Eurosfordocs : plus de transparence sur les liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins
Mardi 1er juin, une nouvelle plateforme européenne a vu le jour : eurosfordocs. Il s’agit d’un site Internet qui permet d'informer les patients sur les liens entre les professionnels de santé et l’industrie pharmaceutique. Du consulting, des interventions payées dans un congrès, avoir un siège dans un conseil scientifique consultatif, les relations entre les médecins et l'industrie des médicaments peuvent prendre plusieurs formes, et les sommes d’argent en jeu ne sont pas négligeables. Entre 2017 et 2019, plus de 7 milliards d’euros ont été versés par l’industrie pharmaceutique aux professionnels de santé dans onze pays européens.
La transparence sur les paiements faits aux médecins
En 2012, aux États-Unis, le média sans but lucratif ProPublica avait lancé la plateforme : “Dollars For Docs”, pour informer les citoyens sur ce phénomène problématique. Plusieurs années plus tard, l’Europe veut suivre ce modèle. Cette plateforme propose de rassembler les données, qui permettent de comprendre clairement comment les sociétés pharmaceutiques tentent de fidéliser les médecins pour influencer leurs pratiques, en particulier leurs prescriptions. Malheureusement, les conséquences de cette influence peuvent être dramatiques, comme l’a illustré le scandale Mediator en France. Ce médicament anti-diabétique était commercialisé comme un coupe-faim, malgré les risques d’effets secondaires graves. Au cours des 10 dernières années, la transparence est apparue comme une des solutions pour s'attaquer à ce problème.
En plus d’avoir répertorié les sources de données dans les pays européens (registres publics et documents de divulgation), cette plateforme, initiative de Pierre-Alain Jachiet et Luc Martinon, centralise les données de ces documents, unifie le format et stocke le tout dans une seule base de données. L’utilisateur peut désormais chercher par pays, entreprise, bénéficiaire, année, etc.
Impression d'écran du site eurosfordocs : exemple de "Vision par Professionnel bénéficiaire"
Le Lobbying de l’industrie pharmaceutique en France
Le système de santé français est régulièrement secoué par des crises sanitaires, comme celle du Levothyrox en 2017-2018, médicament pour la thyroïde utilisé par plus de 3 millions de personnes en France qui a provoqué des milliers d‘effets secondaires. Souvent, des conflits d'intérêts majeurs se cachent derrière la commercialisation de médicaments qui mettent la santé de millions de personnes en danger. Les études scientifiques et les prescriptions médicales manquent d’indépendance, et les industries pharmaceutiques reste discrètement omniprésente, en exerçant une redoutable influence sur les professionnels de santé. En France, les industriels doivent désormais déclarer tous leurs liens d'intérêts financiers dans la base Transparence-Santé. Cependant, pour que la transparence soit effective, ces informations doivent être facilement accessibles, pour permettre à l'utilisateur lambda d’explorer facilement la base de données. Sans une bonne expérience utilisateur, les efforts de transparence restent inutiles, et les dispositifs sont toujours “opaques”, explique Eurosfordocs.
L'Allemagne, pays le plus opaque
Alors qu’en Irlande, en Grande-Bretagne et en Italie, plus de la moitié des médecins déclarent leurs collaborations rémunérées, en Suisse et en Suède, cela concerne plus de 70% des médecins, et 100% des médecins en Espagne. En Allemagne, seulement 19% des médecins divulguent leurs liens avec l’industrie pharmaceutique. Ces liens sont pourtant bien réels, par exemple, selon BuzzFeed News Allemagne, un médecin-chef interne à Berlin, a pu recevoir plus de 80000 euros de subventions de sociétés pharmaceutiques seulement en 2019.
La suite : ouvrir le débat sur ces conflits d'intérêts majeurs
Pour Luc Martinon, à l’initiative de cette base de données, des discussions autour des liens financiers sont nécessaires au sein du monde professionnel, pour amener plus d'éthique dans ce type de collaborations. Martinon espère que les scientifiques utiliseront sa base de données pour leurs travaux de recherche, et que les politiciens légiféreront dans toute l'UE pour amener plus de transparence aux patients. Cela permettrait d’avoir des bases de données plus complètes. « En tant que patient, je veux voir si les médecins qui me traitent reçoivent de l'argent des sociétés pharmaceutiques, et combien. Mais cela ne fonctionnera pas tant que les données seront incomplètes », déclare Luc Martinon.
Si le projet semblait porteur d'espoir, beaucoup ont manifesté leur déception car la plateforme a récemment annoncé qu'elle allait anonymiser les données. Est-ce donc une fausse promesse de transparence, finalement réservée à des professionnels triés sur le volet ?
Le projet EU propose par défaut des données sans les noms des médecins, mais sur demande on donne l'accès aux données complètes pour les assos / journalistes / chercheurs qui veulent explorer ces nouvelles données. 2/2
— Euros For Docs (@eurosfordocs) June 2, 2021
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