D’après le porte-parole du ministère de la Justice, Matignon n’est pas en capacité d’instruire la demande de renouvellement de l’agrément d’Anticor
L’association de lutte contre la corruption Anticor s’est vu signifier par le ministère de la Justice une prolongation de deux mois pour instruire sa demande de renouvellement d’agrément. Au-delà du préjudice que ce nouveau délai cause à l’association, Anticor dénonce une violation du droit dans la mesure où le ministre Éric Dupont-Moretti a l’obligation de se déporter des dossiers touchant à Anticor, et où les services de son ministère sont sous sa tutelle. Après la publication de notre article « Le gouvernement a-t-il peur d’Anticor », le porte-parole du ministère de la Justice a contacté France-Soir pour expliquer la situation.
« Le garde des sceaux, ministre de la Justice ne connaît pas (…) des actes de toute nature relevant des attributions du garde des sceaux, ministre de la Justice, relatifs à des personnes morales ou physiques ayant engagé des actions notamment judiciaires contre lui en sa qualité de ministre ou d'avocat (…) », dispose, entre autres, l’article 1 du décret du 2 juin 2022.
Dit plus simplement, cela signifie que le ministre de la justice doit se tenir à l'écart de tout ce qui concerne de près ou de loin les personnes ou les associations, sociétés, groupes, l'ayant poursuivi, notamment en justice, que ce soit quand il exerçait comme avocat ou en tant que ministre. Et ce, même dans les cas où normalement, les actes concernant ces personnes ou associations relèveraient des attributions du ministre de la justice.
Il s'agit évidemment d'éviter les conflits d'intérêt.
Les inquiétudes d’Anticor
C’est en s’appuyant sur ce texte qu’Anticor s’est étonnée que ce soit un service de la Chancellerie qui l’informe du délai supplémentaire qui frappe l’instruction de sa demande de renouvellement d’agrément.
« Le Garde des Sceaux, M. Eric Dupond-Moretti est tenu, en application d’un décret du 2 juin 2022, de se déporter de toute procédure relative à Anticor, du fait d’une plainte déposée contre lui par l’association en 2020. Aussi, il est particulièrement étonnant qu’une réponse, même non-définitive, soit apportée par son ministère. », déclare l’association dans un communiqué.
« D’autant plus étonnant qu’Anticor a explicitement demandé aux services du Premier ministre d’instruire son dossier de renouvellement, en application de ce dit décret. », précise-t-elle.
L’association, que nous avons contactée, et qui avait déposé une plainte contre Éric Dupond-Moretti en 2020, s’alarme que son dossier soit examiné par une administration sous la tutelle de ce dernier.
Quelques heures après la publication de notre article du 31 mai à ce sujet, Cédric Logelin, le porte-parole du ministère de la Justice, qui n’avait jusque-là pas répondu à nos questions, a téléphoné à France-Soir pour nous donner une explication.
L’explication du porte-parole du ministère de la Justice
La raison pour laquelle ce sont les services du ministère de la Justice qui instruisent le dossier d'Anticor et non ceux du premier ministre, serait que ces derniers ne sont pas en capacité de le faire.
Matignon ne dispose pas des services adéquats et compétents pour le faire, nous a expliqué le porte-parole de la Chancellerie. De la même façon que, d’après lui, les services du Premier ministre seraient incapables d’instruire une plainte disciplinaire contre un membre de l’institution judiciaire.
Autrement dit, le ministère de la Justice instruit le dossier et le Premier ministre signe.
Cédric Logelin nous a invité à contacter Matignon pour toute demande d’information, ce que France-Soir a fait.
Nous avons envoyé un mail aux services du Premier ministre, avec copie au porte-parole du ministère de la Justice, afin de demander confirmation de son incapacité à instruire un dossier comme celui d’Anticor. Nous en avons profité pour demander aussi les raisons pour lesquelles, en un an, aucune réponse n’avait été donnée aux demandes de renouvellement d’agrément de l’association.
Les silences de Matignon
Nous n’avons reçu aucune réponse de la part de Matignon.
Le porte-parole du ministère de la Justice n’a pas réagi non plus à ce mail.
Conformément à l’adage « qui ne dit mot consent », on est donc fondé à penser que ce sont bien les services sous la tutelle d’Éric Dupond-Moretti qui instruisent le dossier d’Anticor pour Matignon, faute pour ce dernier d’être en capacité de le faire.
De ce fait, on peut légitimement se demander quels services ont rédigé l’arrêté du 2 avril 2021, signé par le Premier ministre Jean Castex, qui renouvelait l’agrément d’Anticor. Cet arrêté a été annulé avec effet rétroactif, par le tribunal administratif en juin dernier, et l’annulation a été confirmée en appel en novembre 2023. La juridiction administrative a estimé que le rédacteur de l’arrêté signé par Jean Castex avait commis une erreur de droit.
Ce serait un comble que les services du ministère de la Justice, déjà sous la tutelle d’Éric Dupond-Moretti, aient commis une erreur de droit assez grave pour entacher un texte de nullité.
Soulignons que les services du Premier ministre n’ont pas défendu leur propre arrêté devant le juge administratif, et qu’en novembre dernier, la Première ministre Élizabeth Borne s’est abstenue de demander au juge d’écarter l’erreur plutôt que d’annuler le texte. Elle seule en avait la capacité, le juge ne pouvant prendre cette initiative de lui-même.
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