L’Etat de droit et la chienlit
TRIBUNE - Dans un collège, un professeur a fait ces jours-ci une leçon sur la notion d’Etat de droit. Et a posé des questions à ses élèves.
Le premier enfant résume ce qu’il a compris en disant en substance que l’on vit dans un Etat de droit quand les dirigeants agissent dans un cadre prédéterminé par les citoyens. Et quand les gouvernants y sont obligés par un système de contrôle, spécialement assuré par les juges. Lesquels sont là pour empêcher les gouvernants de porter atteinte aux droits des citoyens. En commençant par la liberté et une série de droits rappelés dans diverses déclarations de droits, préambules de constitutions et de conventions internationales. Bref, résume le gamin, l’Etat de droit, c’est le contraire de l’arbitraire.
Faisant allusion aux propos du ministre de l’Intérieur qui s’était félicité que des décisions aient été prises – au préjudice du contribuable – qui méconnaissent les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, (dispositions rappelées par la CEDH), un élève dit pour sa part : "L’Etat de droit, c’est ce qui permet à ceux qui gouvernent de ne rien faire quand ils le décident ou quand ils n’ont pas d’idées, mais qui n’empêche pas les mêmes de faire n’importe quoi quand ils en ont envie."
Le professeur demande ensuite si quelqu’un peut, en regardant ce qu’il observe, donner un synonyme à l’Etat de droit. Un jeune lève la main et dit : "La chienlit !"
Lacunes, idéologie et arrière-pensées
Ces réactions des enfants sont en réalité assez bien calibrées. Probablement parce que les élites gouvernantes, d’une part, ont quelques lacunes, d’autre part ont une idéologie, des tournures d’esprit, voire des arrière-pensées dont l’addition provoque la "chienlit" en question. Sans compter que certaines élites, parmi les plus "importantes", qui aiment disserter en public, essaient de montrer qu’elles sont intelligentes et qu’elles sont à l’écoute des citoyens en ouvrant... des portes ouvertes. Sans se rendre compte qu’à force de le faire, elles provoquent des courants d’air qui font s’envoler et l’intelligence présumée desdites élites et la confiance que les citoyens pensaient pouvoir accorder à ces dernières.
En réalité, les règles de droit peuvent être modifiées (heureusement !) sans que l’on sorte de la notion d’Etat de droit.
Par ailleurs, ce que décident les juges à un moment peut changer pour l’avenir. Les juges peuvent opérer eux-mêmes des revirements de jurisprudence. Ils peuvent aussi être contraints de modifier leur manière de voir et de concevoir leur rôle, par la voie de modifications d’autres règles. Sans que l’on sorte obligatoirement de l’Etat de droit (1). Sans que les juges soient désormais aux ordres du pouvoir, plus qu’ils ne l’étaient - dans le cadre de l’Etat de droit - quand, le cas échéant, ils baignaient dans la même idéologie que ce dernier. Ou quand ils faisaient le choix de ne pas contrarier sa politique (2).
(1) Un exemple : les juges se refusant traditionnellement à contrôler la constitutionnalité des lois anciennes, et se refusant de dire qu’une loi pouvait être contraire à un principe, le pouvoir politique a confié cette tâche au Conseil constitutionnel (avec la question prioritaire de constitutionnalité). Le territoire de l’Etat de droit s’est ainsi, si l’on peut dire, agrandi.
(2) Quand, par exemple, des juges décident qu’interdire aux médecins de ville de prescrire tel ou tel médicament pouvant en concurrencer un autre promis à inonder le marché (médicament qu’ils estiment utile ou indispensable pour sauver la vie des gens), ne porte pas atteinte à leur liberté de prescrire, il y a matière à se poser des questions.
Marcel-M. Monin est maître de conférences honoraire des universités.
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