisté au décès de personnes par ce qu’ils n’ont pas pu être transférer, c’est clair, que personne n’a envie de revivre ça maintenant. Et je vous remercie de nous inviter à cette table pour éviter que cette tragédie ne se reproduise ».
Dr Nathalie MAUBOURGUET « On est allé soutenir d’autres établissements qui étaient fortement touchés et avec 70% du personnel atteint, en fait, et un peu plus de la moitié des résidents, eux aussi atteints ».
Dr Odile Reynaud-Levy « Les évaluations cliniques, effectivement, il a été dit que dans certains endroits il n’y avait pas forcément eu, et des confrères nous l’ont retourné, on est là pour dire les choses, il n’y a pas forcément eu d’évaluation médicale dans tous les établissements. D’abord, je l’ai dit, il y avait des endroits où il n’y avait pas de médecin coordonnateur, il y avait des endroits où les médecins traitants ne venaient plus, et où on a du personnel soignant et des cadres de santé, ou des infirmières coordinatrices qui se sont retrouvés tout seul ».
Dr Odile Reynaud-Levy « Des confrères qui nous ont rapporté que bien qu’ayant eu une évaluation collégiale pour pouvoir justifier de l’hospitalisation de certains résidents, il y a eu des cas où des directeurs ont refusé l’hospitalisation de résidents, par ce qu’il y avait, alors ça c’est de l’interprétation, donc il faut le prendre pour ce que c’est, une espèce de honte entre guillemets à dire qu’il y avait des résidents atteints qui étaient hospitalisés, par ce que, qu’en auraient dit les familles, qu’en aurait fait la presse, est-ce qu’on va dire que mon EHPAD, il y a des cas de covid, et qu’est-ce qui va se passer, on va voir arriver BFM, ou d’autres, je m’excuse d’avoir cité un nom, mais, ou d’autres médias, on va dire qui seraient venus à l’entrée des EHPAD comme ça s’est vu à certains endroits, pour filmer caméra au poing, et dire des choses qui n’étaient pas forcément vraies ».
Dr Odile Reynaud-Levy « Est-ce qu’on a eu connaissance d’une directive disant qu’on n’hospitalisait pas les résidents ? Ma réponse, enfin pas la mienne, la réponse de MCOOR (association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social, dont elle est la Vice-présidente), c’est que non, il n’y a pas eu de directive dans laquelle il était écrit on interdit, on ne fait pas d’hospitalisation des résidents d’EHPAD, pas du tout. Il y a eu, mais ça c’est aux réanimateurs qu’il faut poser la question, et aux représentants de la société française d’anesthésie réanimation (SFAR) et ça a été repris d’ailleurs dans certains articles dans la presse, des discussions au sujet de l’hospitalisation en réanimation des résidents vivants en EHPAD, qui n’ai pas du tout la même chose que de parler d’une hospitalisation tous court. Et ce que nous, nous avions bien argumenté, c’est d’ailleurs l’objet de l’arbre décisionnel dont je vous ai parlé, c’était de pouvoir prendre une décision collégiale pour hospitaliser des gens qui pouvaient tirer bénéfice d’une hospitalisation. En particulier pour des patients qui nécessitaient une oxygénothérapie à fort débit que nous ne pouvions pas leur délivrer en EHPAD. Mais c’est pas du tout la même chose de les hospitaliser dans un service de médecine gériatrique ou de médecine polyvalente et de dire on les hospitalise en réanimation, ça n’a rien à voir ».
