La Commission européenne ouvre une enquête contre TikTok après l’annulation des présidentielles roumaines
Dix jours après l’annulation par la Cour constitutionnelle du premier tour des élections présidentielles roumaines, remporté le 24 novembre 2024 par le candidat Călin Georgescu, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une enquête contre TikTok. L’application chinoise est soupçonnée par Bruxelles d’avoir manqué à ses obligations et d’avoir joué un rôle en faveur de la Russie pour perturber ce scrutin. La filiale de ByteDance, qui est depuis le début de ce mois en cours sous une surveillance accrue, risque une amende qui équivaut à 6% de son chiffre d’affaires annuel, voire une suspension de son activité sur le Vieux continent. Le réseau social est tout aussi menacé aux États-Unis, qui le contraint à céder son activité avant le 17 janvier. TikTok est dans la tourmente ... Mais doit-on aussi s’inquiéter pour la liberté d’expression ?
Le candidat Calin Georgescu, que les médias mainstream qualifient de “pro-russe” et “d’extrême-droite”, est arrivé en tête du premier tour le 24 novembre. Cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans, très critique à l’égard de l’UE et de l’OTAN, a provoqué la surprise avec son message “Roumanie d’abord” en se présentant comme une alternative aux partis du pouvoir et de l’opposition, tout en se positionnant en faveur d’une suspension de l’aide militaire à l’Ukraine.
TikTok, coupable ou bouc-émissaire ?
Sa victoire a été rapidement contestée et le 7 décembre, après les mises en garde de Bruxelles et de Washington envers la Roumanie contre les “graves conséquences négatives” d’un éventuel éloignement du pays de l’Occident, la Cour constitutionnelle annulait le premier tour, invoquant de "multiples irrégularités et violations de la loi électorale ayant faussé" le vote. Le candidat nationaliste a tout bonnement dénoncé une forme de "coup d'État", affirmant que la “démocratie” était “en danger”, tandis que le chef d’État roumain, Klaus Iohannis, a affirmé son intention de rester à son poste jusqu’au prochain scrutin.
Cette victoire, selon ses opposants et Bruxelles, Calin Georgescu la doit à TikTok, soupçonnée d’avoir été utilisée pour orchestrer une ingérence étrangère. Naturellement, Moscou est le premier suspect, malgré ses démentis.
Le 5 décembre, la Commission européenne a annoncé avoir “renforcé son contrôle à l'égard de TikTok conformément au règlement sur les services numériques”. La CE a également adressé une “injonction de conservation” à la filiale de ByteDance, lui ordonnant “de geler et de conserver les données liées aux risques systémiques réels ou prévisibles que son service pourrait présenter à l'égard des processus électoraux et du débat public dans l'UE”.
Mardi, la Commission a annoncé avoir ouvert une enquête contre le réseau social chinois, soupçonné d’avoir joué un rôle en faveur de la Russie pour perturber l’élection roumaine. "Nous devons protéger nos démocraties de toute forme d'ingérence étrangère", a déclaré, Ursula von der Leyen, appelant à agir "rapidement et fermement".
La présidente de la Commission, critiquée aussi bien pour sa gestion de la crise du COVID que pour son manque de transparence et son plan vert, a évoqué des “indications sérieuses selon lesquelles des acteurs étrangers ont interféré dans les élections présidentielles roumaines en utilisant TikTok”. Il est aussi questions d’informations informations reçues à partir de rapports de renseignement déclassifiés des autorités roumaines ainsi que de rapports émanant de tiers".
“Nous menons une enquête approfondie pour déterminer si la plateforme a violé la loi sur les services numériques en ne s'attaquant pas à ces risques", poursuit Bruxelles. Cette enquête cible particulièrement les systèmes de recommandations de l’application chinoise ainsi que les “publicités politiques et les contenus sponsorisés”.
La CE se base aussi sur une analyse des rapports d'évaluation des risques et des documents internes transmis par TikTok en 2023 et 2024, dans le cadre du DSA, entré en vigueur en février dernier et servant depuis à taper sur les doigts des réseaux sociaux dès que le contenu est jugé problématique, alors que ces plateformes étaient contraintes, en Europe comme aux États-Unis, d’imposer, à coup de censure et de matraquage, un narratif aux citoyens comme c’était le cas pendant la pandémie de COVID.
Bruxelles rappelle que le DSA ne fixe aucun délai légal pour clore une enquête formelle. TikTok risque ainsi une amende pouvant atteindre jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires annuel voire, en cas de graves violations répétées, une interdiction de poursuivre son activité en Europe.
TikTok sauvé par le retour de Trump ?
Les tracas de la filiale de ByteDance n’en finissent pas. De l’autre côté de l’Atlantique, l’application chinoise a demandé lundi à la Cour suprême des États-Unis de suspendre la loi imposant sa vente par sa maison mère. TikTok a jusqu'à la mi-janvier pour la vendre à un propriétaire américain, sous peine d'interdiction sur le territoire.
TikTok a nié à plusieurs reprises avoir transmis des informations au gouvernement chinois, tout en promettant de refuser tout éventuelle requête en ce sens. Le 6 décembre, le réseau social a été débouté de son recours contre cette loi par la cour fédérale d'appel de Washington, qui a également rejeté, le 13 décembre, sa demande de suspension.
TikTok et sa maison-mère, ByteDance saisissent ainsi la Cour suprême pour lui demander dans l'immédiat de suspendre l'application de la loi. "Le Congrès a adopté une restriction massive et sans précédent de la liberté de parole", affirment-ils.
La loi doit entrer en vigueur à la veille de l'investiture Donald Trump. Le patron de TikTok, Shou Zi Chew, entend faire pencher la balance en rencontrant le président élu. Ce dernier a affirmé un "faible" pour le réseau social. Lorsque cette loi contre TikTok avait été adoptée, dans le but de prévenir les risques d’espionnage et de manipulation”, il avait déclaré que pareille mesure permettrait à Facebook de “doubler son activité”, ce qui ne lui convient pas eu égard des relations tendues entre le républicain et la filiale de Meta, dirigée par Mark Zuckerberg.
L’élection de Donald Trump suffirait-elle à suspendre cette loi ? De toute manière, l’homme d’affaires, déjà président entre 2016 et 2020, a souvent exprimé son soutien pour des réseaux sociaux qui se positionnent comme des contre-pouvoirs face aux grandes entreprises technologiques qui l’ont souvent banni. C’était d’ailleurs le cas avec le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, qui a promis de restaurer la liberté d'expression et de réduire la censure.
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