Bataille d'Alep : Liwa Fatemiyoun, ces miliciens afghans chiites qui se battent pour le régime de Damas

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Matteo Puxton avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 09 décembre 2016 - 12:12
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Cimetière des Afghans de la brigade Liwa Fatemiyoun à Qom en Iran.
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Le cimetière des Afghans de la brigade Liwa Fatemiyoun à Qom en Iran.
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Saignée à blanc par cinq ans de guerre, l'armée de Bachar al-Assad emploie des miliciens, parfois étrangers, pour renforcer ses rangs. Parmi eux, la brigade Liwa Fatemiyoun, composés d'Afghans chiites enrôlés par l'Iran, qui se bat à Alep. Matteo Puxton, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, présentent en partenariat avec "FranceSoir" l'engagement de ces supplétifs du régime de Damas.

L'intervention d'Afghans chiites dans le conflit syrien est ancienne: elle remonte à l'année 2013. Dès l'été 2013, Philip Smyth, spécialiste des combattants chiites étrangers auprès du régime syrien, décèle des indices de leur présence au sein de la milice Liwa Abou Fadl al-Abbas, formée à l'automne 2012 et composée surtout de chiites irakiens. Un document vidéo capturé par les rebelles syriens de Liwa Dawood sur des Pasdarans (Gardiens de la Révolution iraniens) tués au combat au sud-est d'Alep en août 2013 montre un cadre des Pasdarans, Haidari, confirmant la présence d'Afghans chiites en Syrie. En décembre 2013, un site d'information iranien annonce l'enterrement de 10 Afghans chiites tués en Syrie: c'est la confirmation officielle de leur présence dans le conflit.
 
Les indices se multiplient en 2014. Les Iraniens auraient promis aux réfugiés afghans chiites (Hazaras) sur leur sol des primes d'engagement mensuel de 500 dollars et le droit de résidence en échange de leur participation à la guerre en Syrie. L'ayatollah Kabuli, de la ville de Qom, confirme le recrutement des Hazaras en Iran. Le vivier pour Téhéran est important puisque plusieurs millions d'Hazaras (au moins 1 million de réfugiés légaux et plus de 2 millions de réfugiés illégaux) se sont installés en Iran. Il s'agit pour celui-ci de faire diminuer les pertes des Pasdarans, engagés en Syrie depuis au moins 2012, et de son allié, le Hezbollah libanais, intervenu militairement en Syrie aux côtés du régime en avril 2013.
 
Reza Ismaeli, 19 ans, a été le premier commandant de Liwa Fatemiyoun (du nom de la fille du prophète, Fatima, enterrée à Qom en Iran), l'unité qui va regrouper les Afghans chiites combattant pour le régime syrien. Il a été tué en décembre 2013. Philip Smyth pense aussi que l'Iran a recruté parmi la petite communauté hazara installée avant la guerre en Syrie près de Sayyida Zaynab, au sud de Damas (environ 2.000 personnes). La formation d'une unité constituée, Liwa Fatemiyoun, dans les derniers mois de 2013, montre en tout cas que le recrutement s'accélère. Les rebelles syriens font leurs premiers prisonniers afghans à l'automne 2014: ceux-ci évoquent une unité de 450 hommes, répartis en 3 compagnies de 150. Les Hazaras sont encadrés par des Iraniens et opèrent souvent de concert avec d'autres combattants étrangers. Ils sont parfois présentés comme une nouvelle branche du Hezbollah libanais: le Hezbollah Afghanistan.
 
