Les mauvais maîtres ukrainiens, trois décennies de ruine

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Pierre-Antoine Pontoizeau, pour FranceSoir
Publié le 21 août 2022 - 18:20
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Ukraine
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Nato Association CA
"J’ose évoquer comme Raphaël Lemkin des décisions au caractère génocidaires, à l’encontre de son propre peuple."
Nato Association CA

TRIBUNE - Il serait interdit d’analyser la situation politique ukrainienne. Immédiatement, les fous furieux de la violence politique se mettent en colère et insultent. Eux, veulent réduire le monde à ce dualisme enfantin, avec les forces du bien du côté de l'Ukraine, et les forces du mal du côté russe.

Or, la situation actuelle de l'Ukraine résulte d'une succession de choix effectués par les mauvais maîtres de l'Ukraine depuis son indépendance. Cette situation mérite bien une analyse. Elle met en relief la fuite en avant des dirigeants actuels. L’Ukraine vit, en effet, les ultimes soubresauts d'un régime en faillite qui précipite chaque jour un peu plus les populations ukrainiennes dans un chaos aux accents génocidaires. Il s’agit de prendre la mesure des méfaits d’une oligarchie prédatrice et suicidaire pour son pays dont les dirigeants actuels sont les prisonniers. Cette réalité est attestée par une documentation institutionnelle publique, une note de la direction du Trésor français du 22 décembre 2020 par exemple, les données publiques de la banque mondiale et du FMI ainsi que les analyses d’institutions financières dont les organismes de notation, qui publient régulièrement, dont sont ici faits la synthèse.

Au 30e anniversaire de l’indépendance, ce pays disposait d'un potentiel économique, scientifique et de ressources considérables. Il est devenu l’un des plus pauvres de toute la région eurasiatique. Le constat est sans appel. Sur le plan industriel déjà, des activités ont sombré des années 1990 aux années 2020. Plusieurs exemples l'illustrent parfaitement. Les productions de bus de Lviv ou d'automobiles de Zaporojié ont été abandonnées. Le géant industriel Antonov n'a pas produit le moindre avion depuis 2015. Les chantiers navals de la mer Noire ont quasi disparu. Nous sommes bien avant la guerre.

J'évoquais la maltraitance des populations ukrainiennes dans mon précédent article. La Banque mondiale elle-même fait état d'une jeune génération au niveau d'éducation faible avec un système de santé très déficient. Sur le plan démographique, le taux de natalité s’effondre depuis l’indépendance alors que le taux de mortalité ne cesse de s’envoler : hygiène, défaut de soins, malnutrition, etc. Les jeunes générations aspirent à travailler dans les États voisins, dont la Pologne où le nombre de travailleurs immigrés a sensiblement cru depuis 2014, après la révolution. Les institutions internationales signalent que le taux de chômage, officiellement de 10%, est en fait bien supérieur aux statistiques de l'État. Plus grave encore, le fameux indice du capital humain n'a pas évolué favorablement depuis 2010. L’Ukraine est en dessous de ses principaux voisins d’Asie centrale.

La mauvaise gestion générale du pays s’observe dans une hausse incessante des prix à la consommation, plus de 10 % en 2021, donc avant la guerre, sur les produits de première nécessité. Certains produits ont même doublé. Le gaz a augmenté d’un tiers. Les institutions internationales disaient déjà que le pouvoir d’achat de l’Ukrainien était un des plus faibles d’Europe en 2019, avant la guerre là encore. Ces institutions estiment que le pouvoir d’achat a baissé de 30% depuis l’indépendance, mettant les Ukrainiens loin derrière les Russes, les Biélorusses ou les Kazakhs.

Sur un plan plus financier, les décisions très récentes des organismes de notation (Fitch et Standard & Poors) de positionner l’Ukraine en quasi risque de défaut, entérine autant cette situation catastrophique, antérieure à la guerre, que l’incapacité de l’Ukraine à supporter et prolonger le prix de la guerre, au lieu de négocier. L’économie avait plongé en 2014 et 2015, montrant une fois encore que les révolutions coutent chères. La monnaie s’est aussi effondrée, presque divisée par quatre face au dollar de 2013 à 2021, témoignant de l’extrême fragilité de toute l’économie du pays. Les incertitudes politiques, dont le climat hostile au respect des accords de Minsk a conduit les entrepreneurs et les investisseurs a anticipé le risque de guerre, affaiblissant plus encore l’économie du pays. Or, rappelons-le, il appartenait autant au pouvoir ukrainien de respecter ces accords qu’à la partie russe, ce qui n’a pas été fait.

Le bilan sur trois décennies démontre la nocivité d’une oligarchie prédatrice qui accaparent les fonds publics, bradent des activités, détruit les outils industriels. La dégradation est très profonde. Les analyses les plus récentes, mais toujours avant la guerre, faisait état d’un « pic mortel », d’un point de rupture d’une économie à l’agonie. Alors, la guerre serait de ce point de vue une véritable fuite en avant, la stratégie du maquillage d’une oligarchie qui a ruiné le pays en trois décennies pour ses intérêts personnels. Voilà une réalité politique et économique dont je redis au lecteur inattentif une dernière fois, qu’il s’agit du bilan de l’indépendance à 2020, donc avant la guerre. La menace du défaut de paiement est donc antérieure à la guerre là aussi.

