Bayrou : le néophyte, le conclave et le poireau ...

Auteur(s)
Alain Tranchant pour France-Soir
Publié le 17 janvier 2025 - 10:52
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POireaux
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Si des discours de politique générale sont restés dans les mémoires - ainsi celui du 16 septembre 1969 de Jacques Chaban-Delmas ébauchant un projet de "nouvelle société" - il est peu probable que celui du 14 janvier 2025 rejoigne la catégorie des grandes allocutions prononcées au Palais Bourbon. 

90 minutes, le temps d'un match de football ! 49 pages ! Beaucoup de clichés déjà entendus, de portes ouvertes enfoncées. Et, au final, le pays n'est guère plus informé sur la direction que va prendre l'action publique, dans un contexte politique et parlementaire inchangé : il faut maintenant perdre les élections pour être appelé au pouvoir ! 

Je n'aurai pas la cruauté de tel éditorialiste qui a trouvé dans ce trop long propos l'occupation du commissaire au Plan, pardon du haut-commissaire au Plan nommé par M. Macron pour compenser l'éviction de François Bayrou du ministère de la Justice, quelques semaines seulement après sa nomination. 

Par une métaphore montagnarde que le natif du Piémont pyrénéen ne saurait récuser, je dirai plutôt que le Premier ministre est resté au pied des monts et qu'il n'a pas atteint les cimes de la pensée et de l'action politique. 

Commençant par dire que la situation de son gouvernement présentait "un avantage considérable", puisque 16 % seulement des Français pariaient sur sa durée. Convenons qu'il fallait y penser ! 

Endettement du Pays : des mots sur les maux

Poursuivant sur le surendettement du pays, le Béarnais a découvert que "depuis la guerre, la France n'a jamais été aussi endettée". Il ne lui était évidemment pas possible de rappeler - centriste, il était, et c'est bien son droit, centriste il est demeuré - qu'en 1968 la France n'avait plus de dettes et qu'au début de la Vème République l'équilibre budgétaire était une règle d'or. 

Il lui était évidemment plus facile de dire que tous les partis de gouvernement ont une responsabilité dans cette situation, ce qui est vrai, et que tous les partis d'opposition "ont dansé le tango fatal qui nous a conduit au bord du précipice", ce qui l'est moins. Pour autant le locataire de Matignon - pour une durée indéterminée - s'est bien gardé de nous expliquer comment il allait s'y prendre pour "contenir et réduire cette situation de surendettement". 

Sur la situation du monde, le chef du gouvernement estime que "nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force". S'il n'a pu résister à ce jeu sur les mots, il est pourtant bien clair que ce n'est pas d'aujourd'hui que "l'épée est l'axe du monde" (Ch. de Gaulle), et que l'Organisation des Nations Unies - dont c'était la vocation - n'a pas empêché, ni arrêté, beaucoup de conflits. Alors, oui, malheur aux plus faibles et aux Etats qui n'assurent pas la défense de leur peuple et leur souveraineté. 

On assiste alors à un moment de sidération sur les bancs du gouvernement. Au pupitre, l'orateur est perdu dans ses papiers, et lâche : "Je suis là ! Je suis un néophyte, je suis bien obligé d'apprendre le métier". 

Poursuivant la lecture de son catalogue de propos lénifiants et de vœux pieux, il est heureux de son "équipe gouvernementale", union des "grandes sensibilités du pays avec de l'expérience et de l'enracinement". Et pas gêné de se trouver à la tête du gouvernement, alors que son camp a été défait aussi bien lors du scrutin européen qu'à l'occasion des élections législatives qui ont suivi la dissolution de l'Assemblée nationale. Pas gêné le moins du monde, ce qui pose tout de même problème au regard des grands principes de la démocratie et de la République. 

"L'Etat de droit n'est pas l'Etat de faiblesse", dit-il. Très bien. Mais vaste programme pour que les Françaises et les Français puissent retrouver la liberté d'aller et venir en toute quiétude. 

