Justice : la grande criminalité aussi concernée par la mauvaise exécution des peines que la petite délinquance
L’Institut pour la justice (IPJ) dénonçait, dans un rapport rendu public la semaine dernière, la mauvaise exécution des peines de prison ferme et le danger que cela fait courir à la société. L’idée est cependant répandue que cette difficulté à appliquer des condamnations concerne les « petits » délinquants. Les criminels réputés dangereux seraient dûment mis derrière les barreaux, dans un souci de protection de la société. C’est loin d’être toujours le cas, même après une lourde condamnation à de la réclusion criminelle. Et une loi de 2021, passée complètement sous les radars alors qu'elle incite à retarder l’incarcération de criminels pourtant condamnés, laisse craindre que ça ne s’arrange pas. Par ailleurs, la lenteur de la justice a, elle aussi, pour conséquence que des criminels dangereux continuent à arpenter nos rues, même quand ils sont identifiés.
Le 25 janvier dernier, Séverine Moulin expliquait sur notre plateau comment un pédocriminel, condamné en 2021 par la cour d’assises du Vaucluse à 10 ans de réclusion criminelle pour l’avoir violée à de multiples reprises durant son enfance, a pu sortir de prison moins de deux mois et demi après son incarcération.
Toujours dehors...
L’homme n’a pourtant pas fait de détention provisoire. Il est toujours dehors à ce jour, sans bracelet électronique, devant simplement respecter un contrôle judiciaire qu’il a déjà violé plusieurs fois. Ce dernier point lui a valu… un rappel à la loi. Il faut préciser que Séverine Moulin n’est pas la seule victime du violeur de mineures, et que par ailleurs, ce dernier est employé par la fondatrice d’une association accréditée pour proposer des enfants étrangers à l’adoption.
Dérapage judiciaire ? L’exception qui confirmerait la règle selon laquelle les criminels jugés coupables vont directement en prison ? Non.
En janvier 2023, un individu, jugé pour 17 braquages de supermarchés, est condamné, pour deux d’entre eux, à huit ans de réclusion criminelle par la cour d’assises de Nanterre. Mais comme la cour ne délivre pas de mandat de dépôt, il repart libre du tribunal.
En novembre 2022, c’est pour tentative de viol sur mineur que J.S. comparait devant la cour criminelle de Toulouse. Il a été pris sur le fait par la police en pleine agression et l’avocat général a requis 10 ans d’emprisonnement avec incarcération immédiate. L’individu écope finalement de six ans de réclusion criminelle, sans mandat de dépôt, et il est toujours dehors à cette heure.
...mais pourquoi ?
Pourtant, ce récidiviste d’infractions sexuelles sur mineure n’en était pas à son coup d’essai. Il y a quelques années, cet ancien surveillant avait été condamné une première fois à deux ans de prison, dont six mois ferme, pour agression sexuelle sur une élève.
Plus récemment, en janvier 2022, une nouvelle peine de 25 mois d’emprisonnement a été prononcée à son encontre par la cour d’appel de Toulouse pour inceste sur sa fille. Son avocate, Maître Sarah Nabet-Claverie, nous a indiqué que cette procédure fait actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation et qu’aucune mesure de sureté provisoire n’a été ordonnée à l’encontre de son client.
Elle nous a par ailleurs confirmé que ce dernier n’a pas souhaité faire appel de la condamnation à six ans d’enfermement prononcée par la cour criminelle de Toulouse en novembre 2022. Cette peine non aménageable est donc définitive. Alors, pourquoi est-il dehors ?
Parce que « la cour criminelle a estimé que le mandat de dépôt immédiat n’était pas nécessaire », se réjouit Maître Nabet-Claverie, avant de poursuivre : « Jusqu’il y a très peu de temps, c’était obligatoire ». En effet, jusqu’à récemment, une condamnation en cour d’assises valait titre de détention.
Loi récente
Mais une loi du 22 décembre 2021, passée inaperçue du grand public, permet désormais à un individu comparaissant libre de ne pas être immédiatement envoyé en prison après une condamnation, même pour crime. Les cours d’assises ou criminelles doivent même motiver leurs décisions de délivrer un mandat de dépôt par la nécessité d’une « mesure particulière de sûreté ».
« Cela évite à la fois la violence de l’incarcération immédiate et des incarcérations potentiellement éloignées du lieu de domicile », explique l’avocate toulousaine. Elle se veut cependant rassurante : son client est en contact avec le procureur de la République de Cahors, « qui lui proposera prochainement une date d’incarcération ».
Ce traitement particulier réservé aux condamnés comparaissant libres nous amène à un autre problème : la lenteur de la justice. Pour un crime, la durée initiale d’un placement en détention provisoire, est d'un an. Des prolongations sont possibles, mais qui ne peuvent excéder quatre ans pour les cas les plus graves. Donc, il n’est pas rare que des accusés comparaissent libres.
Il a fallu 14 ans à Séverine Moulin, évoquée plus haut, pour faire condamner son violeur à 10 ans de réclusion criminelle. 14 ans durant lesquels un criminel arpentait nos rues. Et ce dernier a comparu libre. Le meurtrier de la jeune Sihem, dont la triste fin a récemment bouleversé le pays, était cité à comparaitre devant une cour d’assises, une semaine après la mort de la jeune fille. Il aurait dû répondre du vol à main armée et de la séquestration d’un couple de commerçants. Il s’était écoulé 11 ans entre ce braquage et sa date de convocation. L’individu comparaissait totalement libre. Si ce récidiviste dangereux avait été convoqué plus tôt, on peut présumer que Sihem serait encore en vie.
Une autre jeune femme, que nous recevrons bientôt chez FranceSoir, a dû, elle aussi, endurer un calvaire judiciaire de 14 ans, avant de réussir à faire condamner à 18 ans de réclusion criminelle un individu qui l’avait violée, elle, sa sœur et des copines, durant des années quand elle était enfant. Cet ancien animateur sportif a de nombreuses victimes à son actif. Cet individu n’a pas comparu libre devant la cour d’assises de Douai, mais c’est parce que durant ce délai de 14 ans, il a été condamné pour d’autres faits d’agressions sexuelles sur mineurs.
Ne pas appliquer immédiatement les peines prononcées, tout comme l’extrême lenteur de certaines procédures, constituent des maltraitances judiciaires extrêmement douloureuses pour les victimes. Mais ce n’est pas tout : elles peuvent, de surcroît, s’avérer être une prise de risque inconsidérée pour la sécurité publique.
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