Les djihadistes français dans la propagande de l'Etat islamique : l'exemple de Macreme Abrougui

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Matteo Puxton, édité par la rédaction
Publié le 02 octobre 2017 - 16:23
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Un membre du groupe Etat islamique à Raqqa, le 29 juin 2014.
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Les djihadistes français se font de plus en plus rares dans la propagande de l'organisation terroriste.
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L'Etat islamique a récemment modifié sa propagande au sujet des djihadistes français, les mettant moins en avant. Matteo Puxton, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, analyse cette évolution en partenariat avec "FranceSoir" à travers le cas de Macreme Abrougui.

Dans le numéro 11 de son magazine Rumiyah (p. 44-52), mis en ligne le 13 juillet 2017, l'Etat islamique fait l'éloge posthume d'un de ses combattants français mort au combat, Macreme Abrougui. Cet éloge est repris dans le magazine hebdomadaire al-Naba n°89 (en arabe) de l'EI paru le même jour.

Portrait de Macreme Abrougui qui sert d'entame à l'article de Rumiyah. Capture d'écran.

Macreme Abrougui, ancien délinquant, s'est converti à l'islam radical en fréquentant dans un garage du Val d'Oise, à Pierrefite-sur-Seine, des "vétérans" français du djihad: Fabien Clain, et Adrien Guihal, avec lesquels il rejoint d'ailleurs la Syrie en février 2015.

Le nom de Macreme Abrougui est lié à l'attentat manqué contre une église à Villejuif en avril 2015. Sid Ahmed Ghlam, un étudiant algérien, qui s'est blessé et mis hors d'état de nuire avant de passer à l'acte, est toutefois suspecté de l'assassinat d'une professeure de fitness, Aurélie Châtelain, peut-être en effectuant des repérages en vue de son attaque. Ghlam a été en contact avec des donneurs d'ordres en Syrie, et parmi les messages interceptés figure le pseudonyme d'Abrougui, "Vega". Ce dernier l'aurait fait profiter de ses contacts en Seine-Saint-Denis, notamment dans les milieux délinquants et garagistes.

Macreme Abrougui aurait été tué, selon les informations de RMC, lors d'une frappe aérienne française près de Raqqa dans la nuit du 6 au 7 octobre 2016. Information qui n'est pas confirmée par l'armée française, il faut le souligner.

Le portrait de Rumiyah, qui contredit les circonstances de la mort du djihadiste avancées par RMC, mérite qu'on s'y attarde. L'Etat islamique, en parlant de la jeunesse de l'intéressé, y dénonce l'entassement des "Arabes et des noirs Africains" dans les banlieues défavorisées, et fait une allusion à l'époque de la colonisation française. Ce n'est pas fréquent, mais on voit que Daech joue de cette thématique. Macreme Abrougui est présenté comme un délinquant repenti, qui a suivi l'enseignement d'un jeune prêcheur où l'on reconnaît la figure de Fabien Clain. Il met ses compétences au service du djihad: le magazine décrit l'opération finalement avortée contre un grand trafiquant de drogue, qui aurait détenu chez lui plus de 200.000 euros (!), l'argent devant servir à financer la cause djihadiste. L'article montre que le garage a bien été le lieu décisif d'une galaxie organisée autour des "vétérans", Guihal et Clain notamment. La proclamation du califat en juin 2014 accélère les préparatifs pour le départ en Syrie; d'après Rumiyah, Macreme Abrougui a déjà choisi à ce moment-là sa kounya, Abou Mujahid al-Faransi, qui est celle que l'on retrouve dans l'éloge posthume de l'EI. Abrougui est présenté comme le coordinateur du voyage en groupe, ce sur quoi on peut s'interroger.

6 avril 2016: un pick-up de l'EI avec mitrailleuse DSHK ouvre le feu sur la centrale thermique de Tishreen. Capture d'écran de la vidéo Les murs d'al-Fustat de la wilayat Dimashq.

A son arrivée en Syrie, il suit un entraînement militaire, puis monte dans la hiérarchie puisqu'il travaille dans des diwans (bureaux administratifs), et apporte son aide aux opérations extérieures, autrement dit la branche Amn al-Kharji de l'amniyat, les services secrets et de renseignement de l'EI, chargée de la planification des attentats à l'étranger. L'article de Rumiyah précise qu'il a combattu au sein de la wilayat al-Khayr (Deir Ezzor), donc sur l'un des fronts militaires les plus actifs du groupe djihadiste, contre la poche du régime encerclée par l'organisation. Il passe ensuite à la wilayat Dimashq (Damas) où il fait ribat (garde de position).

