Cadences, formation, omerta : l'autre souffrance présente dans les abattoirs

Auteur(s)
La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 02 février 2017 - 20:11
Image
Une vache dans un abattoir.
Crédits
©Xavier Leoty/AFP
Dans l'abattoir "aux normes" où a travaillé Geoffrey Le Guilcher, "On fait 63 vaches à l'heure quand on est au taquet, mais la norme c'est plutôt 55" (illustration).
©Xavier Leoty/AFP
Un journaliste indépendant s'est infiltré dans un abattoir pour y travailler pendant 40 jours. A l'heure où la question du bien-être animal est très présente, il s'est intéressé aux souffrances de ceux qui y travaillent, victimes des cadences intensives, du manque de personnel et de formation, mais aussi d'une certaine loi du silence.

Dans les abattoirs, "la souffrance animale est massive, mais la souffrance humaine est également massive", témoigne le journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher, qui s'est fait embaucher incognito dans un abattoir breton et en a tiré un livre Steak machine, qui sort jeudi aux éditions Goutte d'or.

La problématique de la violence faite aux animaux dans les abattoirs a émergé avec les vidéos choc de l'association L214, mais elles "n'ont levé qu'une partie du tabou", selon Geoffrey Le Guilcher. Selon le journaliste qui a travaillé 40 jours sur la chaîne de découpe des carcasses d'"un abattoir moderne, avec un outil industriel aux normes", "quand tu vas sur place tu t'aperçois que ce sont des gens comme tout le monde mais mis dans des conditions extrêmes".

"On fait 63 vaches à l'heure quand on est au taquet, mais la norme c'est plutôt 55", explique ainsi un des nouveaux collègues du journaliste embauché. "Quand on est pris dans la cadence, si l'animal se débat, il rajoute de la pénibilité à un métier déjà pénible. On est dans un contexte où les animaux sont juste des ennemis qui compliquent une tâche déjà inhumaine", raconte-t-il. En cause, "des cadences élevées et le manque de personnel".

Geoffrey Le Guilcher constate ainsi que "30 à 40%" des effectifs sont composés d'intérimaires, et que la formation est inexistante. "J'ai appris une semaine après avoir commencé qu'il fallait mettre le gant en kevlar en dessous de celui en cotte de maille", explique-t-il en montrant une photographie de sa main très abîmée après une semaine de travail.

"On leur reproche de chosifier les animaux, quand eux se débrouillent dans une zone de tabou", selon le journaliste qui en veut pour preuve que dans l'abattoir où il est embauché, la "tuerie", zone où les animaux sont étourdis puis égorgés, est entourée d'un mur qui en cache la vue aux visiteurs éventuels, mais aussi aux autres salariés. "Ce qui ne laisse pas beaucoup d'autres moyens que l'infiltration", pour savoir ce qu'il s'y passe.

Se mêlant aux ouvriers, le journaliste est allé chercher des histoires que "dans ce monde viril et taiseux on ne dit pas". Et dans ce livre-témoignage, les animaux sont de fait peu présents, ce sont les maux des salariés qui émergent: troubles musculo-squelettiques et accidents du travail, "au moins un par semaine" selon un salarié.

Les zones les plus fréquemment touchées par l'usure du travail: "le canal carpien et les épaules dont les tendons s'usent de façon accélérée", selon le médecin qui soigne les ouvriers de l'abattoir.

De fait, les ouvriers que rencontre le journaliste "connaissent les chiffres correspondant à leurs disques, à leurs lombaires, à leurs os, tendons et cartilages, tous les morceaux de leur corps abîmé", raconte-t-il.

Geoffrey Le Guilcher rencontre ainsi plusieurs salariés "mutés à des postes où ils passent le balai car ils sont foutus" physiquement parlant. Et malgré un salaire et des primes intéressants, vu le niveau de qualification requis, "notre abattoir a de graves problèmes de recrutement", confie un syndicaliste au journaliste.

Dans ce contexte, les salariés "se retrouvent un peu stigmatisé" par les vidéos de L214, mais cela les concerne moins que les accident et les maladies causé par leur travail, estime le journaliste. Il cite tout de même la confession que lui a fait un jeune salarié: "si tu bois pas, que tu fumes pas, que tu te drogues pas, tu tiens pas (à l'abattoir, NDLR), tu craques".

 

À LIRE AUSSI

Image
Viande rouge illustration
Maltraitance dans les abattoirs : consommer éthique, c'est possible
Alors que de nombreux Français sont encore sous le choc des vidéos diffusées par L214 montrant des animaux torturés dans des abattoirs, "FranceSoir" est allé à la renc...
26 avril 2016 - 17:47
Lifestyle
Image
Une vache dans un abattoir.
Contrôle vidéo dans les abattoirs : où, quand, comment... tout savoir sur ce futur dispositif
Le 12 janvier dernier, l'Assemblée nationale a voté en première lecture l'obligation d'installer un contrôle vidéo dans les abattoirs à partir de 2018. Deux juristes s...
25 janvier 2017 - 14:45
Politique
Image
Viande rouge illustration
L214, vegans, antispécistes : les anti-viande passent à l'offensive
La nouvelle publication de vidéos de maltraitance animale dans des abattoirs par l'association L214 alimente le débat sur la consommation de viande. Un débat dans lequ...
02 juillet 2016 - 17:36
Lifestyle

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Les dessins d'ARA

Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.