Attentats du 13 novembre 2015 : précisions à l'intention de Bernard Cazeneuze

Auteur(s)
Laurence Beneux, pour FranceSoir
Publié le 16 septembre 2021 - 16:49
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Laurence Beneux Cazeneuve
Crédits
AFP
Livre de Laurence Beneux - Bernard Cazeneuve
AFP

« Mes pensées vont aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, à leur famille et à leur entourage. Je forme le vœu que ce procès soit l’occasion de répondre à leurs interrogations avec précision et dans un souci de vérité. La République le leur doit. » peut-on lire sur le compte Twitter de Bernard Cazeneuve, le 8 septembre 2021, jour d’ouverture du procès des terroristes ayant participé aux attentats qui ont endeuillé la France le 13 novembre 2015.

Un vœu auquel on ne peut que souscrire, comme on ne peut que souhaiter que ce procès ne soit pas détourné de sa finalité, juger les terroristes et permettre aux victimes de s’exprimer. On peut donc s’étonner que ce « souci de vérité » et de « précision » n’ait pas retenu l’ancien ministre de l’Intérieur de déclarer sur Europe 1 : "Quand on dit qu'une brigade d'intervention a souhaité intervenir à 21h30 et qu'elle a été empêchée de le faire, sans préciser qu'elle ne pouvait pas souhaiter intervenir à 21h30 parce que l'attaque commence à 21h40, on voit à quel point, quand on présente les choses d'une certaine manière, avec la volonté de nuire, de semer la colère et le trouble, on peut le faire en étant malhonnête".

La personne qui dit, ou plus précisément qui écrit, dans un livre consacrée à la Brigade d’Intervention, qu’une colonne de cette unité s’est vue interdire de se rendre dans le 11ème arrondissement de Paris à 21 heures 30, c’est moi. Et je le tiens des témoignages de plusieurs opérateurs de cette brigade, appelée plus communément la « BI ». Et comme je partage le souci de vérité et de précision dues aux victimes, et au reste de la population d’ailleurs, je vais citer précisément ce que j’ai écrit :

« (…) Les évènements s’enchaînent dans les 10ème et 11ème arrondissements de Paris (…)
Ils sont prêts à partir quand ils apprennent à la radio, à 21 heures 30, que des coups de feu retentissent dans plusieurs endroits de la ville ; ils font le lien avec les évènements du Stade de France. Les attaques se déroulent dans l’est de la capitale, c’est-à-dire de leur côté. Ils appellent leur état-major pour l’informer qu’ils sont sur le départ, mais celui-ci refuse et leur ordonne d’attendre. Ils suivent donc à la radio l’enchainement des évènements : les fusillades qui se succèdent dans Paris, sur les terrasses, devant le Bataclan, dans le Bataclan (…). L’impatience des policiers monte. L’un d’eux a appelé des collègues, quai des Orfèvres, à la Brigade de Recherche et d’Intervention, qui lui répondent ne rien savoir. Les opérateurs de la BI recontactent leur état-major, mais son directeur leur ordonne à nouveau de ne pas bouger. (…) En novembre 2015, la capitaine de la Brigade d’Intervention est une femme. Elle décide de prendre sur elle et ordonne à ses hommes de partir au QG de la BRI-PP, au 36 quai des Orfèvres. Elle ne les envoie pas sur les lieux de l’attaque, ce qui aurait été un indiscutable acte de désobéissance vis-à-vis de son état-major, mais au moins, les opérateurs de la Brigade d’Intervention seront à pied d’œuvre pour partir avec la BRI-PP (…) ».

Il est donc clair qu’à 21 heures 30, ce n’est pas la tragédie qui va commencer dix minutes plus tard dans le Bataclan qui pousse les policiers de la BI à vouloir se rendre dans le 11ème arrondissement de Paris – personne ne leur prête un pouvoir de divination - mais le massacre sur les terrasses.

Dans le documentaire « Les ombres du Bataclan », diffusé sur Arte et dans lequel je suis interviewée, je dis d’ailleurs « ils entendent à la radio que ça tire dans le 10ème et dans le 11ème, (…), donc ils appellent leur QG, il est neuf heures et demi, puisque ça a commencé à tirer à ce moment là, en disant « on est prêts » et là on leur dit « non vous n’y allez pas » (…). Ils entendent que ça continue à tirer dans Paris, donc ils rappellent le QG, l’état major (…)». L’interdiction de se rendre sur les lieux sera réitérée.

Je concède que le montage laisse ensuite entendre que les policiers auraient été devant le Bataclan vers 21 heures 35. Cette légère erreur de montage crée effectivement une imprécision : c’est à quelques centaines de mètres de là que des fusillades ont alors eu lieu.

Mais enfin, l’imprécision est immédiatement corrigée puisque je dis ensuite « Au moment où ça a commencé à tirer devant le Bataclan, puisque ça a commencé par là, ils auraient été à deux pas. Ils n’auraient certainement pas empêché quand ça a tiré devant le Bataclan. Par contre ils auraient été au Bataclan (je concède que j’aurais dû dire, pour être plus claire,  « ils seraient allé »), et là ils pouvaient intervenir, beaucoup plus tôt que ce qu’a pu le faire le commissaire, et le brigadier de la BAC ». Et puis, quand on est un ancien ministre de l’Intérieur et que l’on va parler dans les médias, je suppose qu’on prend la peine de se renseigner.

