A Strasbourg, Julian Assange, “coupable d’avoir fait du journalisme”, plaide en faveur de la liberté de la presse
Pour la première fois depuis sa sortie de prison en juin 2024, Julian Assange s’est longuement exprimé sur les années passées à l’ambassade équatorienne à Londres puis dans une prison près de la capitale britannique. Le fondateur de WikiLeaks affirme être “libre aujourd’hui pour avoir plaidé coupable d’avoir fait du journalisme” et “non parce que le système a fonctionné”. Regrettant de constater qu’il y a “davantage d’impunité, de secret, de représailles pour avoir dit la vérité et plus d’autocensure”, il a appelé à des garde-fous solides contre “les puissantes nations qui se sentent légitimes à viser des individus au-delà de leurs frontières”.
Depuis la divulgation en 2010 par WikiLeaks de documents classifiés, liés à la guerre menée par les États-Unis en Irak et en Afghanistan, Julian Assange est privé de liberté. Ciblé par une enquête par les autorités américaines pour “espionnage”, il restera en liberté surveillée au Royaume-Uni après qu’un mandat d’arrêt européen soit lancé par la justice suédoise. Celle-ci l’accusant d’avoir commis un délit sexuel sur son territoire en 2010, délit qu’Assange, a toujours nié, clamant son innocence. En 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni rejette sa demande de non-extradition vers Stockholm, procédure qu'il considérait comme un prétexte à des fins d’extradition vers les États-Unis.
Libre pour avoir “plaidé coupable d’avoir fait du journalisme”
Julian Assange se réfugie alors à l’ambassade d’Equateur de Londres et y reste 7 ans, période durant laquelle il obtient l’asile politique et sa naturalisation. Celle-ci lui est ôtée en 2019 par le nouveau président équatorien, orien, Lenín Moreno, qui annonçe la fin de son droit d’asile. Le cybermilitant est alors arrêté par la police londonienne et Washington demande immédiatement son extradition. Il est condamné à 50 semaines de prison pour violation des conditions de sa liberté provisoire en 2012. La justice suédoise clôt le dossier le concernant, faute de preuves.
Incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh le 11 avril 2019, la justice britannique, refuse en janvier 2021 son extradition vers Washington, pour finalement se prononce en sa faveur en juin 2022. Le fondateur de WikiLeaks encoure alors une peine de 175 ans de prison aux États-Unis.
Julian Assange est libéré le 26 juin dernier après avoir conclu un accord avec la justice américaine, plaidant coupable à une seule charge en vertu de la loi américaine sur l'espionnage, évitant ainsi l'extradition vers les États-Unis et une peine de prison supplémentaire. Cette libération met fin à une saga juridique de 14 ans laissant Assange retourner en Australie, son pays natal.
Trois mois plus tard, le lanceur d’alertes fait une apparition attendue et annoncée à Strasbourg pour s'adresser au Conseil de l'Europe, particulièrement à la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Une occasion, pour Assange, de délivrer ce mardi 01 octobre, un premier témoignage quant à son affaire.
Accueilli sous les applaudissements, il consacre la majeure partie de son intervention à la liberté de la presse. “Je veux être parfaitement clair. Je ne suis pas libre aujourd'hui, parce que le système a fonctionné. Mais je suis libre aujourd’hui, après des années d'incarcérations, parce que j'ai plaidé coupable d'avoir fait du journalisme”, a-t-il déclaré. “Le journalisme n’est pas un crime”, n’a-t-il eu de cesse de répéter, ajoutant que le “le problème fondamental est que les journalistes ne devraient pas être poursuivis pour avoir fait leur travail (...) c'est un pilier d'une société libre et informée”.
“Davantage d’impunité, de secrets, et plus d’autocensure”
Rappelant avoir été “condamné, formellement, par un pays étranger, pour avoir demandé, reçu et publié des informations avérées sur ce pays alors [qu’il se trouvait] en Europe”, Julian Assange a qualifié la criminalisation de la collecte d’information de “menace pour le journalisme d’investigation”. Le fondateur de WikiLeaks estime que sa détention et les accusations américaines à son encontre ont créé un climat délétère et “glacial” pour la liberté d’expression. “Je vois davantage d’impunité, de secret, de représailles pour avoir dit la vérité et plus d’autocensure”, a-t-il regretté.
Il a ouvertement accusé Pompeo et la CIA d’avoir “élaboré un plan pour l’enlever et l’assassiner au sein de l’ambassade d’Equateur à Londres”, avant d’appeler son auditoire, à savoir l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), à “agir pour que ce [qui lui est] arrivé ne puisse pas arriver à d’autres”.
“Quand de puissantes nations se sentent légitimes à viser des individus au-delà de leurs frontières, ces individus n’ont aucune chance, à part s’il existe des garde-fous solides et un Etat déterminé à les mettre en œuvre”, a-t-il expliqué. Il a averti contre le “manque de protections efficaces”, qui pourrait mener au “détournement” des traités d’extradition de l’Europe par des puissances étrangères pour s’en prendre aux voix dissidentes” sur le Vieux continent.
A propos de ses conditions d’incarcération, Julian Assange a déclaré “ne pas être encore prêt à parler de ce [qu’il a] subi”. “L'expérience d'isolement des années durant dans une petite cellule est difficile à exprimer. Elle dépouille l'individu de son identité, ne laissant subsister que l'essence brute de l'existence”, témoigne-t-il. Il a néanmoins évoqué “la lutte incessante pour rester en vie, à la fois physiquement et mentalement, et les morts par pendaison, meurtre ou négligences médicales de [ses] compagnons de cellule”.
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