Notre société est devenue "borderline"
TRIBUNE - Notre société est devenue "borderline" parce qu’elle a perdu ses repères pendant la pandémie. On passe de la perte de confiance à la méfiance, et des transgressions aux agressions. Sur fond d’anti-vax et d’anti-pass, on assiste à une déferlante psychosociale dont on ne mesure pas encore la gravité sur la population.
Selon les estimations des spécialistes de santé, il y avait, avant la pandémie, plus de trois millions de Français (15-35 ans) présentant des symptômes plus ou moins graves du trouble de la personnalité "borderline", auxquels il faut ajouter les personnes diagnostiquées bipolaires.
Depuis près de deux ans, nous sommes informés en temps réel de chaque nouvelle hospitalisation, on connaît le nombre de personnes en réanimation, et on peut aussi déplorer au quotidien le nombre de nouveaux décès. « En même temps », il y a une absence quasi-totale des avis d’experts à propos des conséquences dramatiques, face cachée, de cette crise sanitaire sur la santé mentale de nos compatriotes.
« Cette crise pourrait devenir une catastrophe psychologique », comme l’écrit le professeur Nicolas Franck, dans son livre paru en octobre 2020. Reprenant les résultats d’une vaste enquête sur le bien-être mental des Français, menée pendant le printemps 2020, auprès de 20 000 participants, le psychiatre s’est intéressé essentiellement aux effets psychologiques et psychiatriques du confinement sur la santé des individus, et propose des attitudes permettant de faire face aux conséquences de ce stress. Le stress, la lassitude ou encore la peur sont autant de facteurs favorisant l’apparition de symptômes anxieux et dépressifs. Les détecter afin de permettre une prise en charge adaptée est primordial.
Depuis le 23 mars 2020, Santé publique France a lancé l'enquête CoviPrev en population générale afin de suivre l’évolution des comportements (gestes barrières, confinement, consommation d’alcool et de tabac, alimentation et activité physique) et de la santé mentale (bien-être, troubles).
Détecter les symptômes anxieux et dépressifs est certes une bonne chose. Nous devons garder à l’esprit que c'est en fait une sorte de fourre-tout qui ne précise pas les conséquences associées : augmentation des addictions alimentaires, consommation de stupéfiants, d’alcool et recrudescence des violences conjugales… Mais qu’en est-il de leur prise en charge ?
« Covid-19 : une campagne pour "parler" de ses problèmes psy, et après ? »
Dans cet article paru dans Le Point du 6 avril dernier, plusieurs psychologues interrogés reconnaissent une « bonne initiative », mais s'inquiètent du manque de moyens pour sa mise en œuvre. Plusieurs questions restent toujours sans réponse : Y a-t-il suffisamment de professionnels de santé capables de répondre à la demande ? Ne serait-ce que pour répondre aux appels de détresse des personnes "borderline" dont la population a fortement augmenté, notamment chez les 15-25 ans depuis le début de la pandémie, les psychologues et les psychiatres de notre association sont actuellement débordés. En plus, tous les citoyens ne peuvent pas se payer des consultations dans le libéral et nos collègues qui travaillent dans les hôpitaux et les CMP (Centre médico-psychologique) sont eux aussi débordés. Quant aux lignes d’écoute, elles font certes un formidable travail d’accompagnement et de soutien, surtout dans les cas d’urgence, mais l’écoute de la détresse est assurée par des bénévoles souvent dépourvus d’une formation de psychologue.
Le passe sanitaire, générateur de stress sociétal
L’allocution du 12 juillet a provoqué une mutation de la souffrance psychologique individuelle en une souffrance collective. Le « nous sommes en guerre » du 16 mars 2020 a lancé l’instauration du premier confinement, et ceux qui ont suivi, dont tous les spécialistes reconnaissent aujourd’hui les effets psychologiques délétères qui ont été renforcés par les couvre-feux, les limitations de déplacements, les accès réglementés aux terrasses des café, etc.
Le 2 février 2021, Emmanuel Macron annonce l’arrivée prochaine d'un vaccin "avant la fin de l'été". Au sortir de l’hiver et à l’approche des premières vacances de Pâques, des ponts du mois de mai, les Français se remettaient lentement du dernier confinement et avaient fini par absorber les effets stressants des couvre-feux successifs et autres restrictions de déplacements. Tandis que les premières doses de vaccins étaient administrées à celles et ceux qui en avaient le plus besoin, le taux de mortalité associé semblait se stabiliser et diminuer.