En tout cas, les faits, et eux seuls importent, sont les suivants : une colonne de policiers d’élite, expérimentés, entrainés à intervenir en cas d’attaques terroristes, équipés, auraient pu être rapidement sur lieux quand des gens se sont fait massacrer sur les terrasses de restaurants dans l’est parisien, et auraient pu être à pied d’œuvre pour intervenir dans le Bataclan dans les premières minutes de la tuerie qui a précédé la prise d’otage.

Je l’ai écrit dans un livre qui est sorti il y a plus d’un an, et cela n’a été contesté par personne. Utiliser les quelques secondes où le montage d’un documentaire pourrait créer une légère imprécision, si elle n’était immédiatement corrigée par la suite, pour laisser entendre que ça ne peut s’être passé, relève de la désinformation voire du mensonge. Oser enfoncer le clou en me prêtant, certes sans donner mon nom mais enfin ce sont mes propos qui viennent d’être évoqués, une « volonté de nuire, de semer la colère et le trouble » et m’accuser de malhonnêteté relève de la diffamation pure et simple !

Et ce n’est pas ce qui m’horripile le plus ! Prête-t-on aussi au policier de la BI qui témoigne dans le documentaire, et à tous ceux qui m’ont parlé avant la rédaction de mon livre, un malhonnête désir de nuire ? Que faut-il comprendre ? Un complot ?

Ce qui ressort des témoignages des policiers de la BI, et personnellement, je n’ai pas l’ombre d’un doute quant à l’intention de ces policiers qui ont risqué leur vie, c’est ceci : quand ils ont appris qu’on tirait sur leurs concitoyens, ils ont voulu intervenir tout de suite pour sauver des vies, et ils ne se remettent pas d’en avoir été empêchés, car jusqu’à aujourd’hui, pas une seule bonne raison ne leur a été donnée qui pourrait justifier ce fait. Six d’entre eux ont constitué, avec leurs collègues de la BRI, la colonne de douze à être entrée dès 22 heures 20 dans le Bataclan : ils envisageaient sérieusement qu’ils allaient mourir parce qu’il était raisonnable de penser que la salle était piégée. Certains ont fait leurs adieux, pas un n’a reculé. Ces hommes qui ont fait preuve d’un courage et d’un sang froid invraisemblables sont des héros, au sens le plus noble, le plus littéral du terme.

Et personne n’a tenté de salir, contrairement à ce que monsieur Cazeneuve a déclaré sur Europe 1, leur réputation ou celles des policiers intervenus par la suite durant cette nuit de cauchemar. Les évènements tragiques de l’année 2015 ont montré quelque chose qu’il est bon de rappeler quelques années plus tard : nos forces de l’ordre, dont l’immense majorité a embrassé des professions difficiles par vocation, constitue un réservoir d’héroïsme sur lequel nous pouvons tous compter, y compris dans les situations les plus extrêmes, pour peu qu’on les laisse faire leur travail.

Appel à rectification à l'intention de certains de mes confrères

À une époque où certains journalistes passent plus de temps à critiquer le travail des collègues, en se sentant autorisés à distribuer des bons points de « déontologie » plutôt que d’argumenter et de creuser le fond des choses, à une époque des accusations de « complotisme » lancées à tort et à travers ont remplacé l’argumentation pour devenir un outil de discréditation gratuite, je me permets à mon tour de rappeler une base du métier : les faits, ça se vérifie et une parole, même officielle, n’est pas parole d’évangiles. Elle se vérifie, se questionne et éventuellement se conteste. Car voyez-vous, les politiques ne disent pas toujours la vérité.

Certains de mes confrères ont relayé sans la discuter, l’objection de « timing » avancée avec une certaine mauvaise foi, par monsieur Cazeneuve pour contester l’interdiction faite aux hommes de la Brigade d’Intervention d’intervenir dès qu’ils le pouvaient. C’est embêtant, car ils ont ainsi fait œuvre de désinformation, pour reprendre un autre terme qui a le vent en poupe. Et le fait que des informations rapportées dans le documentaire « Les ombres du Bataclan » aient été précédemment rapportés dans un livre qui n’a jamais fait l’objet d’aucune contestation aurait dû éveiller leur attention !

Certains, comme dans Marianne et Arrêt sur Images, ont même poussé le bouchon, jusqu’à attaquer nominativement mon travail ! Avant de mettre en cause la probité et la conscience professionnelle de qui que ce soit, la déontologie veut qu’on l’appelle ! Et quand il s’agit d’une consœur qui a écrit un livre concernant les faits discutés, on le lit ! Quand on sait qu’Arrêt sur Images se targue d’être le « seul site français de critique des médias » et de « déconstruire  les récits médiatiques », on croit rêver..! Je suis stupéfaite que seul Guillaume Bigot ait pris la peine de m’appeler, et je l’en remercie, avant de relayer les affirmations de monsieur Cazeneuve concernant la BI, ce qui lui a évité de colporter des idées fausses dans son édito.

Je ne doute pas que les autres, par respect pour leurs auditeurs, spectateurs ou lecteurs, auront à cœur de redresser le tir et de rétablir la « vérité des faits » que monsieur Cazeneuve appelle de ses vœux !

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