Dr Nathalie MAUBOURGUET « Alors moi, je n’ai jamais entendu, ni de confrères, ni de consignes à partir de tel âge, vous allez plus à l’hôpital. En revanche, dans certaines régions, l’Alsace, il faut bien le dire, ils étaient tellement submergés, qu’ils ne pouvaient plus prendre d’appels à l’extérieur, et plus personne d’ailleurs, et oui, il y a des confrères, j’ai entendu dire que dépassé 68 ans, on ne pouvait plus prendre personne. Donc 68 ans, nous la moyenne d’âge elle est de 87, alors imaginez… »
Éric Ciotti, Député et rapporteur général de la mission d’enquête parlementaire « Je voulais rappeler ce que disais, votre président je crois, Gaël DUREL, dans le Figaro, il disait, « il n’y a pas de place à l’hôpital », dans un article du 25 mars pour les résident en EHPAD, et il rajoutait, aujourd’hui quand on appelle le 15, on nous dit de plus en plus souvent « il n’y a pas assez de lits, trouvez les moyens de les garder chez vous ». Est-ce que cette phrase, personnellement on me l’a répété. Un de vos collègues médecin coordonnateur à Nice dans un établissement privé me disait avoir eu un débat assez tendu avec la régulation, où on lui rétorquait, « de toute façon ce patient va mourir, qu’il meure chez nous ou chez toi, c’est pareil ». Donc, est-ce que ces cas se sont multipliés ? Est-ce qu’il y a eu des documents écrits ? Ou comment cette régulation qui ne dit pas son nom s’est effectuée ? Et vous-même docteur, vous indiquiez il y a quelques instants cette phrase un peu terrible « Il a fallu faire des arbitrages, des choix douloureux dans le cadre d’une médecine de catastrophe. La médecine de catastrophe c’est quand la médecine normale, n’est plus en mesure d’assumer. Donc ça veut dire que dans ce cadre, si c’est une médecine de catastrophe, que la structure habituelle n’a pas tenu, n’a pas pu faire face. Contrairement à ce que d’autres interlocuteurs nous ont dit en disant « l’hôpital a tenu, on s’est mobilisés, on a été en tension, mais on a tenu ». Si l’on passe à la médecine de catastrophe, donc comment vous concevez, enfin, d’abord ce propos du Dr Durel, est-ce que vous le faites votre ? Et comment vous, vous définissez ces arbitrages ? Ils ont été fréquents, nombreux ? »
Éric Ciotti « Vous avez indiqué tout à l’heure qu’il y avait aussi une interrogation sur le nombre de morts, qui a sans doute été sous-estimé. On le saura par la suite, mais qu’est-ce qui précisément vous donne ce sentiment ? Et ensuite de façon un peu plus générale, est-ce que cette crise n’a pas sonné la fin de ce modèle des EHPADs ? Vous parliez de sous-médicalisation, est-ce que la montée en puissance des moyens humains dont vous déploriez le caractère trop modeste. Est-ce que c’est simplement une question de moyens ou de façon plus fondamentale il faut se reposer la question de ces structures ? Vous avez ouvert une piste tout à l’heure qui me parait très importante que j’ai pu un peu empiriquement constater dans mon département, les Alpes-Maritimes, en disant, les EHPAD qui étaient adossés à des hôpitaux, ou des structures publiques, ont eu des résultats nettement supérieurs. Je crois que c’est le cas de façon empirique dans mon département. Un établissement où il y a eu 39 morts, mais je mets celui-là, c’est terrifiant, sur 80 résidents. Mais dans les structures où il y a eu beaucoup, beaucoup de morts, c’était essentiellement des structures à but lucratif. Est-ce que l’une des raisons, c’est pas que justement ces structures n’étaient pas accolées à l’hôpital ? Et que dans les structures publiques il y avait un lien et une capacité d’hospitalisation plus facile ? En gros est-ce qu’on n’a pas refusé à des établissements privés l’hospitalisation de résidents, alors qu’on l’acceptait pour des structures publiques ? Je prends le témoignage du maire de Mougins, dans la commune de laquelle il y eu ces 39 morts, qui a dit dans la presse, qui est médecin, qui est d’ailleurs lui-même médecin coordonnateur, pas de cet établissement, qui a dit, « le protocole c’est 2 jours de Doliprane, et après 2 jours de Ritrovil, et pas d’hospitalisation. Et on a vécu cela pendant 3 semaines dans un établissement où le président du département a signé un arrêté de fermeture, dont la fermeture a été refusée par l’ARS. 39 morts sur 80 résidents ».
Sur le refus de prise en charge des résidents âgés à l’hôpital et tout particulièrement en réanimation, il est intéressant de réactualiser les données analysées dans ma chronique N°7 « Nos aînés, les plus de 75 ans, ont été massivement exclus des réanimations » du 10 juillet. Voici les nouvelles courbes
En effet, l’exploitation des données de Santé Publique France ne laisse aucun doute sur la stratégie d’éviction du grand âge des réanimations. Puisque le 15 mars les 75 ans et plus représentaient 36,8% des patients covid-19 admis dans les services de réanimation et de soins-intensifs, que ce chiffre s’est effondré pour toucher un plus bas à 13,9% le 6 avril, au moment du pic de décès. Alors que les 75 ans et plus ont totalisé plus de 50% des patients hospitalisés tous services confondus entre le 21 avril et le 4 août, ils ne sont jamais remontés au-dessus des 25% en réanimation…
Le 29 juillet 2020 la page « Actualités » du portail Orange titrait « Alpes-Maritimes : un Ehpad reconfiné en raison d'un cas de Covid-19 » (ici) :
L'Ehpad « La Riviera » de Mougins (Alpes-Maritimes), où 40 résidents sur 109 sont décédés du Covid-19 depuis le début de l'épidémie, a été reconfiné à la suite d'un cas positif chez une résidente, a-t-on appris mardi 28 juillet auprès du groupe Korian. Ce cas « positif » concerne une résidente hospitalisée pour d'autres raisons de santé au centre hospitalier de Cannes, précise Antoine Ruplinger, directeur régional de Korian, groupe qui gère cet établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes, confirmant une information de Nice-Matin. « Cette résidente, qui avait été malade du Covid en mars dernier et en était guérie, avec plusieurs tests négatifs, a subi un test positif lors de son admission au centre hospitalier, laissant supposer soit à des traces de son ancienne infection, soit à une nouvelle infection », précise M. Ruplinger, ajoutant que « l'hôpital a indiqué qu'elle ne présentait aucun symptôme du Covid ».