Les investissements sont faibles attestant bien d’une économie de prédation des oligarques sans projets économiques pour le pays, et d’une faible attractivité pour les internationaux, du fait des notations en matière de corruptions et des pratiques mafieuses peu encourageantes.

Les observateurs économiques internationaux alertaient donc déjà depuis des années sur cette situation catastrophique. L’appel à une réforme des affaires : droits, contrats, sécurité administrative ne date pas d’hier, mais les oligarques n’y avaient pas intérêt. Le développement de l’agriculture et une réforme agraire nationale n’ont pas été menés à bien, avec le risque de cession des terres à des puissances étrangères qui reste à étayer. Finalement, l’Ukrainien est plus pauvre encore que le Moldave ou l’Azerbaïdjanais.  

Alors pourquoi aller à la guerre plutôt que de respecter les accords de Minsk et de protéger les populations des désastres d’une guerre évitable ? Là est la vraie question et la vraie responsabilité des élites ukrainiennes. Le ministre des Finances ukrainien, Serguii Martchenko, craignait le coût insupportable de la guerre au-delà de quelques mois. Le FMI et la Banque mondiale estiment que le PIB chutera de 50% à fin 2022, ruinant le pays. On estime que chaque mois de guerre coute a minima 10 milliards de dollars. Il était donc imprudent et irresponsable d’aller au conflit et de créer les conditions de l’agression. Aucun géopoliticien ne peut nier aujourd’hui que la violation des accords de Minsk est un fait avéré résultant des décisions des dirigeants ukrainiens.

Outre l’incapacité à assumer économiquement le cout de la guerre, la guerre elle-même induit une dévastation des infrastructures et la perte probable de près de 80 000 à 100 000 hommes jeunes déjà, au rythme de quelques centaines par jour, depuis près de 200 jours de guerre, sans oublier les handicapés à vie. Est-ce un hasard si l’Ukraine lance actuellement un recrutement de masse des hommes en âge de se battre ? Là, j’ose évoquer comme Raphaël Lemkin (juriste international fondateur du concept et des définitions du génocide) des décisions au caractère génocidaires, à l’encontre de son propre peuple. Fuite organisée des populations, déplacement forcé, persécutions des minorités en cours, envoi à la mort de toute la jeunesse ukrainienne, risque hivernal majeur consécutif d’une entrée en guerre irresponsable. L’analyse est simple, la guerre pèsera sur les générations futures, amputées, fracassées et ruinées par le prix de la guerre. Or, un État peut toujours éviter la guerre, négocier, arrêter le massacre et envisager la paix, c’est aussi l’honneur d’un dirigeant. Les plus récents propos des dirigeants ukrainiens poussent au sacrifice une jeunesse déjà dévastée.

Concluons. De 1991 à 2020, avant la guerre, ce pays a été ruiné par des dirigeants qui préfèrent maintenant la guerre à la négociation. La responsabilité de la situation incombe autant à ces dirigeants ukrainiens qui ont refusé l’application des accords de Minsk qu’à la volonté impériale de Poutine qui a saisi l’occasion, comme un féodal aux aguets. Il est simplement infantile et irresponsable de maintenir le fantasme du gentil et du méchant. Il est coupable de refuser le sens du discernement et l’analyse historique de ce pays. C’est même un peu criminel vis-à-vis des populations ukrainiennes que de prolonger indéfiniment un sacrifice absurde qui maquille les forfaits d’une élite contre son peuple, un peuple aujourd’hui autant martyrisé par les décisions de leur dirigeant et leur entêtement que par l’action des Russes.  

Oui, les Ukrainiens sont les victimes de leurs élites prédatrices qui depuis trois décennies détruisent systématiquement le pays pour s’enrichir à titre personnel. Le fanatisme est autant chez ces dirigeants que chez leur adversaire russe. Voilà pourquoi il est urgent de faire un appel à la raison, un appel à la paix, l’appel à la raison d’être même des institutions européennes qui se sont construites sur « plus jamais ça ». Or, ces institutions trahissent leur raison d’être pour aller à la guerre, pousser à la haine au-delà de toute raison. Il faut que nous nous élevions et exigions de l’Europe et de nos dirigeants nationaux qu’ils soient des promoteurs de paix par la diplomatie et des négociations rapides, avant de constater une ruine terrible dont nous porterons une part de responsabilité. L’hiver sera terrible. Il faudra alors mobiliser des centaines de milliards dans un effort de reconstruction de ce qui n’aurait jamais dû être détruit. Absurdité des nations occidentales qui se déchirent à nouveau. Pendant ce temps, d’autres puissances dans le monde poursuivent leurs coopérations et leurs développements. Certains sont redevenus fous, bêtes et méchants.

 

Essayiste, chercheur et fondateur de l'Institut de Recherches de Philosophie Contemporaine, Pierre-Antoine Pontoizeau a notamment publié des ouvrages sur la théorie de la communication, la théorie des organisations, la théorie du langage politique et la philosophie des mathématiques.

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