La peur : crise du siècle ?
CRITIQUE - À chaque époque, il existe des sujets à la mode et d’autres qui sont soigneusement évités, que ce soit dans la presse ou dans le débat public. Les vingt-deux auteurs de cet ouvrage collectif, « La peur : crise du siècle ? », rompent le silence sur un sujet particulièrement tabou en cette période postpandémique : la peur.
Le poème, « Inventaire de mes peurs », de Ze Jam Afane introduit superbement, sous la forme d’un long fleuve introspectif, l’œuvre divisée en cinq affluents principaux aux frontières poreuses. Il ne fallait pas moins de vingt-deux articles pour esquisser un inventaire non exhaustif des peurs de ce vingt-et-unième siècle qui commence juste, en abordant la thématique sous des angles aussi divers que le sexe, la santé et la politique.
La peur liée à la pandémie du Covid 19 a inspiré cet ouvrage et constitue l’un des cinq chapitres. La pandémie récente pourrait être, selon le poète Ze Jam Afane, vue comme « un exercice mondial de courage, de solidarité et d’humanisme » afin de « trouver l’équilibre entre prudence et liberté ». Le poète franco-camerounais voit loin et sa vision ressemble plus aujourd’hui à une prophétie qu’à une réalité. Comme le montre en effet JKD, l’un des deux co-éditeurs de cet ouvrage, dans un article consacré au coronavirus en Afrique, ce qui est « un virus à moitié bénin pour les plus jeunes d’entre nous et aussi pour les bien-portants » est devenu pour de nombreux pays africains une priorité politique aux effets économiques délétères par un effet de mimétisme des mesures sanitaires aussi disproportionnées qu’inefficaces des pays plus riches, que ce soit les pays occidentaux ou la Chine. En France, cet équilibre dont rêve le poète n’est pas encore trouvé, on est allé même très loin au contraire, comme le démontre avec beaucoup d’humour Elsa Lévy dans son interpellation de l’ex-Premier ministre, M. Castex. C’est bien aussi la gouvernance politique de cette crise sanitaire dans l’Hexagone qui est mise en cause dans un conte parodique féroce intitulé « Les loups entrent dans la Ferme » du mystérieux auteur, Arnold Ruben, qui a préféré utiliser un nom de plume (par prudence ou par manque de liberté professionnelle ?). Ce conte est explicitement inspiré de « La ferme des animaux » de George Orwell. Ce même auteur britannique du vingtième siècle a également inspiré l’avant-propos de JKD à travers son dernier roman, 1984, qui pourrait être une anticipation effrayante du « Monde d’après », c’est-à-dire celui d’aujourd’hui.
Si le Covid-19 a inspiré ce livre et en constitue un chapitre important, il n’est évidemment pas le seul traité dans cet opus. Comme le souligne Raffaël Enault, le second co-éditeur avec JKD, les quatre autres chapitres regardent sous différents angles la peur et ses variations multiples dans ce nouveau siècle, qu’elles soient individuelles ou collectives. Il est notamment abordé des phénomènes aussi différents que l’éco-anxiété chez les jeunes adultes ou la peur de la vieillesse des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Le sexe peut aussi faire très peur, que ce soit la peur de la jouissance des femmes merveilleusement décrite par Stéphanie Melyon-Reinette ou encore la peur de l’égalité des sexes chez les conservateurs au Japon, analysée par Aline Henninger. La peur au quotidien dans la Syrie contemporaine est admirablement dépeinte à travers la critique faite par Greta Sala du roman contemporain, Ceux qui ont peur, de Dima Wannous. Éric Ouzounian fait de son côté l’éloge de l’engagement collectif et politique pour faire face à la peur.
« La peur : crise du siècle » réussit ainsi le pari de traiter un sujet universel (quoi de plus universel que la peur de mourir ?) tout en reflétant dans son entière diversité notre époque contemporaine, traversée depuis les attentats du 11 septembre 2001 par de multiples crises. La peur au vingt-et-unième siècle ne fait que commencer…
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