Affaire CNEWS/Arcom : le Conseil d’État, juge du consensus scientifique ?
DROIT/ANALYSE - Le Conseil d’État fait-il toujours du droit ? CNews a tenté de faire annuler les deux mises en demeure que lui a infligées l’Arcom (ex-CSA) devant la juridiction(*), en vain. L’autorité de surveillance reproche à la chaîne d’information de remettre en cause des consensus sans contradiction suffisante et de présenter un de ses invités avec trop de complaisance, le Pr Christian Perronne en l’occurrence, de sorte qu’il n’a pu être qu’encouragé à développer “des thèses très controversées”. Un comble lorsqu’on se rend compte que le rapporteur public qui a opposé ce refus est intervenu sur le plateau de CNews à plusieurs reprises pour militer en faveur de la vaccination.
Le Conseil d’État ne prend pas de vacances lorsqu’il s’agit de défendre la politique de gestion de la crise sanitaire. En ce début de mois d’août, il reprend mot pour mot l’argumentaire de l’Arcom dressé contre CNews et s’autorise même à donner un avis scientifique.
Contradiction(s)
Ce qui est surtout reproché à la chaîne, c’est d’avoir permis une remise en cause d’un consensus, historique ou scientifique, avec une "contradiction très insuffisante ".
D'après le Conseil d'État, le Pr Christian Perronne a, le 21 novembre 2021, affirmé de "façon péremptoire" que l'épidémie de Covid-19 était "quasiment terminée en France". Il a également vanté les mérites de traitements à base d'hydroxychloroquine et a soutenu que les vaccins à ARN messager ont pour effet de "modifier les cellules des gens". Le 1er février 2022, le journaliste Ivan Rioufol, réagissant à des propos tenus par le Pr Didier Raoult, est quant à lui accusé d’avoir comparé la situation des personnes non-vaccinées à celle des Juifs du ghetto de Varsovie.
Or, pour le Conseil d’État, laisser proférer de tels dires sur un plateau de télévision constitue un "manquement à l'obligation d'honnêteté et de rigueur de l'information" et un "défaut de maîtrise de l'antenne".
En effet, il estime qu’au vu des données épidémiologiques disponibles, le Pr Perronne ne pouvait ignorer que "les admissions dans des services de soins intensifs de patients atteints de la maladie étaient en forte hausse et que la circulation du virus augmentait rapidement".
Pour lui, ces éléments concernent des données acquises de la science qu’on ne peut contredire à la télévision. D’autres ne sont pas de cet avis. Le statisticien Pierre Chaillot a par exemple démontré que les données en question relevaient en réalité du domaine statistique, et s’interprètent. Peu importe pour le Conseil d’État. Non seulement, le fait scientifique devient un argument juridique, mais en plus, une institution administrative s’arroge le droit de présumer ce qu’est un consensus scientifique.
Le consensus scientifique mis en avant plutôt que le droit
Ensuite, le Conseil d’État soutient "qu’il est reconnu par l'ensemble des historiens" que les préoccupations hygiénistes "ne constituaient qu'un prétexte" visant au regroupement des Juifs, première étape de leur extermination. Ce que n’a pas nié l’auteur des propos par ailleurs :
Je vais donc me répéter pour la énième fois : l'hygiénisme nazi avait pris le typhus comme prétexte pour parquer les Juifs dans le ghetto de Varsovie. C'était en effet une propagande nazie que je dénonçais.Le reste relève de la crétinerie malfaisante, y compris de @Arcom_f
— Ivan Rioufol ن (@ivanrioufol) July 9, 2022
Sans aborder le fond, encore une fois, le Conseil d’État met en avant le consensus scientifique plutôt que le droit. C’est tout de même étrange venant de la part d’une juridiction dont la mission est de veiller au respect de la loi ! Et très embêtant pour une chaine qui organise des débats télévisés. Si le débat reste dans un consensus, alors il n’y a plus de débat.
À ce propos, la juridiction administrative interprète très librement le règlement de l’Arcom. Elle préconise aux médias de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à faire "une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire" et en assurant "l'expression de point de vue différents". Ne serait-ce pas une règle professionnelle quelle que soit la question abordée ? Alors qu'entend le Conseil d'État par questions portant à "controverse" ? Et quel niveau de controverse faut-il alors considérer ? Par ailleurs, l'existence d'une controverse entre sachants de haut niveau n'est-elle pas en elle-même la preuve d'une absence de consensus ?
Un seul son de cloche
Quel aveu ! Le Conseil d’État concède en fait en substance qu'un seul son de cloche suffit lorsqu'il est d'accord avec les propos tenus. Et qu'en revanche, concernant les sujets sur lesquels les magistrats ont une opinion différente, il faut laisser place aux contradicteurs. On peut noter de surcroît que, dans ces deux décisions défavorables à CNews, la juridiction présente les intervenants "controversés" en des termes peu élogieux.
De fait, le Conseil d’État reproche carrément à l’animateur de la chaine d’avoir présenté le Pr Perronne de façon trop complaisante, à savoir comme "un grand spécialiste des vaccins que l'on n'entend plus, en rupture avec l'opinion dominante des autorités sanitaires et de la communauté scientifique", de sorte qu’il n’a pu être "qu’encouragé à développer (…) des thèses très controversées et non conformes aux données acquises de la science". Comme si un professeur de médecine attendait qu’on le mette à l’aise pour répondre à une question scientifique.
Et que dire du fait qu’il se permette de réduire le Pr Raoult à "un épidémiologiste habitué des polémiques médiatiques" dans une de ses décisions ? Dont Ivan Rioufol serait en plus - comble de l’horreur - suspecté d’être un "ami" ?
Le plateau de CNews a pourtant été beaucoup plus courtois lorsqu’il a invité le rapporteur Maxime Boutron. Auparavant secrétaire général de l’association "Les engagé.e.s ", il est intervenu à plusieurs reprises sur la chaîne d’information, comme cette fois-ci en décembre 2021, où il ne semble pas perturbé par le manque de contradiction.
Maxime Boutron : «Le vaccin permet d’éviter les formes graves mais il ne permet pas d’éviter la transmission» dans #OPTSD pic.twitter.com/uRIng8k2Nv
— CNEWS (@CNEWS) December 13, 2021
Il est devenu rapporteur au Conseil d’État depuis janvier 2022. En toute indépendance, il vient donc de refuser la demande en annulation des mises en demeure prononcées à l’encontre de CNews.
(*) Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 04/08/2023, 465759, Inédit au recueil Lebon ; Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 04/08/2023, 465757, Inédit au recueil Lebon
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