La contribution des Afghans chiites prend une nouvelle ampleur en 2015. Les Pasdarans eux-mêmes produisent un documentaire en Iran sur l'engagement des Hazaras en Syrie, qui indique que ces derniers ont participé à la bataille de Mleha, dans l'est de la Ghouta (Damas) au printemps 2014. En mars 2015, Alireza Tavasoli, un Afghan chiite qui est le nouveau commandant de Liwa Fatemiyoun, est tué au combat dans le sud de la Syrie, dans la province de Deraa. Les Iraniens reconnaissent déjà en mai 2015 la mort de 200 Afghans chiites en Syrie. Ils recrutent essentiellement dans les villes de Mashhad et Qom, où se concentre la population des réfugiés hazaras, et jusqu'à des enfants-soldats âgés parfois de moins de 16 ans.
 
Reza Khavari, un des officiers généraux des Pasdarans qui commandait la brigade Fatemiyoun, est tué fin octobre 2015 dans le nord de la province de Hama. Mostafa Sadrzadeh, un autre officier des Gardiens de la Révolution de la brigade, est également tué à ce moment-là: il commandait le bataillon appelé Amar de Liwa Fatemiyoun. Les Iraniens lui consacrent un documentaire. Il est probable que la brigade soit passée au rang de division en 2015, ce qui en fait le second contingent étranger le plus nombreux, d'un seul bloc, derrière le Hezbollah libanais, en soutien du régime syrien.
 
Les témoignages de Hazaras ayant fui en Europe et recueillis par Human Rights Watch en 2016 montrent que Liwa Fatemiyoun compte désormais au moins 3 à 4.000 hommes. L'unité joue un rôle évident lors de l'offensive du régime au nord-ouest d'Alep, début février 2016, qui conduit à lever le blocus des enclaves chiites de Zahra et Nubl assiégées par les rebelles. Liwa Fatemiyoun a également une subdivision détachée sur le front de Palmyre dès le mois de février 2016 (la ville est finalement reprise par le régime le mois suivant).
 
En mai 2016, les rebelles syriens capturent des Afghans lors de combat au sud et au nord-ouest d'Alep. Hosseini, le commandant adjoint de Liwa Fatemiyoun tué sur le front de Palmyre en juin 2016, prétendait que les Afghans chiites étaient désormais entre 12 et 14.000. Les rebelles syriens estiment quant à eux leur nombre à 8.000. L'Iran ne se contente plus de recruter parmi la communauté des réfugiés hazaras à l'intérieur de ses frontières: en juin 2016, il ouvre un centre de recrutement à Herat, en Afghanistan, dans une région peuplée de Hazaras. Liwa Fatemiyoun est formée par le Hezbollah qui entraîne des cadres afghans chargés d'instruire leurs camarades. Le Hezbollah crée également une unité de forces spéciales entraînée en particulier au sniping. Un documentaire iranien tourné en juillet 2016 montre d'ailleurs les Afghans de la Fatemiyoun formés par le Parti de Dieu en Syrie. Les Afghans sont également présents début août 2016 lors de la contre-attaque rebelle pour lever le blocus d'Alep par le régime: plusieurs sont capturés.
 
Liwa Fatemiyoun, selon les dires de Hosseini au mois de juin, comprendrait 14.000 hommes organisés en 3 brigades (ce qui confirme le passage au statut de division en 2015) basées à Damas, Hama et Alep. L'unité aurait ses propres unités de blindés, d'artillerie et de renseignement. Entre avril et mai 2015, différentes pages liées à l'opposition syrienne diffusent une série de photographies montrant des combattants afghans de la brigade Fatemiyoun, posant aux côtés de chars de combat T-72: sont visibles sur ces clichés, au moins 9 T-72M1, ainsi qu'un blindé de dépannage BREM-1: soit 3 pelotons de 3 chars de combat, c'est-à-dire l'effectif théorique d'un escadron de char, moins le char de commandement.
 
