Abdelaali El Badaoui : De l’enfant brulé à une révolution de la santé dans les banlieues

Abdelaali El Badaoui n'est pas un acteur de la santé publique comme les autres. Né et élevé en banlieue parisienne, il a grandi avec la conscience aiguë des inégalités qui marquent l'accès aux soins dans les quartiers populaires et les zones rurales. Très tôt, il a été témoin des barrières sociales, culturelles et économiques qui empêchent les plus vulnérables d'accéder aux services de santé essentiels. Portrait. 

Au départ, rien ne prédestinait Abdelaali El Badaoui à œuvrer dans le secteur de la santé. Né en 1988, il grandit dans une famille modeste en banlieue parisienne. À seulement six ans, Abdelaali El Badaoui survit à un grave accident qui le laisse brûlé sur 70 % de son corps. Cette expérience traumatisante, couplée aux difficultés administratives rencontrées par ses parents marocains illettrés, forge sa détermination à aider les plus démunis. Ses premières années sont marquées par les défis sociaux et économiques auxquels sont confrontées de nombreuses familles issues de l'immigration. Très tôt, Abdelaali doit travailler pour subvenir à ses besoins. Après un parcours atypique, alternant entre travail d'homme de ménage, de livreur, et carrière sportive de haut niveau en athlétisme, tout en poursuivant des études dans le secteur médico-social.  Abdelaali obtient finalement un diplôme d'infirmier. C'est durant ses années de travail en tant qu’infirmier à l'hôpital qu'il prend pleinement conscience des profondes inégalités d'accès aux soins dans les quartiers populaires et décide d'agir pour combler ce fossé.  

Il se souvient « comme si c’était hier » d’un moment marquant qui l’a poussé à « se bouger »  : « Un jour, j’ai vu une mère de famille, avec ses enfants, incapable de comprendre les démarches pour accéder à des soins. C’est là que j’ai réalisé qu'il fallait faire quelque chose. Il fallait reconnecter ces quartiers au système de santé. » Ce déclic a mené à la création de Banlieues Santé en 2018, une association née de sa détermination à changer les choses. Il a su transformer un parcours semé d’embuche comme un moteur dans sa vie et en faire du positif.  

La création de Banlieues Santé : un pont entre santé et quartiers 

L'objectif premier de Banlieues Santé est clair : rétablir le lien entre les habitants des quartiers populaires et le système de santé. Pour El Badaoui, les obstacles vont bien au-delà du manque de services : « Ce n’est pas seulement une question de structures médicales. C’est aussi un problème de confiance, de compréhension des démarches, de langue parfois. C’est pourquoi Banlieues Santé est là, pour recréer du lien et accompagner les habitants. » L’association intervient sur le terrain, propose des consultations gratuites, et sensibilise aux questions de santé. 

L'arrivée de la pandémie de Covid-19 en 2020 a amplifié la mission de Banlieues Santé, l’association a joué un rôle vital dans la gestion de la crise sanitaire dans les territoires marginalisés. Cette période a renforcé la conviction d’Abdelaali El Badaoui que pour véritablement réduire les inégalités de santé, il fallait agir plus en amont, en construisant des solutions durables. 

Plus de 100 000 personnes ont bénéficié de l’action de l’association, qui comprend une trentaine de permanents, dans une dizaine de villes. 

De l’engagement à l’investissement 

Son expertise est reconnue au plus haut niveau : Reçu par tous les pouvoirs publics, reconnu, - il siège au conseil d'administration de plusieurs institutions et conseille des chefs d'État et des PDG sur les questions d'inégalités sociales - et Fort de cette expérience réussie, le trentenaire a décidé de franchir une nouvelle étape en lançant des initiatives d’investissement. En 2023, il crée un fonds d'investissement à impact pour financer des projets innovants liés à la santé dans les quartiers défavorisés. « Nous devons aller au-delà de l’urgence et investir dans des solutions pérennes », explique-t-il. Ce fonds soutient des initiatives locales comme la télémédecine, la formation des soignants de proximité et la création de cliniques mobiles.  

L’ambition de ce fonds est claire : permettre aux habitants de ces quartiers de prendre leur destin en main en devenant eux-mêmes acteurs du changement. « Il est crucial que les solutions viennent du terrain, des personnes qui vivent et comprennent les réalités locales. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons créer un impact durable », insiste-il.  

En plus de ces projets d'investissement, El Badaoui s’est entouré de partenaires stratégiques pour lever les fonds nécessaires. Il collabore avec des entreprises du secteur de la santé, des institutions publiques et des collectivités locales pour renforcer l'impact de ses actions. Ces partenariats permettent de à la réalisation de projets de grande ampleur, tels que le financement de centres communautaires de santé ou d’espaces d’écoute pour les populations les plus vulnérables. 

Construire des partenariats pour un impact durable 

Pour Abdelaali, l’enjeu est de construire un écosystème local où la santé ne se limite pas à la consultation médicale, mais inclut aussi la prévention, l’éducation à la santé et l'accompagnement psychologique. « Nous devons repenser notre système de santé pour qu'il soit inclusif et accessible à tous. Cela passe par des investissements intelligents et une véritable collaboration entre tous les acteurs, publics et privés », martèle-t-il. 

Banlieue Santé s’internationalise déjà au Maroc, en Belgique, au Sénégal et bientôt en Angleterre et aux États-Unis. Sur ce modèle d’autres secteurs ont été explorés à Banlieue School, Banlieue Climat, Banlieue Sport et Banlieue Droit.  Son combat a été distingué par de nombreuses distinctions, dont le Prix du citoyen européen 2020 et le prestigieux label Fellow d'Ashoka en 2022. 

Abdelaali El Badaoui reste inlassablement attaché à l’idée d’inclusion. Pour lui, tant que les « invisibles de la santé » - ces personnes laissées pour compte par le système - ne seront pas prises en charge, son travail ne sera pas terminé. « Nous devons donner une voix à ceux qui n’en ont pas. La santé doit être un droit pour tous, peu importe d'où l'on vient », conclue-t-il.