Pénurie d'enseignants : la crise de l'Éducation nationale inquiète
Ce n'est pas nouveau, Emmanuel Macron lui-même l'a avoué, "l'école de la République française n'est plus à la hauteur". Sur Twitter, chacun y va de son grain de sel avec le mot d'ordre #PasDeRentréeEnSeptembre. Les enseignants sont peu nombreux à bien vouloir retourner au front dans de telles conditions (lacunes pédagogiques, manque de soutien institutionnel, salaires trop faibles, etc.) Si bien qu'entre cynisme et dévotion, chacun essaie de trouver la juste solution.
Embauche de contractuels et job dating
La situation est critique dans toute la France. À quelques jours de la rentrée, les parents ont de quoi s’inquiéter ; 4 000 postes sont non pourvus aux concours d’enseignants. En juillet dernier, le ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye avait reconnu le problème de recrutement de cette profession. Il avait toutefois assuré : « Il y aura un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France ». Le ministre a déclaré qu'il ne niait pas « les difficultés structurelles liées à l'attractivité du métier, mais qu'à ce stade, nous sommes confiants pour que la rentrée se passe au mieux. » Des propos qui ne rassurent pas vraiment les syndicats.
Le gouvernement est contraint d'opter pour des solutions alternatives. Par exemple, il a proposé d'embaucher des contractuels, plutôt que de donner la priorité aux titulaires, notamment dans le sud de la Seine-et-Marne. Là encore (et toujours), le corps syndical a grincé des dents. Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, il s’agit d’une « instrumentalisation de la crise de recrutement pour aller toujours plus loin dans la remise en cause du statut, piétinant les droits des titulaires. »
Cette année, le ministère de l’Éducation nationale a recours à des « job-dating » afin de recruter des contractuels. Ces entretiens sont organisés dans plusieurs académies afin de recruter des professeurs sans qu’ils aient à passer les traditionnels concours MEEF, destinés aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. En somme, il suffit d'une licence (Bac +3) et d'un peu de bonne volonté pour être embauché. En mars dernier, l'académie de Toulouse a rassemblé quelque 300 candidatures grâce à ce système.
Malgré tout, la plaie est loin d'être refermée.
Fatigue et santé mentale : le système éducatif souffre
Certains enseignants vont jusqu'à déplorer l’abandon de la part du système institutionnel. Pour témoigner, nous avons interrogé Laurence, qui a décidé de reprendre son métier d’enseignante à la rentrée, après des années d'arrêt :
« J’ai enseigné 13 ans dans l’Éducation nationale », explique-t-elle, « Après beaucoup de souffrance, j’ai décidé de m’arrêter pour m’occuper de mes enfants, puis d’une grosse fatigue liée à l’enseignement. Je m’investissais beaucoup au niveau du travail. J’ai décidé de sortir mes enfants de l’institution pour faire l’instruction en famille. Et si beaucoup s’inquiètent de la perte de socialisation, je réponds que, pour moi, ce problème ne se pose pas, car les enfants vont naturellement vers les autres. Lorsque je suis revenue voir mes collègues un an après mon arrêt, m’étant pleinement ressourcée, elles m’ont raconté à quel point le contexte éducationnel était devenu de plus en plus difficile. Non seulement nous avons peu de soutien de l’institution, mais nous sommes aussi laissés seuls face à nos problèmes. Je reprends cette année en tant qu’enseignante après des années loin du système éducatif. Je ne sais pas comment cela va se passer, j’attends de voir, car je suis dans une petite école de campagne, où les problématiques ne sont pas les mêmes qu’en ville ».
