Médine au Bataclan : le concert pourrait-il être interdit ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 27 juin 2018 - 14:39
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Photo prise lors du premier anniversaire de l'attentat du Bataclan, le 13 novembre 2016
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
Le spectacle de Médine au Bataclan pourrait être annulé en cas de troubles à l'ordre public, s'il n'y a pas d'autre solution.
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L'organisation d'un concert de Médine au Bataclan a créé une forte polémique en raison de propos tenus par le rappeur, certains demandant l'annulation. L'interdiction d'un spectacle à la demande de l'autorité publique est possible, mais soumise à certaines conditions de faits, comme l'avait montré l'affaire Dieudonné. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, décrypte en partenariat avec France-Soir ces règles qui opposent liberté d'expression et ordre public.

La programmation d’un spectacle du rappeur Médine dans la salle du Bataclan fait aujourd’hui débat en raison notamment des paroles de sa chanson Dont Laïk (à lire ici). Certains commentateurs considèrent que le concert du rappeur dans cette salle à l’histoire tragique pourrait être perçu comme un affront à la mémoire des personnes assassinées et blessées dans leur chair.

En la matière, l’autorité administrative dispose du pouvoir d’empêcher ou de restreindre un spectacle, sous le contrôle du juge administratif. Cette interdiction est une mesure qui doit tendre uniquement à la sauvegarde de l’ordre public.

L’arrêt fondateur en la matière est l’arrêt du Conseil d’Etat Benjamin de 1933. A l’époque, un maire avait utilisé ses pouvoirs de police pour interdire une conférence au nom de l’ordre public car il ne partageait pas les idées de l’intervenant. Le Conseil d’Etat énonça que l’administration en voulant protéger l’ordre public avait limité excessivement la liberté de réunion et donc que la décision du maire était illégale.

Lire aussi: Médine - des victimes du Bataclan dénoncent la récupération politique

Il faut donc tirer les conséquences suivantes de cet arrêt :

> Le juge administratif examine tout d’abord quelle liberté est mise en cause, en l’occurrence la liberté d’expression.

> Il regarde ensuite si les menaces de troubles à l’ordre public sont réelles et suffisamment graves.

> Enfin, il vérifie si l’administration a choisi la mesure la plus adéquate aux circonstances.

Plus récemment, c’est Dieudonné qui a donné lieu à des décisions de justice en la matière.

Le préfet de la Loire-Atlantique (autorité de police administrative) avait interdit le spectacle de Dieudonné Le Mur. Il était nécessaire pour le préfet de démontrer un risque d’atteinte à l’ordre public, ce qu’il fit, en invoquant les propos contenus dans le spectacle et le risque de désordre matériel et extérieur découlant des possibles manifestations liées à la tenue du spectacle.

Le tribunal administratif de Nantes, en date du 9 janvier 2014, saisi de l’affaire, estima, qu’en l’espèce, l’interdiction était une mesure disproportionnée et suspendit donc l’arrêté pris par le préfet.

Le ministère de l’intérieur décida de faire appel de cette ordonnance devant le Conseil d’Etat (Ordonnance du 9 janvier 2014, Ministre de l’Intérieur c/ Société Les productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n°3754508) qui rappela, dans un premier temps, l’importance capitale de la liberté d’expression, puis dans un second temps indiqua que la police administrative peut limiter celle-ci, au nom de la sauvegarde de l’ordre public, tant que ces limitations ou atteintes sont nécessaires et proportionnées.

Enfin, le Conseil d’Etat examina les propos et releva qu’ils étaient pénalement répréhensibles et qu’ils pouvaient porter de graves atteintes "aux valeurs et principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la tradition républicaine".

Le Conseil d’Etat confirma donc la décision d’interdiction du spectacle.

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Le Conseil d’Etat affirma également pour la première fois que la police administrative a pour but "d’éviter la commission d’infraction pénale", alors que son rôle est en principe de maintenir l’ordre public.

Dans la deuxième affaire Dieudonné jugée le 6 février 2015 (Arrêt du Conseil d’Etat, Juge des référés, 6 février 2015, Commune de Cournon d’Auvergne, n°387726), c’était le maire de la commune de Cournon d’Auvergne qui avait interdit le spectacle de Dieudonné. Le juge des référés avait suspendu cette interdiction par une ordonnance du 5 février 2015 et le Conseil d’Etat, sur demande du maire, a été saisi en appel et a rendu sa décision le 6 février 2015.

Cette fois le Conseil d’Etat rejeta la demande d’interdiction du spectacle au motif qu’il ne résultait pas du dossier que les précédents spectacles de Dieudonné, qui s’étaient déroulés dans la région, avaient engendrés des troubles à l’ordre public, des plaintes ou des condamnations pénales. Le Conseil d’Etat repris, et de manière plus affirmée que dans sa décision précitée de 2014, la jurisprudence Benjamin de 1933 en estimant que le maire n’avait pas pris les mesures nécessaires et proportionnées en interdisant le spectacle sans apporter de précisions quant au bien-fondé de cette mesure.

Le Conseil d’Etat réitérera cette position, somme toute factuelle, le 13 novembre 2017 en n’annulant pas le nouveau spectacle Dieudonné dans la guerre à Marseille (Conseil d’Etat, 13 novembre 2017, Commune de Marseille, n°415400).

En effet, la ville de Marseille avançait les mêmes arguments que ceux avancés dans l’affaire de la commune de Cournon d’Auvergne et le Conseil d’Etat les réfuta de la même manière. Il argua que "ce spectacle avait déjà été produit dans plusieurs villes en France et cela sans troubles à l’ordre public, de dépôt de plaintes ou de condamnations pénales". De plus, la mesure fut jugée disproportionnée puisque le Conseil d’Etat estima que rien ne démontrait que le maire de Marseille, même s’il "est fait état de nombreuses protestations et d’une vive émotion suscitée par la tenue du spectacle", "ne pouvait faire face aux éventuelles difficultés par de simples mesures de sécurité".

Encore une fois, c’est la jurisprudence Benjamin de 1933 qui fut appliquée.

Pour en revenir à l’affaire Médine au Bataclan, une interdiction judiciaire du concert serait donc peu probable sans la démonstration d’un risque de troubles à l’ordre public. En effet dans sa décision de 2015, le Conseil d’Etat a rappelé que le contexte national (à l'époque les récents attentats de Charlie Hebdo) ne peut à lui seul justifier le risque d’un trouble à l’ordre public.

Et même si ce risque était avéré, le juge pourrait considérer qu’une mesure d’interdiction n’est peut-être pas la mesure la plus proportionnée, et vérifiera que de "simples mesures de sécurité" ne seraient pas suffisantes.

N’oublions pas qu’en la matière "la liberté est le principe, la restriction l’exception ", même si la décence aurait pu être de programmer ce concert dans une autre salle parisienne et qu’il y a une forme évidente de provocation. Mais le droit possède ses exigences et règles, qui peuvent parfois être éloignées de la morale. En d’autres termes, et c’est un sujet récurrent du bac, une action peut être légale sans être légitime.

Si l’autorité administrative entendait annuler son spectacle, le chanteur Médine pourrait faire usage de la procédure dite de référé-liberté, prévue par l’article L.521-2 du Code de Justice Administrative, qui est recevable en présence d’une urgence, à condition qu’il puisse faire la démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. La décision du juge des référés serait alors prise dans un délai de 48h.

Enfin, il y aura toujours comme dernier recours la Cour européenne des droits de l’Homme qui a plutôt tendance à rendre des décisions en faveur de la protection des libertés fondamentales.

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