L'éloge est en contradiction avec les informations de RMC sur les conditions de sa mort. Macreme Abrougui serait en effet décédé au combat contre des rebelles syriens, en octobre 2016, alors que l'organisation djihadiste progresse dans le Qalamoun oriental, à l'est et au nord-est de Damas, autour des aéroports de Doumayr et de Seen. D'après le récit, il aurait été blessé une première fois par un tir de char près de la centrale thermique de Tishreen. Touché à la tête, il perd en outre la main droite. Bien que blessé, il veut retourner au combat et échange même son fusil d'assaut russe AK contre un fusil d'assaut américain plus compact et mieux adapté à son infirmité. Dans le secteur évoqué, l'Etat islamique affronte à la fois d'ailleurs le régime syrien et des groupes rebelles présents dans la zone, comme les Forces des martyrs Ahmad al-Abdo.

L'offensive de l'EI à l'est/nord-est de Damas en avril 2016 vise à réouvrir un corridor d'approvisionnement vers ses positions à Damas et plus au sud. Le cercle représente la centrale thermique de Tishreen, où Macreme Abrougui a perdu sa main droite selon Rumiyah. Source: @deSyracuse.

Les combats à la centrale électrique de Tishreen ont eu lieu au début du mois d'avril 2016: ils sont montrés dans la vidéo "Les murs d'al-Fustat" de la wilayat Dimashq qui est mise en ligne le 18 juillet suivant. Durant sa progression dans ce secteur à l'est de Damas, l'EI combat plutôt le régime syrien. Ce qui est très intéressant, c'est que cette vidéo, outre de montrer l'assaut par des inghimasiyyi précédés d'un véhicule kamikaze sur la centrale thermique, comprend un éloge funèbre d'un combattant français, Abu Khadija al-Faransi, tué manifestement pendant les combats.

Il y avait donc bien des combattants français présents lors de cette bataille. Macreme Abrougui retourne au front en octobre 2016 et combat dans le Jabal Batra, une éminence montagneuse qui surplombe la base aérienne de Nasiriyah tenue par le régime. L'EI y combat cette fois les rebelles syriens des Forces des martyrs Ahmad al-Abdo et d'autres groupes de la région. Avec un autre Français, Abou Ihsan, originaire du sud de la France, il se met à l'abri derrière un colline depuis laquelle tire un pick-up de l'Etat islamique équipé d'une mitrailleuse lourde. Un missile antichar tiré contre le véhicule rate sa cible et explose sur les deux Français, les tuant sur le coup. La wilayat Dimashq a également montré les combats dans ce secteur dans la vidéo "Présage des morts" publiée le 10 décembre 2016. Pas de Français cette fois-ci, mais l'on observe que l'EI déploie des moyens assez conséquents dans cette offensive dans le Qalamoun est.

Toyota Hilux avec KPV ouvrant le feu sur les rebelles syriens lors de l'offensive de septembre-octobre 2016. C'est dissimulé près d'un véhicule semblable que Macreme Abrougui meurt victime d'un missile antichar ayant raté sa cible. Capture d'écran de la vidéo Présage des morts de la wilayat Dimashq.

La publicité accordée par Daech à Macreme Abrougui, mort au combat, est intéressante car elle confirme la discrétion des combattants français de l'Etat islamique, visés par des frappes ciblées, et qui se font de plus en plus rares dans la propagande de l'organisation, si l'on excepte les kamikazes ou les morts au combat reconnus par le groupe.

En 2016, dans la wilayat Ninive (Mossoul), le 30 janvier, une vidéo montre l'exécution de cinq "espions". Parmi les bourreaux, un francophone qui prononce une longue apostrophe où il menace les "infidèles" de France, d'Espagne et du Portugal. Il s'agit en réalité de Steve Duarte, fils de Portugais et Luxembourgeois avant de rejoindre l'EI.

Carte de l'offensive de l'EI au 13 septembre. Macreme Abrougui meurt le 6 octobre dans le Jabal Batra (cercle). Source: @deSyracuse

Le 14 mai, une vidéo de la wilayat Halab (Alep) de l'EI met en scène un adolescent, fils du combattant français Abou Doujana tué en 2014, qui reçoit une formation militaire et exécute un prisonnier à la fin de la vidéo.

