Inquiétée par une possible victoire russe, l’UE envisage un emprunt commun pour poursuivre son soutien financier et militaire à Kiev
Les États membres de l’Union européenne (UE) se remobilisent pour garantir une continuité du soutien financier et militaire à Kiev, confronté à un effritement de l’aide occidentale depuis de nombreux mois. Face à l’avancée de l’armée russe sur le front ukrainien, les chefs d’État et de gouvernement européens, réunis à Bruxelles jeudi 21 mars lors du Conseil européen, brandissent, une fois de plus, et sur un ton de plus en plus alarmant, le risque que Moscou “ne s’arrête pas” à l’Ukraine. Trois pistes de financement ont été évoquées pour assurer du cash et des armes à Kiev, comme le transfert des bénéfices générés par les avoirs russes gelés en Europe, ou un endettement commun comme cela a été le cas pendant la pandémie de COVID-19.
L’aide financière et militaire occidentale pour l’Ukraine s’est amenuisée au fil des derniers mois. L’UE a difficilement réussi à débloquer son enveloppe de 50 milliards d’euros, à laquelle était opposé le Premier ministre hongrois, Viktor Orbàn, et le Congrès américain fait toujours traîner le projet de loi visant à doter Kiev de 60 milliards de dollars.
Les ambitions européennes face à la disette financière
Jusque-là, l'Union européenne a livré 5,6 milliards d'euros d'aides militaires à l'Ukraine, loin derrière les Etats-Unis et leurs 42,2 milliards d'euros. Des pays comme l'Allemagne (17,7 milliards), la Grande-Bretagne (9,1 milliards) et le Danemark (8,4 milliards) figurent parmi les premiers pourvoyeurs européens de financements à des fins militaires.
Depuis l’invasion russe, l’UE, plus que jamais inquiète d’une victoire de Moscou, a augmenté de 100 milliards d’euros ses dépenses dans la défense. Lors du conseil de jeudi dernier, plusieurs chefs d’État ont entonné le discours selon lequel la Russie menacerait les pays voisins, à commencer par la Moldavie, la Roumanie, la Pologne en cas de victoire en Ukraine.
“L’atmosphère a changé. De plus en plus d’Etats membres réalisent que la menace russe concerne toute l’Europe”, affirme le Premier ministre finlandais, Petteri Orpo. Pour Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, “l’été sera crucial”. “Il y a deux ans, je disais que l’Europe était en danger. Aujourd’hui, elle l’est encore plus”. Emmanuel Macron affirmait, cela fait une dizaine de jours, que “si on laisse l’Ukraine seule, si on laisse l’Ukraine perdre cette guerre, alors, à coup sûr, la Russie menacera la Moldavie, la Roumanie, la Pologne”.
L'Europe souhaite ainsi renforcer sensiblement et rapidement son industrie de défense. Toutefois, les caisses ne sont pas suffisamment garnies pour répondre à ces ambitions. Le conseil a alors validé la stratégie présentée début mars par la Commission et sa présidente, Ursula Von der Leyen, pour trouver des “sources innovantes” de financement et maintenir le soutien à Kiev.
Plusieurs pistes ont été dégagées. Les chefs d’État se sont d’abord mis d’accord sur le transfert des produits issus des avoirs russes gelés en Europe vers l’Ukraine. Les revenus attendus cette année sont estimés à 3 milliards d’euros et l’on table sur des “montants similaires au cours des années suivantes”, explique Von der Leyen. L’Ukraine pourrait toucher le “premier milliard” dès le début du mois de juillet et cette bagatelle servira, à 90%, à l’achat de munitions.
La question de l’emprunt commun fait froncer les sourcils
Autre solution envisagée : une réorientation de la politique de la Banque européenne d’investissement (BEI) des questions climatiques vers le secteur de la défense, ce qui serait une première, soixante ans après sa création. "Nous devons explorer différentes possibilités qui permettraient à la BEI d'investir dans des activités liées à la défense au-delà des projets à double usage existants", exhorte-t-on dans une lettre adressée à la BEI par des pays comme la France et l'Allemagne. Le but est d’accroître le nombre de prêts et de mobiliser l’argent privé pour financer l’industrie de défense.
Mais les avis sont encore plus mitigés lorsqu’il s’agit d’un emprunt commun. La Commission, qui aperçoit là un moyen de pérenniser la croissance de l’UE dans des périodes de crise, précise que “nous sommes au début du débat et non pas à la fin”. Mais la question fait déjà l’objet de divergences. La France et d’autres pays, comme l’Estonie, sont favorables au lancement d’un emprunt européen commun, jusque-là inimaginable sur le Vieux Continent. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas s’y opposent en attendant de parvenir à une décision en juin.
Pour le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, sur le départ depuis juillet 2023, un emprunt commun est injustifié dans la mesure où les lacunes de l’industrie européenne de défense ne sont pas comparables à la crise provoquée par la pandémie de COVID-19. Il suffirait, estime-t-il, que chaque membre de l’UE et de l’OTAN porte les dépenses de défense à 2% de son PIB.
Les discussions devront être lancées dans les prochaines semaines, voire les prochains mois, mais la question est déjà évoquée dans le cadre de la campagne pour les élections européennes. De nombreux observateurs s’accordent à dire que cette question devra être tranchée par le prochain exécutif. L’on s’interroge déjà sur l’intérêt de recourir à un emprunt pour soutenir Kiev, alors que la dette publique est déjà assez élevée dans certains États membres comme la France. Pourtant, d’autres pistes semblent plus appropriées, comme la consécration de 2% du PIB à son armée ou permettre les financements privés.
Lors du Conseil européen, à l’issue duquel l’UE a autorisé l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine, la question d’acheter des munitions non utilisées auprès de pays occidentaux peu impliqués dans le conflit a été abordée et suscite l’adhésion d’une vingtaine d’États, comme le Danemark, la Belgique, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suède.
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