Loi contre les Fake News : à quoi sert la réforme de Macron
Les théories complotistes ont semble-t-il une grande vigueur selon une enquête diffusée par la fondation Jean-Jaurès en lien avec l’Ifop, rendue publique début janvier. Au terme de cette enquête on apprend que 79 % des Français croient au moins en une théorie du complot, 25% à plus de cinq. Jusqu’à 31% des français penseraient sérieusement que "les groupes terroristes djihadistes comme Al-Qaïda ou Daech sont en réalité manipulés par les services secrets occidentaux"…
Aux États-Unis, on considère que 126 millions d’Américains ont été touchés par la diffusion de fausses informations sur la candidate Hillary Clinton et que cela a pu avoir un impact sur l’élection de Donald Trump en novembre 2016.
C’est donc légitimement que le président de la République entend répondre à la diffusion et à la propagation de fausses nouvelles dites "Fake News" qui menaceraient la vie démocratique. Le chef de l’Etat souhaite qu’une loi puisse renforcer la lutte contre la diffusion de ces fausses nouvelles pendant les périodes électorales.
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En cas de propagation d'une fausse nouvelle, un juge pourrait être saisi en référé, qui est une procédure d’urgence. Le magistrat pourrait ordonner la suppression d’un contenu, la désactivation d’un compte utilisateur, la suspension d’un service ou son interdiction d’accès en France.
Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) verrait ses pouvoirs accrus "pour lutter contre toute tentative de déstabilisation par des services de télévision contrôlés ou influencés par des Etats étrangers". S’ajouterait vraisemblablement une obligation renforcée de surveillance et de transparence des plates-formes hébergeant les réseaux sociaux.
Il est opportun de s’intéresser au dispositif législatif existant qui permet déjà, d’une part de lutter contre la diffamation, qui s’entend de l’imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération, et d’autre part de réprimer la diffusion des fausses nouvelles.
En dehors des périodes électorales, la loi permet de réprimer les diffusions de fausses nouvelles. En effet l’article 27 de la loi de 1881 dispose que "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45.000 euros".
Il est à noter que cette loi trouve très peu d’applications concrètes. Dans un arrêt intéressant de la chambre criminelle de la cour de cassation, en date du 13 avril 1999 (pourvoi: 98-83798, source), celle-ci a confirmé la relaxe de l’auteur de la diffusion d’un tract contestant la version officielle d’une noyade, lequel était poursuivi sur le fondement de l’article 27 de la loi de 1881.
La Cour a considèré que le délit "exige l'existence d'une +nouvelle+", ce terme étant pris dans l'acception "d'annonce d'un événement arrivé récemment, faite à quelqu'un qui n'en a pas encore connaissance", et que "ne constituent pas une nouvelle, au sens de l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881, les affirmations et commentaires, tendancieux ou mensongers, portant sur un fait déjà révélé".
Pendant les périodes électorales la loi réprime les diffusions de fausses informations qui seraient de nature à influer sur le résultat. En effet l’article 97 du code électoral précise que "ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15.000 euros".
Sur le même sujet: Fake News - la loi permet déjà en France de sanctionner
Il y a assez peu de décisions rendues sur ce fondement. La Cour de cassation a néanmoins jugé le 19 février 1987 (N° de pourvoi: 85-91705, source) qu’était caractérisé, tant en ses éléments matériels qu'intentionnels le délit "qui, après avoir constaté que des nouvelles données par un préfet de police à la suite d'une explosion étaient fausses, expose que celui-ci, qui savait que ses déclarations seraient reprises par la presse, ne pouvait ignorer leur fausseté et, enfin, relève que ces fausses nouvelles, ces bruits calomnieux ont eu pour effet de détourner des suffrages" à la veille d’élections municipales très tendues en 1983 dans une grande ville du Sud.
C’est sur le fondement de ce texte que François Fillon avait déposé plainte contre Le Canard enchaîné suite à la diffusion de l’article sur l’emploi de sa femme, laquelle plainte a été classée sans suite en fin d’année dernière.
Voir: Plainte de Fillon contre "Le Canard enchaîné", l'enquête classée sans suite
Les hébergeurs de comptes sur le Web ne sont pas des éditeurs. A ce titre ils n’ont pas, aux termes de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, une obligation de contrôler et valider le contenu diffusé sur leur site. En effet il n’a pas été prévu une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent. Les internautes peuvent signaler des contenus illicites et la loi prévoit également que le juge peut déjà en ordonner le retrait.
On devra donc en conséquence attendre, au-delà des annonces, d’en savoir plus sur le réel apport de la nouvelle loi envisagée.
Néanmoins une chose est sûre, il est nécessaire d’agir contre la propagation des théories complotistes qui ont de surcroît un impact générationnel très fort. Selon l’enquête précitée de la fondation Jean-Jaurès, les 18-24 ans sont plus enclins que leurs aînés à y adhérer. Comme le rappelle Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch "les 18-24 ans sont les citoyens de demain et voir qu'ils ne sont pas immunisés face aux théories du complot constitue un défi".
Aller plus loin: Jean-Luc Mélenchon est-il complotiste?
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