Note 89 : empêcher les policiers de travailler au profit des résultats statistiques ?

Auteur(s)
Laurence Beneux et Axel Neuville, pour FranceSoir
Publié le 07 juillet 2021 - 18:34
Mis à jour le 09 juillet 2021 - 18:55
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Note 89 police moto
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Pascal GUYOT / AFP / FS
"Forts avec les faibles et faibles avec les forts", ce n'est pas ce que l'on veut !
Pascal GUYOT / AFP / FS

Le découragement des policiers de nuit lyonnais n’est pas uniquement dû à des maltraitances logistiques qui nuisent à la bonne réalisation de leurs missions et leur donne le sentiment d’être méprisés par l’institution.

Ils partagent, avec l’immense majorité des policiers de terrain français, le sentiment qu’on a largement dévoyé le rôle d’une profession choisie par vocation.

« On n’a plus le moral, explique un gardien de la paix, on n’a plus le droit de suivre un véhicule volé et on nous met la pression pour qu’on multiplie les verbalisations. Je suis rentré dans la police pour attraper les voleurs et protéger les gens, pas pour mettre une amende à un père de famille qui a oublié son attestation avant d’aller promener son chien après un couvre-feu. L’autre soir, on nous signale une agression au couteau, il n’y avait plus un équipage de police secours disponible, plus un seul, sur une circonscription de 300 000 habitants ! Avant, il y avait eu deux guets-apens, une Peugeot 5008 de police secours avait eu les vitres brisées, mais nous, on n’a même plus le droit de poursuivre ceux qui troublent manifestement l’ordre public. On nous demande avant tout de remplir des télex récapitulant les verbalisations. Si on ne verbalise pas assez, un chef peut le noter dans le dossier qui sert à notre notation. Par contre, si des bandes pourrissent la vie des riverains et que ces derniers nous appellent, au mieux, on va faire une « physio ». C’est un terme de jargon policier qui veut dire qu’on se montre sans intervenir. C’est histoire de pouvoir dire que la police est passée, mais on ne peut rien faire. C’est à cause de la note 89 ; maintenant, on doit l’appliquer même pour les quatre roues motorisées ! ».

Voir aussi : entretien avec Édouard Raffin, avocat de "Lyon en colère"

Alors, quelle est cette fameuse note 89, dont le rappel et l’extension provoquent le courroux des policiers gardiens de la paix sur la voie publique ?

Elle s’intitule ainsi : « Instruction de commandement NR89. Objet : rappel d’instructions relatives aux règles d’intervention et de sécurité en matière de poursuite de véhicule en fuite par les services de police ». Elle a pour objet la prévention d’accidents de la route impliquant les véhicules de police lors des interventions urgentes et a fait l’objet d’un rappel en 2019. C’est le début du texte et ses conséquences qui créent un grand malaise chez les policiers :

« Au vu d’incidents récents, il y a lieu d’attirer l’attention sur la nécessité de l’application strictes des notes citées en référence […] : 1) La poursuite de véhicules, une situation grave. Les poursuites de véhicules ne doivent être liées qu’à des faits d’une grande gravité tels que : fuite ou évasion d’un individu armé ayant l’intention d’attenter à la vie d’un tiers ; auteurs, armés ou non, d’un crime de sang ; auteurs non identifiés d’autres crimes ou délits aggravés entrainant un préjudice corporel. Les autres situations pénales sont exclues de toute poursuite systématique et notamment en cas de refus d'optempérer ».

Or, pour les autres situations pénales, les policiers dénoncent une interdiction systématique de poursuivre quand ils demandent des instructions au CIC (Centre d’Information et de Commandement).

« Cela veut dire que si on vous vole votre voiture et qu’un individu s’enfuit avec devant moi, je ne vais pas être autorisé à le poursuivre, se désole le gardien de la paix, Michel. Et après, vous penserez que je fais mal mon travail. Ce n’est pas tant d’éviter les accidents qui intéresse les directions, c’est qu’on ne puisse pas dire que c’est nous qui les avons provoqués. On nous dit que ça pourrait « embraser le quartier ». Il y a une inversion de responsabilité. Vous prenez les rodéos qui créent beaucoup de nuisances. La logique voudrait qu’on les empêche pour éviter qu’ils ne provoquent des accidents et tuent quelqu’un. Hé bien, la seule peur des directions, c’est qu’on puisse dire que c’est nous qui avons créé l’accident, alors que le danger vient du rodéo ! »

« On nous empêche d’exercer dignement notre travail, s’indigne un de ses collègues. Tout cela crée un sentiment de supériorité des délinquants vis-à-vis de la police qui ne peut pas agir. Parce qu’à force, ils l’ont bien compris ! Cela peut engendrer de graves problèmes !

Une obsession du ministère, c’est de faire diminuer les refus d’obtempérer. C’est sûr que si on n’essaie pas d’arrêter les gens, il y en a moins ! C’est comme quand on parle de lutter contre les trafics de drogue. C’est une blague ! Parce qu’il ne s’agit pas de démanteler de gros trafics. Ne croyez pas ça ! Cela arrive, mais ce n’est pas le cœur du dispositif. Non, le cœur du dispositif, c’est de mettre des amendes de 200 euros à des gens qui vont être en possession d’une quantité plus ou moins grande de drogue. Et la nouvelle idée, c’est de mettre des amendes de 135 euros aux guetteurs ! Ce qui est tout simplement inapplicable !

En fait, tout ce qui les intéresse, ce sont les chiffres. Les chefs sont motivés parce qu’ils ont des grosses primes. 20 000 euros par an, et je ne veux pas dire de bêtises, mais je crois que ça peut monter jusqu’à 60 000 facile pour certains postes. Alors si on a beaucoup de verbalisations, mais pas beaucoup de refus d’obtempérer, ça fait croire que la délinquance baisse dans le secteur, et que ses résultats sont bons !

Et après, les gens nous disent qu’on est « forts avec les faibles et faibles avec les forts ». Mais nous, on ne veut pas ! On n’est pas rentrés dans la police pour ça. Alors, on est dégoûtés. On fait le boulot juste pour payer les traites. Et comme les syndicats ne disent rien, moi je suis obligé de parler à quelqu’un comme vous… J’en ai pas envie, je sais que je prends des risques, mais on ne sait plus quoi faire pour que ça s’arrange ».

Cet article fait partie d'un dossier sur la police nationale.

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