Djihad : lycéens et musulmans pratiquants, cibles privilégiées des recruteurs
Depuis qu'il a été approché par des recruteurs pour le djihad, Yacine, 16 ans, ne traîne plus à la sortie de la mosquée. Nassim et Byllel, 18 ans, se tiennent sur leurs gardes, conscients d'être des cibles privilégiées pour ces "vendeurs de rêve".
C'était après la prière, un soir de semaine en Seine-et-Marne, ils étaient deux. "Ils m'ont direct mis dans le bain, on a parlé de la Syrie, ils essayaient de relativiser les choses, pourquoi ils faisaient la guerre sainte, qu'il fallait mourir en martyr pour aller au paradis." La fois suivante, ils sont trois. Celle d'après, Yacine tente de filer avant la fin de l'office mais ils le coincent. "Je suis resté pour pas avoir de représailles et après je suis plus jamais retourné dans cette mosquée", témoigne l'adolescent, encore traumatisé par cette expérience. Yacine suppose avoir été pris pour cible en raison de sa pratique assidue de la religion musulmane. Il fréquente désormais une autre mosquée, "pas extrémiste" celle-là. Mais ne s'attarde pas: "Je prie et je pars."
Plusieurs de ses copains ont rejoint les rangs de l'organisation État islamique (EI) et posté des photos de leurs aventures sur Facebook ou SnapChat, comme des cartes postales expédiées d'une "colonie de vacances". Paradant "avec des armes de guerre" ou s'affichant "en train de tuer des gens", mais "tout le temps avec un sourire", observe l'adolescent. "Je remercie Dieu, j'ai été bien encadré par mes parents et mon grand frère", affirme cet élève de première, persuadé qu'il aurait "pu devenir comme eux".
En Terminale, Nassim n'a "heureusement" jamais croisé le chemin de rabatteurs. Mais en mars 2015, son ami d'enfance, qui avait abandonné le lycée, est parti en Syrie avec un autre garçon de la cité. "Ils avaient dit qu'ils allaient au ski. Ça a été un gros choc, on l'avait pas du tout vu venir. Pour moi, c'était plus qu'un ami, c'était comme un grand frère. Sa mère, elle a beaucoup pleuré, son père aussi." Environ un mois avant les attentats du 13 novembre, le djihadiste a mis en ligne une photo où il pose aux côtés de trois "frères", dans un décor de salon oriental, devant un plateau rempli de victuailles, de bouteilles de soda et une Kalachnikov. Pieds nus, un garçon est allongé sur une banquette, tout sourire, dans une posture décontractée: c'est Bilal Hadfi, 20 ans, futur kamikaze du Stade de France.
"Dans le jihad, c'est pas la dimension théologique qui prime mais l'héroïsme, l'exotisme, le romantisme, la surabondance", explique Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). "Et pour une partie de ces jeunes de banlieue, cette absence de pénurie, de restriction, c'est une incitation énorme au djihad", dit-il.
Pas pour Nassim qui dit préférer "être pauvre ici que riche là-bas". Pas non plus pour Byllel, rencontré au MacDo de Rosny-sous-Bois: "Je suis sûr de ne jamais rentrer dans leur jeu parce que j'ai une bonne foi, une belle vie." Malgré tout, il se tient sur ses gardes: "ils ont les bons mots" et, redoutables "psychologues", sont habiles à détecter les failles et à les exploiter. "Nous, les personnes de 18, 20, 25 ans, du moment qu'on peut tenir une arme, on est les premières cibles." D'autant que le but de l'existence des musulmans pratiquants est d'atteindre le paradis, analyse Byllel. Les propagandistes de la cause djihadiste le savent, qui "proposent le paradis directement, vendent du rêve tout de suite". Leur camarade de classe Ismaël est moins sûr de lui. "Je sais pas si je suis prêt mentalement parce que ces personnes-là, elles sont très, très fortes: envoyer 1.000 personnes, ce n'est pas rien." A fin mars, plus de 2.000 Français ou résidents français étaient impliqués dans les filières de recrutement djihadiste et plus de 600 étaient présents en Syrie ou en Irak, dont au moins 85 mineurs.
"La menace est réelle mais l'ennemi premier, c'est internet plus que la rue", estime Nadia Dali, conseillère principale d'éducation (CPE) au lycée Olympe-de-Gouges, implanté dans la cité du Londeau à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). A écouter les élèves confier leurs inquiétudes, invités à pousser la porte de son bureau à toute heure de la journée, elle en sait long sur les techniques d'approche des recruteurs.
"Un élève qui va +liker+ une page montrant un enfant tué en Syrie ou poster un commentaire un peu virulent sur un site pro-palestinien" peut se faire aborder. Autre cas de figure, confirmé par les lycéens rencontrés, tous férus de jeux en réseau: la prise de contact lors de parties de Call of Duty, League of Legends ou World of Worldcraft. Pour Nadia Dali, 40 ans, l'éducation numérique - "leur apprendre à verrouiller leur mur Facebook, à se protéger" - est fondamental. Mais "ce qu'il faut surtout, c'est être au plus près des familles et des élèves, favoriser leur bien-être". Pour "ne pas laisser la place aux autres" (entendre: les personnes mal-intentionnées), elle fait en sorte de saturer leur temps libre en organisant clubs, ateliers, "espaces de parole". Et le lycée reste ouvert jusqu'à 20 heures pour leur permettre de faire leurs devoirs. "Ils sont chez eux ici", assure Philippe Le Coz, le proviseur. Et s'y sentent tellement en sécurité qu'il est difficile de leur faire quitter l'établissement, le vendredi soir.
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