Une société de crédules incrédules : quand la science s’érige en pouvoir religieux

Auteur(s)
Christophe Lemardelé, pour FranceSoir
Publié le 31 mars 2021 - 14:58
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Retour vers le futur
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Pour en finir avec le Moyen-Age... ?
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TRIBUNE - En tant qu’historien des religions, je me sens interpellé par l’opposition presque omniprésente depuis un an entre science et croyance. Dans un pays laïque où la religion est regardée avec défiance, on peine à envisager une véritable démarche scientifique concernant cette notion. Or, pour toute science, et cela vaut pour l’histoire des religions, il importe d’être rationnel avant tout et libre-chercheur. Souvent, l’historien des religions est confondu avec le théologien – on en fait un croyant malgré lui – et considérer le croyant comme un crédule est presque insultant. Considérer un scientifique ainsi et même un citoyen qui s’efforce d’être éclairé l’est tout autant.

Régulièrement donc, un grand nombre de scientifiques des sciences médicales et de médecins hospitaliers renvoient leurs interlocuteurs à la croyance, opposant celle-ci à la science, sans nuance... Ainsi les traitements précoces basés sur l’hydroxychloroquine, les antibiotiques et même l’ivermectine, le zinc et la vitamine D relèveraient de la croyance car à l’efficacité non démontrée scientifiquement. Tandis que les vaccins les plus novateurs à ARN messager ou à adénovirus seraient l’aboutissement de la science. Le physicien Etienne Klein n’a-t-il pas conclu au sujet de la technologie à ARNm : « à la fin c’est la recherche qui gagne ? », se contredisant quelque peu au passage car il suggérait jusqu’alors que la recherche a besoin de temps avant de devenir de la science, c’est-à-dire du savoir confirmé et constitué.

En renvoyant son interlocuteur à la croyance, on le renvoie à sa crédulité et on le rejette dans le champ du religieux. C’est le refus d’envisager deux formes de rationalité à l’œuvre, l’une théorique et méthodologique, l’autre pragmatique et empirique. Par ailleurs, en refusant sans discuter que certains traitements précoces puissent être efficaces, c’est se montrer d’une incrédulité par trop systématique, et en niant tout impact des liens d’intérêt de chercheurs et de médecins avec de grands laboratoires pharmaceutiques, c’est se montrer trop crédule… – à moins qu’il ne s’agisse de profiter de la crédulité des médias et du public, voire du politique.

La conséquence de ce discrédit jeté sur la rationalité empirique est que le citoyen se trouve conduit à devenir un incrédule crédule, et, paradoxe total, à croire sans se poser plus de questions à une science absolue et dominante. Et comme des discours scientifiques rejoignent des discours politiques – Axel Kahn parle de populisme en évoquant Didier Raoult –, ce citoyen est tenté de se ranger rapidement du « bon côté » de la barricade.

Tout être humain, même scientifique, n’est pas que pure rationalité. Avant de croire, on a une opinion, plus ou moins fondée. Mais pour la croyance en elle-même, il en existe au moins deux formes du point de vue de l’anthropologie religieuse. Il y a la « superstition », que l’on rapporte à la magie – l’hydroxychloroquine est devenue une poudre de perlimpinpin pour certains… –, et qui relève des pratiques populaires : prières, vœux, offrandes, divination, exorcismes, etc. Il y a aussi le « dogmatisme » dans des religions constituées et auxquelles adhèrent principalement les élites en mesure de comprendre et d’accepter des raffinements théologiques. Car l’adhésion à un dogme – transsubstantiation catholique ou randomisation scientifique – est bien une forme de croyance en ceci qu’elle conduit à accepter un carcan intellectuel sans le remettre en cause. Or cette forme de croyance ne vise pas benoitement à atteindre une efficacité salvatrice, elle consiste avant tout à dominer et à contrôler.

En histoire des religions, on peut appréhender les religions en distinguant celles qui offraient une représentation du monde à un groupe unifié culturellement et celles qui réclamaient l’adhésion d’individus pour former une communauté. Les premières, plus anciennes, sont le plus souvent fondées sur l’efficacité des rites tandis que les secondes, issues des premières, édictent des règles morales pour s’ériger en pouvoir spirituel. En invalidant des médicaments scientifiquement éprouvés, en les situant dans le champ lexical des potions et autres mixtures magiques, les grands prêtres de la science dogmatique veulent tout simplement contrôler la pensée de leurs concitoyens. S’ils ne répondaient qu’à une aspiration à la rationalité scientifique, ils se seraient montrés moins véhéments et auraient discuté avec leurs confrères sans jeter d’anathèmes. On peut donc se réclamer de la science et être plus proche de la religion qu’on ne le… croit.

 

Christophe Lemardelé, historien des religions anciennes, chercheur rattaché au LEM (laboratoire d’études sur les monothéismes).

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