A Calais, les migrants de la Jungle s'interrogent : "vous savez quand on part ?"
A l'approche du démantèlement du bidonville, et malgré les incertitudes liées à une action en justice visant à obtenir son report, le mot semble passé sur le campement ou vivent entre 5.700 et 10.000 migrants: "des bus vont venir". Aucune date n'a été annoncée officiellement, même si l'hypothèse du 17, un temps retenue, semble retardée d'une semaine au moins.
Tohar finit d'écouler les denrées de son épicerie. "Ce soir ou demain, je ferme". Mais l'avenir semble incertain à cet ancien conducteur de chantier : "On veut bien partir en CAO" (les Centres d'accueil et d'orientation prévus pour les migrants de Calais). "Mais après? Est-ce qu'on aura l'asile? Est-ce qu'on pourra rester?".
Lui a laissé ses empreintes en Bulgarie - ce qui devrait en théorie entraîner son renvoi vers ce pays, même si la règle semble pouvoir, pour les migrants acceptant de monter dans les cars, connaître une certaine flexibilité. "80% cochent la case: je souhaite obtenir l'asile en France, la plupart ont laissé leurs empreintes ailleurs", raconte une associative, en montrant la fiche de renseignements qu'elle aide les migrants à remplir depuis dimanche, pour qu'ils arrivent en CAO munis du maximum d'informations (nom, langue, santé, démarches...
Dans leurs bouches les mêmes questions reviennent, au "bureau des éducateurs" qui distribue les informations, et aux permanences de l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration) et de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides).
"Je suis malade, est-ce qu'il y aura un docteur où je vais?" "Les CAO, c'est comme des foyers?" "J'ai rendez-vous en préfecture dans 45 jours et il paraît qu'on part la semaine prochaine..." "Beaucoup ont des procédures en cours. On leur explique que les dossiers seront transférés, on les rassure", raconte Larmi Belmir, chef de site de l'Ofii à Calais.
Pas sûr que cela suffise, dans cette procédure complexe : certains reviennent plusieurs fois se faire expliquer la même chose. Le démantèlement, "tout le monde ne parle que de ça", assure Adam, un Soudanais en sweat-shirt bleu ciel. "Certains ne veulent pas demander l'asile en France, et ne savent pas quoi faire. Il y a des gens qui n'en mangent plus. Moi j'ai mes empreintes en Italie, qu'est ce qui va se passer?"
D'autres ont tranché : "je veux passer en Grande-Bretagne", explique Alphaty, qui essaie depuis plus d'un an de monter dans un camion. "En France c'est trop difficile pour les Soudanais d'obtenir l'asile". Où ira-t-il ? Il hausse les épaules. "Dans une autre jungle, pas loin". "Je ne me battrai pas avec la police, mais je veux rester", renchérit Mossine, un Kurde installé dans les caravanes du "coin des familles", où les salariés de l'Ofii tentent de convaincre les indécis.
"On a trois cars la semaine prochaine, mardi, mercredi et jeudi", lance l'un d'eux, une carte de France à la main. Son interlocuteur, un Afghan, bat en retraite, l'air inquiet. Mais à l'approche du démantèlement, "beaucoup de ceux qui veulent passer en Grande-Bretagne ont préféré déjà partir se mettre au vert, à Paris, ou ailleurs", estime Maïa Konforti de l'Auberge des Migrants - ce qui expliquerait la baisse de la population du campement.
Reste le cas des mineurs isolés - 1.300, selon un récent comptage. Le calendrier du démantèlement dépendra aussi des négociations avec Londres sur leur sort. Et ils souhaiteraient, à 95%, aller en Grande-Bretagne. "J'ai un frère à Londres", explique Mirwais, 16 ans, qui trouve la "Jungle" "horrible, avec des bagarres la nuit, du racket". Mais une chose est sûre pour ce jeune Afghan: "je ne monterai pas dans un car".
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