Lois anti-tabac : toujours plus
Fumer au bureau, dans un restaurant, dans un avion. Voir des vedettes s’en griller une en direct à la télévision. Lire dans la presse ou sur des affiches des publicités pour des marques de cigarettes. Tout cela paraissait normal et acceptable il y a une quarantaine d’années.
Mais ça, c’était avant. Les mentalités ont beaucoup évolué et les lois contre le tabagisme se sont accumulées en France depuis les années 70. De plus en plus dures, elles répondent à un problème de santé publique lié à la consommation de tabac. Mais ces lois prenant le fumeur pour cible déclenchent toujours la controverse quant à leur efficacité –et, pour certains, leur caractère liberticide.
Dernière offensive en date contre le tabagisme: le projet de loi dévoilé par la ministre de la Santé Marisol Touraine jeudi 25 septembre lors d’une conférence de presse. Présenté en conseil des ministres mercredi 14 octobre, cette nouvelle loi santé propose une série de mesure pour diminuer le tabagisme en France.
La plus emblématique des mesures envisagées est l'introduction de paquets de cigarettes neutres, ayant tous la même forme, la même taille, la même couleur et la même typographie, sans aucun logo. Le nom de la marque continuera toutefois d'apparaître en petit sur les paquets. Ces paquets neutres devraient apparaître d’ici 2016 chez les buralistes.
Les deux autres dispositions importantes portent sur l'interdiction du vapotage dans certains lieux publics ainsi que l'interdiction de fumer dans les voitures transportant des mineurs de moins de 12 ans, afin de limiter l'exposition des enfants au tabagisme passif.
L’apparition sur le marché français de paquets de cigarettes neutres est une innovation saluée par les associations anti-tabagisme et le corps médical. Comme le confie à France-Soir le professeur Bernard Dautzenberg, pneumologue et président de l’Office français de prévention du tabagisme, "les paquets neutres permettent de mettre fin à la dernière forme de publicité sur le tabac. C’est un coup rude porté aux cigarettiers, donc c’est une excellente mesure".
Pour autant, si la proposition fait consensus dans la classe politique, le milieu médical et le monde associatif, il faut noter qu’en Australie (seul pays où la mesure est appliquée), les ventes de cigarettes n’ont pas enregistré de baisse en 2013 (l’entré en vigueur s’est faite au 1er décembre 2012).
Les fabricants de cigarettes, quant à eux, y voient une atteinte à la propriété intellectuelle et soulignent la facilité de reproduire ce genre de paquets, ce qui pourrait entraîner une hausse de la contrefaçon avec des produits bien plus nocifs que les cigarettes classiques.
Parcs et plages bientôt non-fumeurs?
Une autre idée, lancée fin juillet 2013 par la ministre de la Santé, semble avoir fait son chemin. Lundi 30 juin, l’adjointe au maire du XIVe arrondissement de Paris, la socialiste Valérie Maupas, a proposé l’interdiction de fumer dans les aires de jeux des parcs et jardins publics de la capitale.
Une mesure déjà appliquée dans des villes moyennes comme Auxerre (Yonne) ou Pontault-Combault (Seine-et-Marne). A Nice, on dénombre trois plages où il est interdit de fumer, comme c’est le cas à Cannes, à La Ciotat ou encore à Saint-Malo. Les contrevenants risquent une amende de 17 euros, une sanction rarement mise en œuvre car les municipalités ont demandé à la police de faire preuve de pédagogie avec les fumeurs.
Cette mesure radicale ne plaît pas à tout le monde. Bertrand Jomier, adjoint écologiste au maire de Paris en charge de la santé, y est opposé. Il confiait au journal Metronews que, pour lui, "la prohibition en terme de santé publique ne marche pas vraiment". Il s’appuie sur l’exemple du cannabis pour expliquer sa position: "la prohibition du cannabis dans notre pays ne nous empêche pas d'être le pays européen qui comporte la plus forte proportion de jeunes fumant du cannabis".
Une évolution des mentalités
Les mentalités concernant la cigarette ont profondément évolué en une cinquantaine d’années, et elle est devenue bien moins attractive. Le tabac représentait un symbole de modernité, d’émancipation des femmes, de convivialité dans les cafés ou encore d’affirmation de la jeunesse. Son image a glissé vers celle d’une drogue dure, d’une addiction dont il faut se défaire, et d’un vrai danger pour la santé.
La cigarette est désormais détestée, perçue comme un emblème du cynisme des industriels. Le plus grand tueur du monde moderne (au moins six millions de morts par an, selon l’Organisation mondiale de la santé) est ainsi le produit le plus taxé et le plus contrôlé.
Ce changement de cap dans l’image de la cigarette s’accompagne parfois d’une forme de stigmatisation des fumeurs. L’association Droit des fumeurs dénonce une sorte d’ostracisme et considère qu’ils sont pris pour "des vaches à lait par l’Etat, qui se gave de taxes sur le tabac et se place en chevalier blanc de la prévention".