L’annonce de l’arrivée des vaccins pouvait laisser espérer, dans l’inconscient collectif, que nous serions bientôt libérés du joug de l’occupant viral. Hélas, de même que le débarquement des Alliés n’a pas marqué la fin de la guerre, l’arrivée du vaccin, et surtout la méthode utilisée pour le promouvoir, n’ont pas vraiment apporté la sérénité dans les esprits traumatisés des Français.
Dans une volonté politique et économique d’accélérer le processus de vaccination des Français, l’annonce faite par Emmanuel Macron de la mise place du passe sanitaire et sa cohorte de contraintes associées, a réactivé en quelques minutes les traumatismes non évacués, accumulés tout au long de ces derniers 18 mois dans le psychisme des individus, tout en en ajoutant d’autres, également destructeurs par ce qu’ils touchent aux valeurs fondamentales de la liberté.
La définition du Larousse : "un vaccin est une substance d'origine microbienne (microbes vivants atténués ou tués, substances solubles) qui, administrée à un individu ou à un animal, lui confère l'immunité à l'égard de l'infection déterminée par les microbes mêmes dont elle provient et parfois à l'égard d'autres infections."
Il faut plusieurs années pour obtenir la validation d’un vaccin
Non seulement les vaccins anti-covid-19 actuellement disponibles ne correspondent pas vraiment à cette définition (à cause de la présence de l’ARN messager notamment) mais, en plus, ils sont mis sur le marché et injectés avant la fin de la phase III, indispensable à l’homologation finale… Enfin, on nous apprend que, non seulement ces vaccins s’avèrent inefficaces à moyen terme contre le variant Delta (qui nécessite l’administration d’une troisième dose), mais qu’en plus ils n’empêchent pas les vaccinés de transmettre le virus ni de l’attraper de nouveau !
Il n’en fallait pas plus pour installer un climat de défiance, amplifié par les réseaux sociaux qui mettent chaque jour en lumière des nouveaux effets secondaires indésirables, voire létaux, des différents vaccins. Tout cela dans la cacophonie des prises de parole des scientifiques et des experts de plateaux des chaînes TV.
Pour éviter cette situation, il eut suffi que les politiques et les scientifiques élaborent, en commun, un plan de communication intelligible par tous, rationnel et objectivement documenté, pour obtenir une forte adhésion de la population au processus de vaccination. Certes, cela aurait peut-être pris quelques semaines… Au lieu de cela, plutôt que de prendre le temps pour les convaincre, l’exécutif a préféré contraindre les Français à se faire vacciner en masse, en conditionnant l’inaliénable liberté de vivre de chaque individu à l’obligation de présenter un permis de vivre collectif : le pass sanitaire.
Dans le cadre de nos consultations de psychothérapie, ces dernières semaines nous ont permis de constater, chez bon nombre de patients, la réactivation de comportements hypochondriaques et phobiques (risque de tomber malade, risque d’attraper ou de transmettre le virus…) À cela s’ajoute que le passe sanitaire est un agent d’isolement ou d’exclusion, sur le plan social, mais également, et c’est sans doute là que se produit le plus grand traumatisme, il conditionne le maintien ou la perte de l’emploi. Ne pas s’y soumettre peut entraîner la perte du salaire et le risque de ne pas pouvoir bénéficier des allocations chômage !
Ces nouveaux traumatismes sociaux sont à l’origine de la perte de confiance grandissante vis-à-vis des scientifiques et surtout des politiques, qui étaient censés assurer la protection du peuple.
Enfin, et c’est peut-être le plus grave, nous entendons dans nos cabinets, des expressions de détresse ou de colère, des anti-vax comme des anti-pass, qui expliquent la multiplication de comportements transgressifs et agressifs qui se produisent au quotidien.
Si les responsables politiques n’y prennent garde, ils risquent de devoir faire face dans les prochaines semaines à une nouvelle forme de pandémie : une déferlante psychosociale dont on ne peut imaginer ni les formes ni les conséquences. Comme c’est le cas lors d’une crise d’une personne "borderline" qui fait exploser la famille, ce tsunami pourrait bien impacter toute la société civile.
Lire aussi : Et toi, tu ne serais pas un peu borderline ?
Pierre Nantas est psychothérapeute, spécialiste des troubles de l’émotion, et président fondateur de l’AFORPEL (Association pour la formation et la promotion de l’état limite).
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