Le 19 juin, un Français, Abou Jannah al-Firansi, loue les attaques récentes d'Orlando et de Magnanville dans une vidéo de la wilayat al-Furat (sur la frontière syro-irakienne).

Le 26 juin, dans une autre vidéo de la wilayat Ninive, deux Français font de même. Un kamikaze français, Abou Khaled al-Faransi, se fait sauter avec son véhicule au nord de Baiji le 1er juillet, en Irak. La wilayat Salahuddine de l'EI montre son attaque bien plus tard, dans une vidéo du 21 février 2017 -la branche média de cette wilayat ayant été particulièrement affaiblie par la mort de son chef très efficace tué en juillet 2016 près de Shirqat, aux côtés d'Omar al-Shishani.

Le 20 juillet 2016, un djihadiste français apparaît dans une vidéo de la wilayat al-Furat pour revendiquer l'attentat de Nice et appeler à commettre d'autres attentats du même type. Le média al-Furat de l'EI publie une vidéo, le 26 novembre 2016, entièrement en français, qui courage à commettre des attaques en Europe. Le même jour, une vidéo de la wilayat al-Raqqah comprend une méthode d'égorgement enseignée "en direct" par un Français ayant manifestement reçu une instruction militaire, Abou Souleyman al-Faransi.

Le 8 décembre 2016, alors que la bataille de Mossoul a commencé depuis près de deux mois, un kamikaze français, Abou Omar, jette son véhicule suicide sur les positions des miliciens chiites à Tal Abtah, au sud de Tal Afar, à l'ouest de Mossoul -ce qui confirme la présence probable de Français dans la wilayat al-Jazirah (Tal Afar).

Le kamikaze Abou Khaled al-Faransi, qui se fait sauter le 1er juillet 2016 au nord de Baiji. Capture d'écran de la vidéo "Déclenchement des raids-Couverture de la vie du mujahid des médias Abu Marya al-Iraqi" de la wilayat Salahuddine.

 

Les Français apparaissent beaucoup moins dans la propagande de l'EI en 2017, alors que les revers s'accumulent, de même que les frappes ciblées contre les djihadistes francophones. Un kamikaze français, Abou Al Noor al-Faransawi, précipite son véhicule kamikaze contre les Kurdes syriens à l'ouest de Shaddadi le 17 février.

Le 5 avril, un autre kamikaze français, Abou Anas al-Faransi, jette le sien sur les Forces démocratiques syriennes à l'est de Tabqa. L'attaque est montrée dans une vidéo de la wilayat al-Raqqah mise en ligne le 22 avril.

Le 21 mai, la wilayat Dijlah (Tigre) de l'EI en Irak (sud de Mossoul) publie un poster d'Abou Nazir al-Firansi, un combattant français tué au combat. Ce qui est intéressant, c'est que les Français disparaissent complètement des vidéos de pure propagande, en dehors de la sphère militaire. Preuve qu'ils se savent traqués et/ou que l'organisation elle-même préfère ne pas trop les mettre en avant.

Abou Anas al-Faransi jette son véhicule kamikaze sur les forces des FDS à l'est de Tabqa. Capture d'écran de la vidéo Et Dieu et son messager ont dit la vérité de la wilayat al-Raqqah.

Si les Français ne sont pas apparus parmi les kamikazes ou les combattants des vidéos longues de la bataille de Mossoul (alors que le Belge Tariq Jadaoun était présent dans l'avant-dernière production de l'EI sur la bataille), il en va de même pour l'instant à Raqqa depuis la bataille dans la ville commencée début juin, alors même que l'EI y a accordé beaucoup de place à ses combattants étrangers. Cependant, dans la vidéo "La poussière de la bataille" de la wilayat al-Raqqah (16 août 2017) montre un véhicule kamikaze avec un pilote et un mitrailleur (Marocain et Algérien; on peut d'ailleurs se demander s'il ne s'agit pas de Français). Le conducteur du véhicule reçoit des conseils de la part d'un homme, hors champ de la caméra, qui tient une impression d'une vue satellite d'une partie de Raqqa: cet homme s'exprime clairement en français. Il y a donc fort à parier que la garnison de l'Etat islamique qui assure la défense de la ville comprend des combattants francophones.

Le pilote du véhicule kamikaze reçoit des instructions d'un homme s'exprimant en français. Capture d'écran de la vidéo La poussière de la bataille de la wilayat al-Raqqah.

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