Rumeurs, cyanure et lacrymo : des prises de sang sauvages pendant les manifs de "gilets jaunes"

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Par Claire DOYEN - Paris (AFP)
Publié le 24 mai 2019 - 10:00
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Un "street medics" pendant une manifestation de "gilets jaunes" le 18 mai 2019 à Reims
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© François NASCIMBENI / AFP/Archives
Un "street medics" pendant une manifestation de "gilets jaunes" le 18 mai 2019 à Reims
© François NASCIMBENI / AFP/Archives

Rumeurs d'intoxication au cyanure par les gaz lacrymogènes, faux street medics se déclarant être de vrais médecins: des prises de sang sauvages ont été pratiquées lors de manifestations de "gilets jaunes", provoquant l'inquiétude des spécialistes de santé.

Selon deux personnes contactées par l'AFP, qui ont organisé ces prélèvements, ils ont eu lieu lors des manifestations du 20 avril et du 1er mai à Paris, dans le but de "prouver une intoxication au cyanure causée par une exposition prolongée aux gaz lacrymogènes".

Depuis plus de six mois, le mouvement de contestation, qui connaît un net reflux, donne lieu chaque samedi à des manifestations à Paris et dans plusieurs autres villes. Ces rassemblements ont à plusieurs reprises été émaillés de violences, réprimées par les forces de l'ordre avec notamment des jets de gaz lacrymogènes, aux propriétés irritantes et incapacitantes.

Se présentant comme médecin anesthésiste originaire de Belgique, Renaud Fiévet affirme que du sang a été prélevé "sur une quinzaine de manifestants". L'homme, qui dit avoir "coordonné l'action sur le terrain", assure que les prises de sang ont été réalisées "dans le respect des protocoles", à l'initiative d'un groupe composé de deux "médecins" et d'un "docteur en biologie".

Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris pour "violences volontaires aggravées" et "mise en danger de la vie d'autrui".

Début mai, un groupe de street medics, des bénévoles qui apportent les premiers soins en cas de blessures pendant les manifestations, avait dénoncé ces pratiques considérées comme "dangereuses", ainsi que "l'usurpation du terme et des couleurs de street médics".

"J'ai vu certaines personnes portant des t-shirts de street medics, faisant des prises de sang à même le sol, sans respect des normes d'hygiène, alors que l'endroit était complètement gazé. Certains portaient des gants, d'autres non", raconte Ana, une street medic du groupe "Coordination premiers secours".

Selon le Dr Agnès Ticard-Hibon, présidente de la société française de médecine d'urgence, ces prélèvements sont "complètement hors cadre". Pour l'Ordre des médecins, ils ne sont pas interdits dans la mesure où ils sont effectués "par un professionnel qualifié et identifié" et si la "personne consent à un prélèvement biologique pour des motifs qu'elle connaît".

"Des ordonnances ont été établies et les personnes prélevées ont signé un consentement écrit", précise M. Fiévet. Le document, consulté par l'AFP, mentionne des "analyses biologiques des thiocyanates sanguins", qui peuvent à un niveau élevé dans le sang ou les urines, être le signe d'une intoxication au cyanure.

- Rumeurs -

Des rumeurs de risque d'intoxication au cyanure par les gaz lacrymogènes circulent sur les pages "gilets jaunes" des réseaux sociaux depuis plusieurs semaines. L'hypothèse la plus répandue est que le gaz, une fois dans le corps, serait en partie transformé par le métabolisme en cyanure d'hydrogène puis en thiocyanates.

Selon le docteur en biologie qui a mené les tests sur les échantillons prélevés, Alexander Samuel, la présence de cyanure dans le sang des "gilets jaunes" testés est "avérée".

Pour le prouver, il s'est servi de kits fabriqués par la société suisse CyanoGuard et commercialisés depuis 2018, accessibles librement sur internet pour une quinzaine d'euros.

Contacté par l'AFP, le directeur de l'entreprise a confirmé avoir vendu des "cyanokits" à des personnes en lien avec les "gilets jaunes" en France et en Belgique, et assure de leur efficacité. Semblables à des éthylotests, ces tests se révèlent positifs lorsqu'ils virent au violet.

- "Délire" -

C'est "du délire", selon le médecin au centre antipoison de Paris Jérôme Langrand.

"On confond tout! Une élévation des thiocyanates dans le sang peut être causée par une intoxication au cyanure, mais aussi par le tabac, la consommation de choux ou de moutarde" sans que cela soit mortel, souligne le spécialiste en toxicologie.

"Pourquoi s'évertue-t-on à chercher des tests qui ne sont pas précis alors qu'il y existe déjà des tests sanguins très fiables?" interroge le M. Langrand.

"Un test sur une bandelette avec un truc qui change de couleur, c'est le niveau zéro de l'analyse toxicologique", estime-t-il.

Au centre antipoison de Lyon, le toxicologue Jean-Marc Sapori a dû répondre à plusieurs appels de personnes pensant être intoxiquées par du cyanure à cause des gaz lacrymogènes. "Ces personnes ont décrit des symptômes caractéristiques d'une irritation des voies respiratoires et parfois d'autres signes, mais rien ne pouvant être imputé à une intoxication manifeste au cyanure", détaille-t-il.

"Il serait plus intéressant d'analyser les effets respiratoires pour les gens régulièrement exposé à ce gaz irritant", estiment les deux spécialistes.

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