Un "conclave" pour les retraités

Vient le tour de la réforme des retraites, "vitale pour notre pays". François Bayrou sort de son chapeau l'idée du "conclave" entre les partenaires sociaux. Je n'avais donc pas tort d'écrire : "Habemus François". Mais la ficelle est un peu grosse, et tout le monde a bien compris qu'en l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, le pouvoir politique refile la patate chaude aux organisations professionnelles d'employeurs et aux organisations syndicales de salariés, en leur faisant savoir - au surplus - qu'"on ne peut pas laisser se dégrader l'équilibre financier". Si ce n'est pas la quadrature du cercle, ça y ressemble bigrement. 

Sur le sujet du budget de l'Etat, le discours est formel : "Orientons-nous vers un retour à l'équilibre qui sera nécessairement pluriannuel". Quand on sait que le budget de l'Etat pour 2024 a été voté avec 162 milliards d'euros de déficit, on n'y aurait pas pensé ! Surtout quand la France est au bord de la récession économique, que les défaillances d'entreprises se multiplient et que la situation de l'emploi se dégrade. Ce qui n'est pas de nature à améliorer les rentrées fiscales, ni les comptes sociaux. 

A propos des institutions, François Bayrou diagnostique une société enfermée "dans l'impasse de la bipolarisation". Là, son discours ne manque pas de sel, de Salies-de-Béarn bien sûr ! Car le problème de la France de janvier 2025, ce n'est à l'évidence pas la bipolarisation, mais au contraire l'éparpillement de la représentation nationale consécutif aux manœuvres, voire aux magouilles politiciennes des élections de l'été dernier. 

Il est vrai que l'alternance au pouvoir de deux grands courants politiques n'est pas propice aux négociations et aux conciliabules dans lesquelles M. Bayrou nage actuellement comme un poisson dans l'eau. "Faire un seul peuple, selon lui, c'est reconnaître que le pluralisme est légitime et qu'il doit être organisé". Comme si la France avait attendu l'avènement de M. Bayrou pour vivre dans le pluralisme ! Ce qu'il entend par là arrive à point pour qui sait attendre : "Je propose que nous avancions sur la réforme du mode de scrutin législatif", c'est-à-dire vers le "principe proportionnel". 

De la sorte, les Français sont assurés de connaître en permanence la situation si brillante qu'ils ont sous les yeux : une Assemblée nationale sans majorité, qui ne permet pas de gouverner dignement le pays et qui fait de la France un Etat discrédité dans le concert des nations. 

Les enfants et les poireaux...

Arrivant au terme de son discours, le Premier ministre lance sa grande idée : "une nouvelle promesse française" qui offre à tous la possibilité de s'affirmer. Il parle d'immigration, "question de proportion", des "grandes politiques qui doivent être inspirées par l'esprit du long terme".  

Ainsi de l'environnement, de l'Education nationale (une des fiertés de sa vie, c'est d'avoir enseigné, mais ça n'a pas duré longtemps !). A cet instant, il lâche une formule qui devrait passer à la postérité : "Les enfants ne sont pas comme les poireaux, ils ne poussent pas tous à la même vitesse". Là, on monte en gamme ... 

Pêle-mêle, il passe en revue de multiples sujets (transports, santé, sport, grand âge). Et, alors que la France traverse une crise du logement qui est loin d'être terminée, il évoque "une politique repensée et de grande ampleur". Quand on sait que le secteur de la construction est tombé au niveau des mises en chantier des années 50, soit 250 000 logements par an, et qu'il en faudrait au moins 400 000, sinon 450 000, on mesure le niveau de prise de conscience de la réalité. 

Pas un mot non plus sur le trop fameux DPE. Préfère -t-on voir les gens dans la rue plutôt que dans des logements mal isolés ? Pas davantage sur la nouvelle vignette automobile, celle du "Certificat Qualité de l'Air" qui vient empoisonner la vie de nombreux Français qui ne pourront pas circuler à certaines heures dans certaines villes. Le pouvoir souhaiterait voir renaître les Gilets jaunes qu'il ne s'y prendrait pas autrement. 

Bayrou termine son discours en citant Pierre Mendès-France : "Il n'y a pas de politique sans risques, il n'y a que des politiques sans sens". J'aimerais comprendre en quoi cette formule s'applique à la situation de la France de 2025.

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