De son côté, Anne nous fait part d’un métier qui impacte profondément la santé mentale :
« J’ai exercé 20 ans en tant qu’enseignante. Dès que je suis rentrée dans le métier, j’ai su que ce n’était pas fait pour moi, que je n’adoptais pas forcément la bonne attitude, car cela me coûtait de devoir tenir une classe. Ces dernières années ont été difficiles. J’allais travailler avec la boule au ventre en attendant les vacances avec impatience. Le pire pour moi a été de gérer une classe de CM2, car ce sont des préadolescents. Je me suis alors orientée vers l’art thérapie, ce qui me correspondait davantage car je suis plus à l’écoute des personnes. Il faut dire que les classes sont trop nombreuses, avec 28 à 30 élèves, et chaque enfant a des besoins spécifiques. Mais, moi, je n’y arrivais pas mentalement, donc je les mettais tous dans le même sac. Alors quand j’ai annoncé ma démission, face aux difficultés du milieu éducatif, certains professeurs m’ont dit "Tu as de la chance". Comment j’ai tenu jusque-là ? Disons qu’il y a toujours un revers positif, j’ai quatre enfants, donc j’avais plus de disponibilité pour être à leurs côtés, puis j’étais en contrat à mi-temps. C’est d’ailleurs cela qui a été un facteur déclencheur : lorsqu’on m’a refusé un contrat à mi-temps pour septembre. »
Autre difficulté : l’accès au concours MEEF, que Coralie nous décrit comme étant trop loin de la réalité :
« J’ai 22 ans et j’ai quitté l’enseignement public après trois mois d’exercice. J’ai décidé de passer le master MEEF, mais cela ne m’a pas plus. J’ai raté le concours en Master 1, puis ai décidé de le repasser en Master 2. Après, j’ai travaillé auprès d’une classe de CM2, mais ça s’est très mal passé. J’allais au travail la boule au ventre. Il y a un réel problème au niveau du concours. Pour ma part, j’ai été accepté aux écrits, mais il y a un manque de pédagogie et de mise en situation réelle, ce qui est essentiel. Pour donner un exemple, sur 22 étudiants en MEEF, 5 élèves ont finalement décidé de ne pas passer le concours, et 5 autres ne l’ont pas eu : c’est presque la moitié des étudiants. Mais il n'y a aucune remise en question, ils vous répondent "Vous n'aurez qu'à le repasser l'année prochaine". »
Voir aussi : CAPES: le nombre de candidats au poste d'enseignant en forte baisse
"L'École de la République n'est plus à la hauteur"
Ce constat alarmant a toutefois eu le mérité de faire réagir Emmanuel Macron, qui s'est prononcé lors d'un discours en ouverture de la réunion des recteurs d’académie de la Sorbonne, ce jeudi 25 août en fin de matinée. S'il a salué le travail l'équipe de l'Éducation nationale durant ses cinq années de mandat, il a aussi martelé : « L'École de la République française n'est plus à la hauteur. »
EN DIRECT | Réunion de rentrée des recteurs d’académie à La Sorbonne. https://t.co/3D95Yo9w3r
— Élysée (@Elysee) August 25, 2022
Pour améliorer cela, plusieurs mesures ont été annoncées :
- « Recruter davantage de professeurs associés issus du monde professionnel, qui verra sa place renforcée dans les conseils d'administration », et « préparer les jeunes à la recherche d'emploi avant la fin de leurs études » ;
- Augmenter les salaires afin qu'« aucun professeur ne commence sa carrière en dessous de 2 000 euros net par mois ».
- Mettre en place un « fonds d’innovation pédagogique d’au moins 500 millions d’euros », pour assurer aux établissements la possibilité de mettre en place un « projet pédagogique spécifique ».
Par ailleurs, au sujet de la formation des enseignants, le chef de l'État assure : « On a souvent, compte tenu de la rémunération, demandé des diplômes universitaires excessifs pour certains ». Et d'ajouter : « Des gens ont le droit de s'engager dans le baccalauréat dans ce beau métier, d'avoir une filière qui est un peu fléchée, un peu accompagnée. » Autrement dit, s'il est possible que la quantité d'enseignants reviennent peu à peu à la normale, difficile de croire que la qualité de l'éducation française aille en s'améliorant.
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