Addiction aux jeux d'argent : l'analyse d'un médecin
Une étude publiée récemment montre que 600.000 Français connaissent des problèmes avec les jeux d'argent et de hasard. Le docteur Abdou Belkacem, spécialiste des addictions, apporte son éclairage sur un phénomène étudié depuis peu.
La première enquête réalisée en France sur les addictions aux jeux d'argent a été dévoilée vendredi 16 septembre. L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a étudié ce phénomène dans le cadre du Baromètre santé 2010 de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Les conclusions ont de quoi inquiéter : 600.000 personnes ont des problèmes avec ce type de divertissements, parmi eux, 200.000 sont qualifiés de joueurs « excessifs » ils jouent davantage et dépensent de plus grosses sommes d'argent. Une campagne a notamment été lancée en janvier 2015 pour sensibiliser la population à ses addictions
Le docteur Abdou Belkacem, addictologue au centre hospitalier de Sèvres, répond aux questions de France-Soir.fr sur la dépendance aux jeux d'argent et de hasard.
France-soir.fr : Avez-vous remarqué une hausse de vos consultations pour des problèmes d'addiction aux jeux d'argent ?
Abdou Belkacem : Oui, je reçois plus de patients pour des problèmes liés au jeu depuis plusieurs mois, même si ce type d'addiction ne représente pas plus de 10 % des malades que je traite, par rapport aux autres addictions liées aux psychotropes, comme l'alcool et les drogues. D'après l'étude réalisée par l'OFDT, entre 0,5 et 1 % de la population générale est concernée par la dépendance au jeu, soit 600 000 personnes. Il est difficile d'évaluer clairement cette recrudescence à une échelle globale et nationale, mais à mon niveau, je constate effectivement une hausse.
F.S. : Comment soigne-t-on la dépendance aux jeux ?
A.B. : Le soin apporté dépend du diagnostic. Il faut d'abord distinguer deux types de patients. La première catégorie regroupe les joueurs problématiques, qui sont légèrement touchés par l'addiction. Ils se rendent compte de leur problème mais n'ont pas subi trop de pertes et peuvent encore se contrôler. Pour eux, de simples consultations pour dialoguer et leur apporter un discours préventif suffisent. En revanche, pour la deuxième catégorie, celle des joueurs pathologiques, les soins sont beaucoup plus lourds et longs. Il s'agit de patients qui ont perdu le contrôle, qui ont misé et perdu beaucoup d'argent, et qui se trouvent dans une phase de désespoir. Leur état est également lié à une dépression. Il faut donc soigner cette dépression, leur donner un traitement médicamenteux et les encadrer au plus près. Les actions menées pour les aider dépassent parfois le cadre médical. Des mesures de protection judiciaire peuvent être prises, comme l'interdiction de jouer, car certains arrivent chez nous au bord de la ruine.
Un contexte social souvent déterminant
F.S. : Quelles sont les explications de cette addiction ?
A.B. : Il y a souvent des facteurs sociaux qui entrent en jeu. Au départ, les patients que je soigne sont fragilisés. Ils vivent des situations difficiles et subissent un quotidien pénible. Pour s'évader et oublier leurs soucis, ils se réfugient dans le jeu. L'addiction intervient également après un déclic associé à un gros gain, obtenu avec une petite mise. Le fait de gagner une énorme somme d'argent en jouant procure à certains une forte sensation de plaisir, ceux qui souffrent de dépendance veulent retrouver à tout prix ce sentiment.
F.S. : Peut-on dresser un profil type du joueur compulsif ?
A.B. : Toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées. Les plus défavorisés sont ceux qui misent les sommes les plus importantes. S'il fallait faire ressortir un profil, il s'agirait d'un homme dont l'âge se situe entre 40 et 45 ans. Il peut aussi exister des antécédants familiaux.
L'addiction se soigne bien
F.S. : Les traitements sont-ils efficaces ?
A.B. : Il va falloir du temps pour vérifier l'efficacité des traitements à grande échelle. La récente étude de l'OFDT est la première réalisée en France, le phénomène est analysé depuis peu de temps chez nous. A mon niveau, je dirais que oui, les traitements portent leurs fruits. L'addiction au jeu se soigne mieux que l'addiction aux psychotropes. Deux paramètres rendent parfois difficiles le traitement : une dépendance simultanée à d'autres produits, comme le tabac et l'alcool, et l'absence de produits de substitution, qui existent par exemple pour soigner l'addiction à la drogue.
F.S. : Quels conseils donneriez-vous aux joueurs, pour les mettre en garde contre une éventuelle dépendance ?
A.B. : Les joueurs doivent se poser deux questions sur leur comportement :
1-Suis-je capable de m'arrêter ?
2-Suis-je arrivé à la transgression, c'est-à-dire au mensonge, au cumul de dettes pour parier, etc. ?
Si ces deux interrogations amènent des doutes, les personnes concernées doivent en parler avec un soignant. Je tiens par ailleurs à souligner l'importance de l'entourage des malades. Nous recevons bien sûr les personnes concernées elles-mêmes par une addiction au jeu, mais nous pouvons aussi écouter leurs proches et leur apporter des réponses.
Le docteur Abdou Belkacem et les professeurs Michel Reynaud et Jean-Luc Venisse ont écrit un ouvrage intitulé Du plaisir du jeu au jeu pathologique : 100 questions pour mieux gérer la maladie. Le livre est paru en mai dernier aux éditions Maxima. Les trois auteurs analysent avec précision et de manière concrète le phénomène de dépendance au jeu. Ils apportent des réponses aux patients et leurs proches sur l'addiction.
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