Rétablir les frontières : la proposition de Marine Le Pen est-elle vraiment réalisable ?
C'est l'un des slogans phares du Front national: "rétablir les frontières" nationales, "supprimées" à cause de Schengen. Mais cette promesse, qu'endossent aussi d'autres dirigeants de l'extrême droite européenne réunis samedi à Coblence (Allemagne), s'apparente à un "mythe", de l'avis de spécialistes.
"La France libre, la France maîtresse de ses lois, de son économie, de sa monnaie, et gardienne de ses frontières, voilà la condition de toute politique nationale", affirmait Marine Le Pen dans son discours fondateur de Fréjus (Var), le 18 septembre.
Concrètement, le FN veut abolir l'espace Schengen, l'une des principales réalisations de l'Union européenne, vaste zone de 26 pays (dont 22 de l'UE) à l'intérieur de laquelle les contrôles aux frontières sont théoriquement abolis pour les voyageurs.
La France, après les attentats de novembre 2015, a pourtant déjà rétabli des contrôles à certaines frontières. Une dérogation exceptionnelle qui ne peut excéder deux ans, selon le code Schengen.
Interrogée début janvier par l'AFP lors de ses vœux à la presse sur ce qu'elle entend concrètement par "rétablir les frontières", Marine Le Pen a simplement évoqué la situation d'avant l'accord de Schengen, entré en vigueur début 1995. "Avant, il y avait des frontières, des postes de douane! La France avait vécu avant l'UE!", expliquait-elle la veille.
"Je n'ai jamais parlé de fermer les frontières", avait-elle déclaré après l'attentat de Nice, le 14 juillet, "je dis simplement qu'elles doivent exister, comme dans tous les autres pays du monde, et permettre de filtrer les terroristes". "Fermer les frontières?": elle l'a pourtant déjà explicitement demandé, par exemple en septembre 2015.
Nicolas Dupont-Aignan, candidat Debout la France à la présidentielle, propose lui carrément un "contrôle à tous les postes-frontières nationaux", et pour cela le recrutement de 10.000 policiers, l'utilisation de portiques sur les routes pour contrôler les véhicules... "Comme on faisait avant", dit-il.
Un des soutiens de Mme Le Pen concède la difficulté de ce mot d'ordre: "On n'a pas une frontière facile à contrôler".
En tout état de cause, la fermeture des frontières aurait un coût: en 2012, dans le chiffrage de son projet présidentiel, le FN avait budgété 551 millions d'euros sur cinq ans pour rémunérer 2.000 policiers et 2.000 gendarmes assignés à cette tâche.
Une étude publiée en février 2016 par France Stratégie, un organisme d'expertise gouvernemental, a estimé qu'il faudrait 10 milliards d'euros par an à long terme. Sans compter le coût indirect des embouteillages aux frontières pour les 359.800 travailleurs frontaliers résidant en France (Insee 2012).
"Nous prendrons ce coût à court terme", répond Mme Le Pen, raillant les "comptables" qui ne tiendraient pas compte de celui "de l'insécurité lié à l'ouverture des frontières".
Le projet de rétablissement des frontières est néanmoins jugé irréaliste par les spécialistes. Aucune source interrogée n'est capable de dire combien de points de passage existent entre la France et ses voisins.
Interrogé en mai 2016 à l'Assemblée nationale par la Commission d'enquête parlementaires sur les attentats de 2015, David Skuli, directeur central de la Police aux frontières, soulignait qu'avec 2.900 km de frontières terrestres et 5.853km de côtes "le contrôle aux frontières est très difficile à assurer" en France métropolitaine, notamment à cause des "phénomènes de contournement".
Chercheur en sciences politiques à Sciences Po et à l'Université de Liège, le Belge François Gémenne juge aussi que ce slogan se résume à un vœu pieux: "Sauf à mettre une clôture avec des miradors et des gardes-frontières à chaque endroit, les frontières seront par définition poreuses, sauf quand vous avez un obstacle physique, par exemple la Méditerranée et la Manche. Et encore..."
"Ca n'a jamais été très compliqué de passer, même avant Schengen, qui a acté ce qui était déjà une réalité dans beaucoup d'endroits", ajoute ce spécialiste des migrations.
Yvan Gastaut, historien à l'Université de Nice et commissaire de l'exposition "frontières" au Musée de l'histoire de l'immigration, abonde: "Rétablir les frontières repose sur cette idée mythique et mythifiée d'une étanchéité qui n'existera jamais. Cet argument a essentiellement pour vocation de sécuriser l'opinion publique à ce sujet".
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