De la même manière, une éventuelle interdiction de fumer sur les plages et dans les parcs des grandes agglomérations à cause du tabagisme passif font rire (jaune) les collectifs de fumeurs. Ces derniers expliquent que la pollution dégagée par les voitures dans les villes est bien plus nocive que la fumée d’une cigarette en extérieur.
La lutte contre le tabagisme possède aussi ses effets pervers. Exemple parmi d’autres: en vertu de la loi Evin, la pipe que fume Jacques Tati sur l’affiche du film Mon oncle avait été remplacée par un moulin à vent jaune dans les espaces de la RATP et de la SNCF. Claude Evin, instigateur de la loi de 1991 (il était ministre de la Santé), avait alors confié au journal Le Point son exaspération: "lutter pour la santé publique, ce n'est pas tomber dans le ridicule". Une application aussi rigide de la loi présente le risque de voir cette législation tournée en ridicule et perdre de son impact, notamment en termes de prévention.
L’exemple des autres pays
D’autres pays ont mis en place des réglementations plus drastiques envers la consommation de tabac. La plupart des pays asiatiques (à l’exception de la Chine, qui compte près de 350 millions de fumeurs) appliquent une législation très rigoureuse envers les fumeurs. Au Japon, certains quartiers des grandes villes sont ainsi totalement non-fumeurs. Le but est d’éviter tout risque de tabagisme passif et également de brûlures, tant la densité de personnes dans la rue est élevée à certaines heures de la journée.
Récemment, la Russie, où 44% de la population fume, a mis en place une législation contraignante envers le tabagisme actif. Il y a un an, tous les bâtiments administratifs, les gares, aéroports ou arrêts de bus étaient frappés d’interdiction de fumer. Les nouvelles lois anti-tabac de Moscou, en vigueur depuis le dimanche 1er juin, bannissent également la fumée des bars, cafés, restaurants, hôtels, trains et bateaux. De quoi rendre la vie des fumeurs difficile en dehors de leur propre domicile.
Plus étonnant, la très sérieuse British Medical Association a récemment introduit l’idée d’interdire la vente de tabac aux personnes nées après 2000. La proposition s’appuie sur des études officielles qui démontrent que 66% des fumeurs au Royaume-Uni ont commencé à fumer pendant l’adolescence. Cette interdiction, particulièrement décriée, pourrait permettre, en théorie, d’éviter d’engendrer une nouvelle génération de fumeurs.
Cas particulier, la cigarette électronique
Au cœur des dernières polémiques liées au tabagisme, la cigarette électronique est le nouveau cheval de bataille de la lutte contre le tabac. L’e-cigarette, qui contient généralement de la nicotine et est souvent présentée comme un substitut aux cigarettes classiques, est pour l’instant interdite aux mineurs et prohibée uniquement dans certains lieux, comme les trains SNCF ou le réseau parisien de la RATP.
Comme l’explique à France-Soir, Clémence Cargnat-Lardeau, directrice de l'Alliance contre le tabac, "la cigarette électronique est certes moins nocive que la cigarette conventionnelle, mais elle représente toujours un danger pour la santé. Son interdiction dans les lieux publics serait une très bonne chose car elle doit rester un produit de sevrage pour les fumeurs et ne pas devenir un produit d’appel à la consommation, notamment chez les jeunes".
Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde. Le professeur Robert Molinard expliquait au Point que "les premiers résultats d'études montrent déjà que la cigarette électronique n'est pas une entrée dans le tabagisme. Les jeunes l'essaient, parce que c'est dans leur nature adolescente d'être curieux. En interdisant le vapotage, on ne fait que renforcer leur intérêt pour le produit, puisque c'est le propre de la jeunesse que de transgresser l'interdit".
L'OMS, qui n'a pas encore arrêté sa position sur le sujet, a fait savoir qu'elle était plutôt favorable à ce que tous les produits contenant de la nicotine fassent l'objet des mêmes restrictions.
Un impact relatif
Quant à savoir si la lutte contre le tabagisme est efficace en France, les avis restent partagés. Selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), le nombre de cigarettes fumées en France a globalement baissé depuis 2005 mais le nombre de fumeurs, lui, est en augmentation. Les chiffres des décès liés au tabac, eux, restent stables (près de 60.000 par an). Le professeur Dautzenberg reste sceptique quant à ces données: "on ne publie les chiffres des morts liés au tabagisme que tous les cinq ans, alors que le nombre de tués sur les routes est publié tout les mois. Des mesures plus fréquentes permettraient de mettre en place des décisions plus efficaces pour lutter contre le tabac".
Pour autant, selon la dernière étude de l’Office français des drogues et toxicomanie (OFDT), l’éclosion récente de la cigarette électronique a permis d’enregistrer une baisse de la consommation de tabac traditionnel. Une bonne nouvelle pour la lutte contre le tabagisme, mais qui peut malheureusement être liée à un effet de mode.
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