Aucun autre test positif. Par précaution, Korian a néanmoins reconfiné depuis samedi ses résidents et interdit les repas pris en commun et la visite de proches. Le groupe a également effectué un ensemble de tests sur les personnes âgées et le personnel. « Tous les tests effectués sur la soixantaine de résidents sont négatifs, de même que ceux effectués sur la plupart de nos soixante collaborateurs », note-t-on chez Korian. En fonction des derniers résultats attendus mercredi sur le reste du personnel, les mesures de confinement et de restriction de visites pourraient être levées dans la foulée. En avril, à la suite des nombreux décès dans l'établissement, des proches de résidents ont déposé plainte contre X pour homicide volontaire, non-assistance à personne en danger et mise en danger d'autrui.
Se reposer la question de ces structures comme l’évoquait Éric Ciotti ?
Force est de constater que les directeurs d’EHPADs traînent les pieds, à en croire les propos de leur représentant Éric Fregona devant la mission d’enquête parlementaire le 28 juillet 2020 :
« Nous avions demandé à ce que l’Etat saisisse le Comité Consultatif National d’Éthique (pour les sciences de la vie et la santé). Ce qui a été fait et effectivement ça a permis de proportionner les confinements dans les établissements, par ce que très rapidement, il y a eu comme un affolement qui s’est passé. On a dit « oh la la, attention, il faut que toutes les personnes soient confinées en chambre. Ça, pour nous ce n’était pas acceptable, il fallait que ce soit mesuré, discuté, en interprofessionnalité et aussi également avec les personnes âgées, elles-mêmes et leur famille »
Pourtant il est parfaitement connu que la première mesure à prendre pour éviter des contaminations et des décès lors d’infections respiratoires graves, est l’isolement strict des malades !
Si l’on ne veut pas que la tragédie de l’hécatombe massive tous les ans au moment des épidémies d’infection à virus respiratoires, ne se reproduise, il va bien falloir changer radicalement les EHPADs.
Alors que faire ?
Il est évidemment préférable de prévenir plutôt que de guérir. Cette formule prend tout son sens dans le cas des infections respiratoires aiguës le plus souvent hivernales de personnes atteintes par le grand âge. Plutôt que d’avoir à réaliser des sauvetages héroïques de personnes très âgées et polypathologiques, en détresse respiratoire, qui plus est au risque de lourdes séquelles, dans des réanimations ayant déjà beaucoup de difficulté à maintenir en vie les moins de 65 ans également en défaillance respiratoire, ne vaudrait-il pas mieux éviter absolument qu’elles n’attrapent le virus ?
Dans l’attente d’un très hypothétique vaccin à l’efficacité incertaine, alors, oui, il faut repenser intelligemment l’EHPAD, pour qu’il puisse s’adapter, se métamorphoser en période de crise sanitaire afin de dépister et d’isoler strictement et individuellement les malades et les personnes à risque sans pour autant couper tout lien social avec ses résidents.
- L’isolement en chambre individuelle des malades et des vulnérables est une mesure ABSOLUMENT INDISPENSABLE. Comment les leucémiques immunodéprimés en attente de greffe de moelle osseuse sont-ils pris en charge dans les services d’hématologie ? On les place dans des « bulles » (chambres stériles). Nos très âgés sont probablement encore plus fragiles.
- Sans aller jusque-là, il doit être possible, lorsque l’établissement est doté de chambres doubles, d’imiter les supermarchés qui ont parfaitement su protéger leurs caissier(e)s avec quelques plaques de plexiglas, bien plus efficaces que des masques !
- Probablement, réfléchir au mode de ventilation des chambres (filtres bactériens, sur ou sous-pression, traitement UV…). Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, mais il y a surement des améliorations à réaliser
- Embaucher massivement, notamment pour donner les repas individuellement. Mais, le chômage n’est-il pas reparti à la hausse suites aux décisions calamiteuses de confiner totalement la population. Il faudra revoir complètement les plannings. Les repas en collectivité sont à proscrire en période épidémique.
- Être imaginatif et s’appuyer sur les outils numériques et multimédias pour maintenir les animations si nécessaires aux résidents afin qu’ils ne perdent pas trop de lien social. Intervenants en vidéosurveillance. Echanges entre résidents et avec leurs familles en caméras numériques sur tablettes…
Puisse rapidement maintenant, la Loi du « Grand âge » venir enfin en discussion sur les bancs de l’assemblée nationale et du Sénat, après avoir tiré sérieusement les leçons de la crise sanitaire si mal gérée, pour donner les moyens aux EHPADs de protéger véritablement nos aînés si vulnérables…
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.