L'Etat d'urgence devant le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel se penche ce jeudi sur les assignations à résidence décidées dans le cadre de l'état d'urgence, alors que montent les critiques contre ce régime d'exception décrété après les attentats du 13 novembre.
Derrière la technique juridique, ce qui est en jeu, c'est la "dialectique éternelle entre l'ordre et la liberté", selon l'expression de Xavier Domino, rapporteur public au Conseil d'Etat, qui l'a employée vendredi 11.
Saisie par sept militants écologistes qui contestaient leur assignation à résidence pendant la COP21, la plus haute juridiction administrative avait certes rejeté leurs demandes, jugeant que le risque qu'ils participent à des actions violentes existait. Mais le Conseil d'Etat n'en avait pas moins estimé qu'il fallait examiner la conformité de ce régime contraignant avec la "liberté constitutionnelle d'aller et de venir". Les militants qui l'avaient saisi étaient par exemple tenus de pointer trois fois par jour au commissariat et de rester chez eux la nuit.
Ce renvoi aux Sages d'une question prioritaire de constitutionnalité, demandé par l'un des militants écologistes, est le premier depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence, qui trouve son origine dans une loi de 1955 et qui renforce les pouvoirs des forces de l'ordre. Alors que ce régime d'exception doit durer au moins jusqu'à fin février 2016, il est de plus en plus critiqué par les défenseurs des libertés publiques, qui jugent son bilan bien maigre.
Maître Patrice Spinosi, qui représentera ce jeudi la Ligue des droits de l'homme (LDH) devant le Conseil constitutionnel, assure ainsi à l'AFP que "la bride est lâchée au bénéfice des forces de police", et ce avec un contrôle seulement "illusoire" du juge. Ce jeudi, la LDH et une centaine d'organisations tiendront d'ailleurs une conférence de presse pour protester contre les "abus" liés à l'état d'urgence, et exprimer leur crainte qu'il soit encore prolongé.
Le Conseil constitutionnel ne s'est penché qu'une seule fois sur la loi fondant l'état d'urgence, en 1985, sur fond de crise en Nouvelle-Calédonie. A l'époque, les Sages n'avaient toutefois pas examiné au fond la conformité de ce régime avec les valeurs suprêmes du droit français.
Le dispositif législatif a encore été renforcé par un texte du 20 novembre, voté à la quasi-unanimité à l'Assemblée nationale une semaine après les attentats djihadistes qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés le 13 novembre. Le Premier ministre Manuel Valls s'était alors montré très réticent à demander l'avis des Sages, évoquant la "fragilité constitutionnelle" de certaines mesures.
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve en a fait mardi 15 un nouveau bilan: quelque 2.700 perquisitions administratives ont été menées et 360 personnes assignées à résidence depuis l'instauration de l'état d'urgence. Par ailleurs, 431 armes ont été saisies, dont 41 armes de guerre. Et le ministère de la Justice a précisé que 51 personnes ont été écrouées, soit en détention provisoire, soit en exécution de peine.
La décision des Sages est attendue le 22 décembre, selon une source gouvernementale. Si le Conseil retoque la validité des assignations à résidence, le recours à un changement constitutionnel -et donc un vote à la majorité des 3/5e du Congrès- sera d'autant plus nécessaire.
Le président François Hollande a déjà fait part de son intention de modifier la Constitution pour instaurer un état d'urgence "à sortie progressive", permettant de prolonger certaines mesures au-delà de la durée légale de ce régime d'exception, laquelle est définie par l'Assemblée nationale. Le gouvernement doit présenter son projet de réforme constitutionnelle en Conseil des ministres le 23 décembre.
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