Toutefois, à cette époque, il paraissait impossible de déterminer si ces engins étaient bien mis en œuvre par les combattants afghans. En revanche, à Palmyre, le 10 février 2016, un reportage russe confirme l'implication des combattants afghans dans la région, leur drapeau étant clairement filmé. Le 23 mars 2016, c'est l'agence Sputnik qui diffuse une série de photographies montrant les T-72M1 de la brigade et leurs équipages: à la même date, deux reportages réalisés par la chaîne Russia 24 montrent cette fois les chars en action. Dans ces vidéos, les Afghans semblent associés à la milice pro-régime Suqur al-Sahara. Le 30 mars, c'est un reportage d'al-Manar, tourné après la prise de Palmyre par le régime syrien, qui montre les T-72M1 des Fatemiyoun, stationnés dans, et à proximité de la base aérienne de la ville. On peut donc croire que les Afghans disposent peut-être, au final, d'une compagnie de chars, sans parler des véhicules blindés BMP-1. Dès 2015, des documents laissent supposer que l'unité a été formée à l'emploi de mortiers lourds de 120 mm.
 
D'autres photographies montrent la Fatemiyoun posant aux côtés des classiques obusiers M-46 de 130 mm, et des plus rarement documentés D-20 de 152 mm. Début novembre 2016, l'agence iranienne Fars publie des photos de Liwa Fatemiyoun au combat à Alep, manipulant des obusiers D-20 de 152 mm, ce qui confirme que l'unité dispose de sa propre artillerie.
 
Le Brigadier General iranien Mohammad Ali Falaki, vétéran de la guerre Iran-Irak où il a commandé une brigade mécanisée d'une division d'infanterie, membre des Pasdarans, a servi avec la Fatemiyoun en Syrie. Le premier contingent parti en Syrie aurait été constitué de 25 vétérans de la brigade Abouzar (constituée d'Afghans chiites) de la guerre Iran-Irak et du corps Mohamed du djihad anti-soviétique en Afghanistan: aucun n'a survécu. Le 11 septembre 2016, Morteza Ataei (Abu-Ali), un cadre de Liwa Fatemiyoun, est tué dans la province de Lattaquié. A la mi-septembre, Liwa Fatemiyoun opère effectivement de concert avec Suqur al-Sahara à Kinsabba, au nord de la province de Lattaquié.
 
L'Iran aurait installé un camp de base pour ses combattants étrangers à l'est de la montagne Tell Azan (15 km au sud d'Alep): on sait par exemple que les Irakiens chiites d'Harakat Hezbollah al-Nujaba auraient leur base à Rasm Bakru, juste à l'est de la montagne, à 16 km à l'ouest d'al-Safira. Liwa Fatemiyoun y serait cantonnée aussi de même que le Hezbollah. Selon Amir Toumaj et Ali Alfoneh, l'unité a perdu 25 tués au moment de la contre-offensive rebelle sur les quartiers ouest d'Alep, fin octobre-début novembre 2016. Elle en perd 25 de plus durant le mois de novembre en tentant de s'emparer du quartier de Sheik Saïd au sud d'Alep.
 
Ali Alfoneh, qui suit de près les enterrements de combattants afghans chiites en Iran, relève au 5 décembre 2016, 513 morts depuis septembre 2013, dont 5 depuis le début du mois de décembre. Ce nombre n'est pas exhaustif car il ne compte pas les corps abandonnés sur le terrain ni les prisonniers et les disparus. Mais il donne la mesure de l'ampleur de la contribution des Afghans chiites au combat pour défendre le régime syrien, et les intérêts de l'Iran. Les Afghans, considérés avec dédain par les Iraniens et même par les combattants du régime syrien, servent de véritable "chair à canon" pour économiser les soldats iraniens ou les miliciens chiites irakiens ou du Hezbollah libanais.
 
Formés 2 ou 3 semaines dans des camps près de Téhéran, ils sont jetés a feu en Syrie, leur solde n'étant pas versée régulièrement comme promis lors du recrutement, d'après les témoignages dont on dispose. Ils constituent néanmoins une infanterie bon marché qui permet au régime syrien de tenir le front ou de lancer des offensives, ce qui est précieux.
 
 

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