Clown hospitalier, un vrai métier qui s'apprend au Rire médecin
Robe de tulle blanche, couette en palmier sur la tête et visage peinturluré, Stéphanie Lassus-Debat laisse place à Gloum, son personnage, pour rendre visite aux enfants hospitalisés à Necker, à Paris. A ses côtés, Sarah Gautré, alias Tina Trompette, a, elle, mis son nez rouge et son bonnet de water-polo pour rejoindre le service de pédiatrie générale, guitare au bras. "Le tour de France, allez Estelle!", crie le tandem collé à une soignante amusée poussant un chariot, dans un couloir couvert de dessins d'animaux.
Promené par ses parents, le petit Enzo (les prénoms d'enfants ont été changés, ndlr) rit aux éclats quand les deux clowns se mettent "à faire l'anguille" en agitant leur corps. Vient le tour de Leïla, adolescente de 14 ans allongée dans sa chambre, les stores baissés. Son téléphone sonne. "Allo Maman, tu peux me rappeler après s'il te plaît: y a les clowns", répond-elle d'une voix fatiguée, avant d'écouter Stéphanie lui chanter une berceuse turque.
Les clowns savent bien qu'elle souffre. Les soignants les ont informés, comme avant chacune de leurs interventions, sur la pathologie et l'état mental des jeunes patients qu'ils sont venus réconforter, ce qui leur permet d'adapter leur jeu à chacun. Ils doivent aussi "vivre l'instant présent" puis "ranger" l'histoire parfois dure des enfants "avec leur costume" pour continuer à faire rire, selon Sarah, quatre ans d'expérience au compteur.
Tous les lundis et mardis, Stéphanie applique ainsi "sur le terrain" les leçons apprises le reste de la semaine à l'Institut de formation du Rire médecin, en duo avec l'un des professionnels rémunérés par l'association.
Techniques artistiques, comme l'improvisation ou le chant, mais aussi spécificités de l'univers hospitalier et de la collaboration avec les soignants sont depuis 2011 au coeur d'un cursus intensif de cinq mois, suivi chaque année par une dizaine de comédiens retenus sur une cinquantaine de dossiers.
"Il n'y a pas plus sérieux que de former un clown à l'hôpital", affirme Caroline Simonds, la fondatrice du Rire médecin à l'origine du projet. "Il ne suffit pas d'être gentil et de mettre un nez rouge, il faut des compétences bien définies", insiste cette Américaine de 65 ans.
Preuve qu'il s'agit d'un "métier à part entière", le diplôme de "comédien(ne) clown en établissements de soins" délivré par l'institut a été inscrit l'année dernière au répertoire national des certifications professionnelles, une "grande reconnaissance", se réjouit-elle.
De quoi favoriser l'essaimage de clowns qualifiés qui lui tient tant à coeur. Rarement employés par le Rire médecin, les diplômés sont invités à monter leur propre projet ou à faire les pitres au-delà de la quinzaine d'établissements déjà investie par l'association.
Ce jeudi, dans les locaux de l'institut parisien, l'ambiance n'a rien d'une austère salle de classe. Stéphanie et neuf autres acteurs de 30 à 59 ans s'échauffent pieds nus ou en chaussettes en poussant des "Ah" en rythme avec Marianne Clarac, venue leur montrer comment utiliser "l'outil musical". Elle les initie à un refrain entêtant: "Plus je t'embrasse, plus j'aime t'embrasser". "Avec ça, la maman embrasse son enfant à tous les coups", leur assure-t-elle.
Pour continuer de payer ses intervenants, le Rire médecin, qui repose sur les dons, va augmenter le tarif de sa formation l'année prochaine, de 8.500 à 12.000 euros, selon sa responsable Bénédicte Hochet. Des frais souvent pris en charge par Pôle emploi ou l'Afdas (fond d'assurance formation des secteurs de la culture).
Stéphanie bénéficie, elle, d'un droit à la formation financé par son employeur. Rompue au jeu clownesque depuis 11 ans, c'est parce qu'elle "aime apporter du soutien aux gens" qu'elle est revenue sur les bancs de l'école. "Cela donne une mission à mon clown", confie-t-elle.
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