Eaux minérales : des associations dénoncent une convention entre Nestlé et la justice
Plusieurs associations ont dénoncé lundi la conclusion d'une Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) entre le parquet d’Épinal et Nestlé Waters, un dispositif transactionnel qui mettrait fin à deux procédures pénales ouvertes contre le géant de l'agroalimentaire.
D'après le collectif Eau88 et l'association Vosges Nature Environnement (VNE), la CJIP porte sur deux enquêtes préliminaires visant la multinationale, l'une concernant de potentiels forages illégaux dans la nappe phréatique, l'autre sur des traitements interdits que Nestlé a reconnu avoir mis en place pour ses eaux minérales.
Une CJIP permet d'imposer le versement d'une amende et/ou la conduite d'un programme de mise en conformité, ainsi que la réparation d'un préjudice. Mais elle n'a "ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation", et "n'emporte pas déclaration de culpabilité", précise le Code de procédure pénale.
Sollicité sur le contenu de cette convention, le parquet d’Épinal n'a pas répondu. La CJIP doit être homologuée par le tribunal lors d'une audience mardi.
Les associations VNE, Foodwatch et Eau88, auteures de plaintes contre Nestlé, ont été invitées à chiffrer leur préjudice mais dénoncent la solution retenue.
Cette convention "équivaudrait à mettre l'affaire sous le tapis et permettre aux responsables de Nestlé Waters de s'en sortir sans autre explication ni conséquence que le versement d'une somme d'argent", indique Foodwatch, appelant au rejet de l'homologation.
D'après l'avocat de l'association, François Lafforgue, les infractions "réprimées par le Code de la santé publique et par le Code de la consommation, dont la tromperie, ne peuvent faire l'objet d'une CJIP, qui ne peut porter que sur des infractions prévues et réprimées par le Code de l'environnement".
"La disposition est un peu scélérate, elle permet aux gens qui ont de l'argent d'échapper à un jugement et à un casier judiciaire", déplore auprès de l'AFP Bernard Schmitt, du collectif Eau88, qui avait porté plainte dès 2020 sur de potentiels forages illégaux. Mais en l'absence de convention, "comme Nestlé a des avocats et beaucoup de moyens, que la justice a peu de moyens, on va se retrouver cinq à dix ans plus tard avec des délits que tout le monde aura oublié et une sanction ridicule... Donc qu'est ce qu'on fait?".
"C'est une potion amère qu'on avale. L'outil est loin d'être parfait, mais permet, en termes d'environnement, d'avoir une réponse plus rapide", tempère François Zind, avocat de Eau88.
"Nous avons exigé qu'il y ait, dans la convention, une étude d'impact sur les quantités d'eau dans les nappes et l'impact" de l'activité de Nestlé, complète-t-il. Sans la convention, "on en aurait pour sept ou huit ans comme savent le faire les multinationales, et ce temps-là on ne l'a plus par rapport à l'urgence climatique et à ce qu'on pense être une surexploitation de la ressource."
"C'est révélateur d'une justice qui fonctionne mal. Si la justice avait les moyens de fonctionner, on devrait avoir un procès en bonne et due forme", estime Jean-François Fleck, de VNE.
L'association a néanmoins répondu à la demande d'estimation de son préjudice: "On pourrait refuser de s'inscrire dans cette procédure, mais alors elle se ferait sans nous, il y aurait encore moins de conséquences pour Nestlé".
En septembre 2022, Nestlé France avait déjà signé une CJIP avec le procureur de Charleville-Mezières, après la pollution en 2020 de la rivière Aisne, causant la mort d'environ six tonnes de poissons.
Tout en contestant que son usine de Challerange (Ardennes) soit à l'origine de la pollution, malgré les constations des gendarmes et de l'Office Français de la biodiversité, la multinationale avait accepté une amende de 40.000 euros.
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